3.1 – Arrivée attendue

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Qu’il est bien aise pour le voyageur au long cours de trouver un foyer accueillant.”

Comme chaque matin, chaque après midi et chaque soir, Layinah, depuis le chemin de ronde, scrutait l’horizon avec l’espoir de voir apparaître sa chère et tendre. Au loin, cinq chevaux approchaient à bon train. Cette fois-ci serait peut-être la bonne. Mmm ? Il n’y a probablement qu’une nouvelle donc.

Elle se rendit tout droit voir Héloïse, l’intendante.

— J’ai aperçu des chevaux au loin. Fais préparer les chambres d’Ellanore, Adélaïde et Marie-Sophie, plus une autre, chauffer de l’eau pour des bains et prendre les dispositions pour un banquet.

— À votre place, je ne serais pas si sûre de moi, et si ce n’était pas elles ?

— Au moins, nous serons prêtes. Envoie quelqu’un à leur rencontre, Fabiola ferait l’affaire ! Je retourne sur les remparts pour guetter !

Un long moment plus tard, la coursière parvint au niveau des cavalières et leva un drapeau blanc, signe que c’était bien elles.

Les réjouissances furent lancées avec enthousiasme ; Layinah courut se pomponner pour plaire à sa belle ; Héloïse s’affairait ici et là pour veiller au bon déroulement des préparatifs.

Magnifique dans son bliaud jaune tout propre, faisant ressortir sa peau à la couleur doucement caramélisée, Layinah retourna à son poste d’observation… Et se réveilla brusquement ; sa narcolepsie lui interdisait les longues chevauchées.

Elle chercha des yeux la petite troupe et la trouva bien plus proche que prévu. Les cavalières étaient parvenues au village. Elle ne pouvait distinguer correctement le visage de chacune, mais elle identifia son amour de comtesse immédiatement. D’après les couleurs des chevaux, elle en remarqua deux qui n’appartenaient certainement pas à leurs écuries : un gris pommelé et un pie-alezan. Il manquait donc l’une d’entre elles, et il y aurait finalement deux nouvelles !

— Héloïse !

§

Montbrumeux était enfin en vue. La citadelle construite sur une large colline, dominait le paysage environnant. Une petite ville avait poussé tout autour, des villages et des hameaux s’éparpillaient à sa périphérie. Les chevaleresses, pressées de retrouver leurs pénates, poussaient leurs chevaux un peu plus que les jours précédents. Pour la comtesse de Montbrumeux, c’était aussi revoir sa douce. Elle aimait partir en mission, mais préférait plus encore les retours.

Une cavalière vint à leur rencontre, et salua les chevaleresses. Opale reconnut Fabiola une des nouvelles écuyères.

— Votre Dame m’envoie vous accueillir, madame la comtesse.

— Ah, je la reconnais bien là. Je te présente Isabelle et Manon. Tu sais également que tu dois me tutoyer, c’est la règle.

Fabiola fit un rapide signe du menton aux deux nouvelles. Elles lui retournèrent leurs salutations plus chaleureusement. Puis, la messagère prit la tête de la colonne et envoya le signal requis en direction de la forteresse.

En approchant, elles distinguèrent l’immensité des lieux. Il s’agissait réellement d’une citadelle. Des fortifications, dépassaient un vaste château et une bâtisse dont on devinait l’origine religieuse par la grande croix ornant la façade : certainement le couvent dont Opale leur avait parlé. L’espace entre les murailles s’étendait suffisamment pour que de nombreux artisans y aient installé leurs ateliers.

Arrivées aux pieds de la montagne, elles durent ralentir leur allure afin d’emprunter un long chemin sinueux. Leurs chevaux franchirent la première ligne de fortifications. Trois demoiselles d’écuries se précipitèrent pour prendre en charge les animaux.

— Vous trouverez deux stalles, une pour Alizée le cheval Pie, l’autre pour Roxane, la grise pommelée. Prodiguez-leur les meilleurs soins ! Ces juments sont propriétés d’Isabelle et Manon que voici. Elles resteront ici.

— Bien Opale, dit la plus âgée.

Une femme toute vêtue de jaune, des larmes de joies plein les yeux, volait à leur rencontre. La nouvelle venue se jeta dans les bras d’Opale, elles s’embrassèrent comme si elles étaient seules au monde. Leur bonheur transparaissait et donnait de la joie à celles qui les entouraient.

— Oh ! Tu t’es fait toute belle, tu es un ange, Layinah !

Elles relâchèrent un peu leur étreinte.

— Tu as remarqué ! Tu es adorable !

Une inquiétude apparut sur son visage.

— Où est passée Marie ?

— Rien d’alarmant ! C’est une longue histoire, mon amour, on te racontera tout à l’heure. Il faut qu’on se décrasse, tu auras droit au récit de notre barde au banquet ! Je te présente Isabelle de Sautdebiche, et Manon, sa dame de compagnie.

