Deux gargouilles...

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- Attendez !

Pour des bambins, ils couraient plutôt vite !

Ma robe m’empêchait d’accélérer.

Je maudis ceux qui avaient un jour décider que les femmes ne devaient porter que des robes. Ce n’était absolument pas pratique pour courir ! Les couloirs du manoir, pourtant si familiers, m’apparaissaient… différents.

Comme tordus, inconstants.

J’avais perdu les enfants de vue mais j’entendais très nettement leurs pas, loin devant moi, et surtout, leurs éclats de rire. Parce qu’ils riaient.

Comme s’il ne s’agissait que d’une partie de cache-cache ou de je ne sais quoi.

Comme si c’était… un jeu.

Puis la chanson résonna.

Elle emplit les corridors de son écho enfantin et moqueur :

Flic, flac, floc, suis les gardiens de Luna !

Floc, flac, flic, dépêches-toi !

Tic, tac, toc, le reflet d’Ecila !

Toc, tac, tic, le jeu finira !

Noir, rouge, blanc, dans tes songes perds-toi !

Blanc, rouge, noir, si tu meurs tu ne reviendras pas !

Je reconnu le dernier couplet, mais étais trop concentrée sur ma course pour y accorder de l’importance.

D’ailleurs, cela n’avait aucune importance, non ?

C’est alors que j’aperçus enfin les enfants, juste devant moi. Immobiles, ils me regardaient approcher avec une moue boudeuse.

Ils ne semblaient même pas essoufflés. Je m’arrêtais, cherchant à calmer ma respiration saccadée. La comptine se tue aussi subitement qu’elle avait commencé.

- Qui… qui a… tué… mes… parents ? Qu’est-ce… qui… ah… qu’est-ce qui s’est passé… ce jour-là ? Vous… le savez… vraiment ? Ou c’était juste… une… plaisanterie ?

- Ce n’était pas une plaisanterie !

Je respirai profondément.

- Alors ? Qu’est-ce qui leur est arrivé ?

- On n’a pas le droit de te le dire.

- Pourquoi ?

- Parce que ça fait partis du jeu.

- Mais quel jeu, bon sang ?! La vie n’est pas un jeu ! Et quand bien même, j’en ai assez ! Je ne veux plus jouer ! Répondez à ma question.

La fillette et le garçonnet échangèrent un regard complice.

- Tu veux savoir ?

- Oui !

- Alors, on va te montrer.

- Me montrer quoi ?

- Tout. Tu es Alice. Ton reflet est mort. Tu ne peux pas retourner à Luna. Sauf si tu deviens reflet à ton tour. Mais dans ce cas, ta mort sera définitive.

- Écoutez, je ne comprends rien à ce que vous racontez, mais je n’ai pas l’intention d’aller où que ce soit.

- Trop tard.

- Comment ça ?

- Tu n’as pas remarqué où tu te trouves ? Les humains sont vraiment aveugles !

- Où je me trou…

Je laissai ma phrase en suspens.

Je me tenais devant l’entrée du labyrinthe, dans le jardin derrière le manoir.

Juste sous l’arche des deux initiales.

Je ne me rappelais pas avoir emprunter le couloir des lustres de cristal, ni même être sortie de la maison. Alors comment se pouvait-il que je sois là ?

- Qui êtes-vous ? demandai-je d’une voix mal assurée.

J’avais déjà posé cette question et ils n’y avaient pas prêté attention. Aussi fus-je surprise quand ils répondirent :

- Nous sommes Cheshire et White Rabbit.

- C’est… ce sont vos noms ?

- Nos rôles. Nous n’avons pas de noms.

- Cheshire… White Rabbit…

Le petit garçon se désigna du doigt :

- Je suis Cheshire.

La petite fille leva la main :

- Et je suis White Rabbit.

C’était la première fois qu’ils parlaient séparément. Cela faisait bizarre. J’avais une étrange impression de décalage.

- Vous êtes jumeaux ?

- Pourquoi dis-tu ça ?

Ils s’exprimaient de nouveau à l’unisson.

- Vous vous ressemblez. Et vous parlez toujours en même temps.

Les deux enfants sourirent.

- Tu connais déjà la réponse.

- Non, je ne la conn…

Ils se retournèrent et s’élancèrent dans le labyrinthe.

- Hé ! Attendez-moi !

Je recommençai à courir.

Passant sous l’arche, je stoppai net.

Les gargouilles… Elles avaient disparu !

Seuls demeuraient leurs socles, désormais vides.

Je tournai la tête dans la direction qu’avaient prise les enfants.

Ils m’attendaient sagement, au bout de l’allée. Ils souriaient d’une manière inhumaine, leurs lèvres s’étirant bien au-delà de ce que leurs mâchoires auraient dues leurs permettre.

J’aurai pu m’enfuir. Retourner au manoir. Reprendre ma leçon de piano.

Mais… ils avaient affirmés que quelqu’un avait tué mes parents. Ils avaient dit que j’avais un rôle à jouer, moi aussi. Que mes rêves n’étaient pas que de simples songes. Qu’Ecila était mon reflet.

Je ne voulais plus subir les événements. Je voulais les comprendre et y mettre fin.

Et pour ça, le jeu devait se terminer.

Avec moi.

C’est donc d’un pas décidé que je les rejoignis.

La brume nous enveloppa dans sa toile humide et blanchâtre.

Je ne savais pas du tout quel était ce lieu qu’ils appelaient Luna, mais je n’allai pas tarder à le découvrir.

Ce que j’ignorai alors c’était que mon vrai cauchemar commençait.

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