3.16 – Le siège de l’Auberge des Quatre Chemins

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Prenez un bain de siège chaque jour, avec une eau bien froide, et vous aurez les fesses roses. ”

Conrad de Laval avait enfin recruté une armée, environs deux cents gaillards bien solides. Ce n’était certes pas tous des professionnels, mais un noyau dur, formé par sa garde personnelle d’une trentaine de soudards et d’une cinquantaine de mercenaires aguerris, entraînait les autres, de simples fils de paysans auxquels il avait mis un gourdin entre les mains. Quelques-uns d’entre eux, les mieux disposés au maniement des armes, s’étaient vus confier une épée.

De sa fenêtre, il contemplait ses apprentis, tout équipés, courant en cercle dans la cour du château. Il y avait des progrès, mais il restait beaucoup de travail à réaliser.

Ses sergents gueulaient invectivaient vertement les plus lents. L’un de ces petits chefs eux se pressait derrière eux pour frapper les traînes savates.

— Allez on court et plus vite que ça ! Une deux, une deux, hop ! hop ! hop ! Pour gagner une bataille, il faut de l’endurance, alors on continue ! Eh toi là, le gros, on est pas chez mamie ! On se bouge le cul ! Allez, on avance !

Le pauvre gus se prit deux ou trois coups de bâtons sur l’arrière-train et les épaules. Les frappes lui redonnèrent un peu de vitesse et le sergent se plaça derrière le suivant qui eut droit au même traitement. Un peu plus tard, l’un des retardataires s’étala de tout son long, complètement hors d’haleine.

— Toi et toi, vous me le soulevez et vous me le faites avancer ! J’en ai marre de ces limaces !

Deux gaillards en bon état complétèrent leur tour et soulevèrent le pauvre par les épaules et le firent avancer sans ménagement. Le malheureux crachait ses poumons, plusieurs coups de triques vinrent soigner son dos. Il repartit tant bien que mal, supporté par les deux malabars qui lui en voulaient méchamment d’être venu les accabler d’un poids mort.

C’est bien, qu’ils apprennent la vie, ces fainéants. Je vais faire un petit tour en bas histoire de m’amuser un peu.

Après avoir bu un verre de vin, Conrad se rendit dans la cour pour admirer ses soldats qui faisaient désormais des pompes.

— Et un et deux, et trois, hurlait un sergent pendant que les autres passaient dans les rangs, guettant les tire-au-flanc.

Le baron avait repéré le jeune homme plein d’embonpoint, qui un peu plus tôt, était tombé. Ses bras avaient désormais bien du mal à soulever sa masse. Conrad se positionna à son côté.

— Eh bien mon gros, on a du mal ?

Il appuya sa botte sur le dos du malheureux, ce qui eut pour effet de le clouer à nouveau au sol.

— Monsieur… j’fais… c’que j’peux… mais j’y arrive pas !

Conrad ricana et ôta son pied. Le garçon essaya à nouveau de se soulever. Quand il parvint à mi-hauteur, le pied vint à nouveau l’écraser. Un chat jouant avec une souris.

— Mais qu’est-ce que je peux faire d’une merde pareille ? T’es pas un homme, mais un parasite.

Le gros se roula sur le côté pour se relever plus aisément. Il vit rouge, la colère l’envahit, lui donnant la force du désespoir. Conrad à quelques pas, continuait à rire. Quand le garçon se fut levé, il se précipita sur le baron, lançant tout son poids en avant.

— Comment ça j’suis pas un homme ?

Conrad, une dague à la main s’esquiva sur le côté et frappa le jeune homme d’un mouvement circulaire en plein cœur.

— Tu vois bien que t’es pas un homme.

Il releva la tête sans tenir compte des râles du misérable.

— Toi et toi, nettoyez-moi ça ! fit-il à deux soldats qui pompaient.

Puis il cria bien fort pour se faire entendre de tous.

