Et si on les peignait en rouge ?

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- Là, on tourne à droite et après c’est à gauche.

- Vous êtes sûrs ? Moi j’ai plutôt l’impression qu’on tourne en rond.

- C’est le cas.

- Vous ne savez pas du tout où il faut aller, pas vrai ? je répliquai. Luna, cette histoire de reflet, de jeu et les véritables circonstances de la mort de mes parents, tout est faux. Vous vouliez juste aller dans le labyrinthe, et maintenant, on est perdus.

- Pour atteindre l’entrée de Luna, il faut se perdre, rétorquèrent les enfants. Car on ne trouve pas si facilement ce qui ne peut être trouvé. Par ailleurs, si tu es tellement certaine que nous mentons, tu peux faire demi-tour, tu sais. Tu nous suis de ton plein gré. Pourquoi ?

- C’est la question que je me pose depuis presque une heure que nous avançons dans ces allées sans fin.

- Tu es marrante. Ecila l’était aussi.

- Vous parler toujours d’Ecila comme d’une personne. Puisqu’elle est mon reflet, elle n’est pas censée être moi ?

- Non Ecila c’est Ecila. Enfin, c'était.

- Pourquoi vous utilisez l'imparfait pour Ecila ?

- Parce qu'elle est morte.

- Mais un reflet ne peut pas mourir. Et je croyais que j'étais Ecila, que c'était mon nom dans l'autre monde.

- En effet.

- Ça n'a aucun sens ! m'écriai-je, à bout de patience.

- Nous le savons. Néanmoins, si tu réfléchis, qu’est-ce qui a un sens ?

- Les mathématiques.

- Ce ne sont que des chiffres qui se courent après et qui donnent d’autres chiffres. Où est le sens ?

- Le jour et la nuit alors. Ils se succèdent l’un à l’autre dans un ordre logique et déterminé.

- C’est une boucle infinie et incohérente. Qui, du jour ou de la nuit, est le premier ? Tu peux dire jour, nuit, jour ou nuit, jour, nuit. Ça se suit bêtement.

- Je ne comprends rien à ce que vous marmonner.

- Nous non plus. On s’embrouille parfois dans nos explications.

- Ah.

Je soupirai. Nous continuâmes de marcher en silence.

Cheshire et White Rabbit se tenaient par la main et ne semblaient pas le moins du monde apeurés. Pourtant, il y avait de quoi. Le brouillard s’était considérablement épaissi depuis une demie heure, nous étions perdus et la température était en chute libre. Vêtue comme je l’étais d’une unique robe de velours d’un rouge sang, je m’étonnais de n’être pas encore congelée.

Je repensai au bal et à ce que miss Grendwil m’avait dit : je sais bien que le froid ne vous dérange pas outre mesure.

Si elle était avec moi aujourd’hui, je lui dirai que, finalement, le froid me dérangeait… quand il était extrême et que j’y étais exposée pendant un long moment dans une tenue inadéquate. Comme maintenant, par exemple. Aglagla.

- Tu entends, Alice ?

- Quoi ?

- Écoutes.

Je tendis l’oreille mais, à part nos pas et le sifflement de nos respirations, je ne perçu aucun bruit.

- Je n’entends rien.

- Parfaitement ! Pas de vent, pas de chant d’oiseau, pas de craquement de branche, pas même l’horloge-monument-qui-sonne-fort.

- « L’horloge-monument-qui-sonne-fort » ? Vous voulez parler de Big Ben, non ?

- Big Ben ? C’est un curieux nom. Mais ça lui va bien.

Je ne pus cependant m’empêcher de penser qu’ils avaient raison à propos du silence. Malheureusement. Si nous, nous tournions en rond, il y avait quelque chose dans ce labyrinthe qui ne tournait pas rond. Je sentis une sourde angoisse montée en moi et emprisonner mon cœur dans son étau de glace (sans mauvais jeu de mots avec la température ambiante !).

- Oh, Alice ! Regarde ! Des roses !

- Hein ?

En effet, des roses d’un blanc immaculé étoilaient les haies de l’allée dans laquelle nous nous étions engouffrés.

- Des fleurs… en hiver ?

- Elles sont belles ! Mais elles seraient encore plus belles en rouges !

- Vous n’avez qu’à les peindre de cette couleur.

- Les peindre ?

Je ne réalisais la bêtise de ma proposition qu’après l’avoir dite. Évidement.

- Je sais, c’était idiot de ma part. C’est sorti comme ça et…

Je failli leur rentrer dedans. Les deux enfants s’étaient arrêtés au beau milieu de l’allée.

- Hé ! Qu’est-ce qui vous arrive ? Vous allez bien ?

Ils tournèrent comme un seul homme et me scrutèrent avec un regard trop intelligent pour être humain.

- Euh… Qu’est-ce qu’il y a ?

- Nous pensions que tu ne souvenais plus de rien mais…

Ils penchèrent la tête de côté, la fille à droite, le garçon à gauche, dans un même mouvement, de sorte que le haut de leurs crânes se toucha dans un petit bruit mat.

- … mais il semblerait que tu ais des réminiscences. Ton cas n’est peut-être pas aussi désespéré que nous le croyions.

Hein ?!

Hébétée, je restais coite.

Après un moment, ils redressèrent leurs têtes respectives, se retournèrent et se reprirent la main avant de continuer à avancer comme si rien n’était arrivé.

Le tout avec une synchronisation irréprochable.

Cela faisait vraiment peur. Et je ne parlais pas uniquement de leurs propos mystérieux.

Je haussai les épaules et me précipitai à leur suite.

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