— Que cet exemple déplorable vous serve de leçon ! On fait son sport correctement pour devenir de vrais soldats, sinon vous ne me servez à rien ! Faites pas votre boulot à moitié, ou vous finirez comme celui-ci !


§


Conrad de Laval avait décidé d’une bataille en plein hiver. L’idée de ces routes enneigées lui paraissait riche. Ils auraient peut-être du mal à progresser, mais ils bénéficieraient de l’effet de surprise et limiteraient la probabilité que des troupes ennemies arrivent en renfort.

Le baron passait son armée en revue : après quelques semaines d’entraînement, il considéra les hommes suffisamment prêts pour la guerre. Il s’était débarrassé de des plus faibles, d’autres avaient complété sa deux-centaine.

Question équipement, il n’avait pas pu se payer tout ce qu’il aurait désiré. Hormis les soldats de métier qui possédaient un attirail potable, plus de la moitié de sa troupe n’avait pour toute protection qu’un bouclier en bois, plus ou moins bricolé et quelques pièces d’armures de cuir bouilli. Les armes de tir étaient rares, son père n’avait jamais suffisamment investi dans celles-ci. Encore une lacune dont il héritait. Heureusement, comme les mercenaires avaient leur propre matériel, certains en possédaient.

De lourdes charrettes tirées par des bœufs étaient chargées de transporter le ravitaillement pour au moins trois semaines, car il imaginait un siège. Si une quinzaine de chevaux étaient disponibles, ils étaient réservés, au jeune baron et à ses sergents.

Une fois la revue terminée, Conrad fit sonner le départ. La troupe s’ébranla, avec comme direction, l’Auberge des Quatre Chemins dont Conrad ne connaissait pas encore la véritable nature. Devant, des hommes marchaient pour tasser la neige, lorsqu’ils étaient fatigués, d’autres prenaient leur place, permettant ainsi à la colonne martiale d’avancer à bon train.

La route était pénible et longue. Mais la petite armée progressait sans relâche, et au bout de deux jours monotones, elle parvint à destination. Le soir, quand les murs crénelés de l’auberge parurent, Conrad annonça à ses troupes que leur destination était atteinte.

Monté sur son cheval, paradant devant ses guerriers, il commença à les haranguer.

— Messieurs, nous allons prendre d’assaut cette place forte. C’est un point stratégique vers la conquête d’autres terres. Elle appartiendra à celui d’entre vous qui se sera le mieux illustré et il aura l’honneur suprême de devenir mon vassal. Notre victoire convaincra d’autres de se joindre à nous.

Il fit quelques allers-retours pour que l’on apprécie sa grandeur équestre.

— Je vous ai réservé le meilleur pour la fin. Cette place n’est gardée que par des femmes. Celles qui survivront nous servirons à nous réchauffer…

Il partit d’un rire sarcastique.

Certains mercenaires se léchaient les babines rien que d’y penser, mais l’argument ne prit que peu de poids sur les garçons de ferme ou les gardes, bien trop honnêtes pour penser à de telles infamies.

— Quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce que ce sont des femmes que nous ne devons pas être vigilants. Je ne sais pas combien elles sont, ni ne connaît leur armement. Nous n’avons que peu d’armes de tir, aussi il serait dangereux, de vouloir les prendre d’assaut, nous ne sommes que peu face à des murs bien hauts et bien épais.

« Aussi, nous mènerons un siège. Nous allons encercler les lieux. Le jour sera constitué pour chacun, d’une phase de repos, une phase d’observation, et une troisième d’entraînement.

« Enfin, si certains souhaitent déserter, je vous préviens tout de suite, c’est une très mauvaise idée, car je m’occuperai moi-même du châtiment.

Le baron avait à peine fini de parler qu’un carreau vint se ficher à quelques mètres de lui, le ratant de peu. C’est alors qu’autour des remparts sortirent une quinzaine de têtes narquoises, leur propriétaire brandissant chacune une arbalète.

Une femme bien en chair fit son apparition.

— Vous feriez mieux de retourner de là d’où vous v’nez, bande de malotrus ! Nous n’allons pas gaspiller nos carreaux, mais… on a de quoi faire ! Vous voilà prévenus.

— On vous aura à l’usure ! Quand vous aurez faim, vous sortirez, et au contact, nous aurons l’avantage !

— En attendant, on a bien chaud ici, ça m’étonnerait que vous puissiez en dire autant !

Pétronille éclata de rire.

Les mercenaires qui possédaient des armes de tir s’en saisirent, mais les dames avaient déjà disparu derrière le chemin de ronde.


§


Gersande apportait des légumes-racines à l’auberge pour les vendre, lorsqu’elle aperçut de loin cet étrange attroupement. Une intuition lui souffla qu’elle devrait se méfier. Aussi, laissant de côté son panier, avança-t-elle sous le couvert du bois. Elle comprit vite que l’auberge était assiégée. Avec la plus infinie précaution, elle s’approcha du cercle d’hommes autant que possible et observa attentivement le campement qui s’installait. Elle en fit le tour à bonne distance, espérant repérer quelque chose qui pourrait servir aux habitantes des lieux, quand ses yeux tombèrent sur un cheval attaché à un arbre. Évidemment, les assiégeants se méfiaient du danger provenant de la bâtisse, et ne surveillaient en aucun cas l’extétieur.

Elle se glissa jusqu’au brave animal. Pour ne pas l’effrayer, elle lui caressa le museau, puis creusa la neige de ses mains, arracha de l’herbe sous-jacente et lui offrit. Reconnaissant, il ne se cabra pas lorsque la guérisseuse le détacha et l’entraîna plus loin.

Tenant la monture par la longe, Gersande marcha pendant plusieurs minutes. L’oreille tendue, elle se convainquit que l’ennemi ne pourrait plus l’entendre. Elle attacha l’animal et revint vers sa cabane pour y enfiler ses vêtements les plus chauds. La sage femme se munit d’un peu de nourriture et prit les quelques pièces d’argent que Marie-Sophie lui avait laissées. Au cas où…

Gersande retourna alors sur la route et tenta d’escalader le cheval. La seule fois qu’elle avait monté, elle était accrochée à Marie-Sophie. On lui avait fait la courte échelle. Mais là, il n’y avait personne. Appuyant son pied sur un étrier, comme elle l’avait déjà vu faire, elle parvint à se hisser sur le marchepied, mais le cheval fit un écart. Si elle ne s’était pas accrochée désespérément à la selle, elle aurait joliment chuté. L’animal se calma et elle l’enfourcha, plutôt couchée qu’assise…

— Merci mon beau !

Petit à petit, elle se redressa et lui donna un coup de talon sur les flancs, reproduisant ainsi ce qu’elle avait observé. Le cheval partit d’un petit trot qui la fit sauter sur la selle de manière très incommodante. Heureusement, il revint vite au pas.

— Tout doux, c’est bien, comment vais-je t’appeler ? Léandre, ça te va ?

Il lui fallut une bonne heure pour réussir à diriger le pauvre Léandre en contenant sa vitesse ! Gersande lui parlait avec douceur, le flattait à chaque réussite, et de fil en aiguille, ils s’apprivoisèrent.

Elle prit le chemin que Marie-Sophie avait emprunté pour se rendre à Montbrumeux. Sa sœur d’adoption lui avait expliqué la route à suivre, lui avait donné les noms des villes et des villages qu’il faudrait traverser.

Au petit matin, épuisée par la chevauchée, elle demanda le gîte et le couvert dans une auberge. Merci Marie pour cet argent que tu m’as laissé, je ne croyais jamais en avoir besoin.

Il lui fallut quasiment une semaine pour atteindre Montbrumeux.

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