Opale leur adressa un regard bienveillant. Elles exécutèrent une révérence devant la Dame.

— Mesdemoiselles, voici ma belle Layinah !

— Enchantée ! Heureuse de faire votre connaissance !

La dame de la comtesse les gratifia d’un sourire chaleureux. Isabelle et Manon admiraient sa magnifique chevelure aux boucles noires et brillantes, inédites dans cette partie du monde.

— Nous de même !

— Venez ! On vous a préparé le nécessaire pour votre repos et vos ablutions. Clothilde que voilà vous montrera vos chambres.

Suivant la dite Clothilde, Isabelle et Manon pénétrèrent dans le château. Tout y était plus grand et plus riche qu’à Sautdebiche : les plafonds plus hauts ornés de riches peintures, les escaliers plus larges recouverts de tapis, des murs recouverts de belles tapisseries.

Tout prouvait qu’il ne s’agissait pas d’une simple seigneurie, mais bien d’un comté.

Clothilde les guida dans l’aile gauche, au troisième étage. La chambre n’était pas aussi vaste que les appartements d’Isabelle, mais tout y était arrangé avec goût, et l’on avait installé le mobilier nécessaire pour que deux personnes de qualité y trouvent leur compte : un grand lit, deux armoires, deux secrétaires, deux fauteuils confortables.

Isabelle ouvrit une des armoires : évidemment elle était vide.

Deux jeunes femmes leur préparèrent un bain dans un baquet d’eau chaude, puis Clothilde parut à nouveau, leur apportant des habits à peu près ajustés.

— Lorsque vous serez prêtes, rendez-vous dans la grande salle du banquet. Vous ne pouvez pas la louper, c’est celle à l’entrée, avec d’immenses portes et des ours sculptés aux armes de la comtesse.

On les laissa enfin seules.

§

Lorsqu’elles franchirent le seuil de la grande salle, Layinah les attendait le sourire aux lèvres.

— Ah quelles retrouvailles ! C’est toujours aussi bien quand elle revient ! Enfin, nous voilà, venez je vous fais visiter. Voici la table du Bouton de Rose.

L’immense pièce circulaire était presque entièrement occupée par une table magnifique qui suivait les contours de la salle, comme si elle avait été construite pour l’accueillir. En approchant, les demoiselles découvrirent que le meuble n’était pas rond, mais constitué d’une multitude d’arabesques en marqueterie représentant les pétales d’une rose à la taille cyclopéenne.

Sur chaque chaise qui entourait la table un prénom était gravé.

— Celui-ci est au nom de Marie-Sophie ! s’écria Manon.

— Et là celui d’Adélaïde, lui répondit Isabelle, juste à côté, Ellanore.

La maîtresse de maison leur expliqua :

— Voyez, ici tout le monde a une chaise à son nom. Les chevaleresses sont à la droite de ma Dame, et à ma gauche sont les employées de la citadelle. Les nouvelles sont aux places les plus éloignées. Bien sûr, on ne sépare pas les couples ! Il faudra que l’on fasse retirer celle de Marie-Sophie, elle n’est pas là ainsi que je l’avais prévu.

— Mais il y a énormément de chaises ! s’étonna Isabelle, au moins une centaine !

— Il y a cent quarante-quatre places autour de la table, continua Layinah d’un ton docte. Il y a d’autres chaises, mais elles sont entreposées ailleurs. Heureusement, il n’y a jamais tout le monde à la fois ! Vous aurez bientôt les vôtres, le temps qu’on les fasse graver, et si jamais vous suivez la voie de la chevalerie, vous aurez droit d’y faire figurer vos armoiries !

— Oh regarde Manon, il y a une harpe !

— Tu sais jouer Manon ? Nous serons heureuses d’entendre tes talents ! s’exclama Layinah.

— Bien sûr, et Isabelle aussi !

Manon regardait attentivement la grande table.

— Je vois des noms au centre.

Il y avait trente-sept noms.

Une ombre passa sur le visage de Layinah.

— Hélas, mes amies, ce sont celles qui nous ont quittées. Elles figurent au milieu, afin qu’on ne les oublie jamais.

Elle soupira.

— Mais revenons à des choses plus gaies ! continua-t-elle, Ce soir, nous fêtons votre arrivée, le retour de nos camarades et de mon aimée. Vous serez placées à droite d’Opale, mais à partir de demain, vous rejoindrez nos nouvelles.

« Alors, qu’avez-vous envie de devenir dans notre communauté ? Beaucoup de métiers recherchent des apprenties, il y a aussi le couvent. À moins que vous ne choisissiez d’embrasser le métier des armes.

— Layinah, laisse-les un peu tranquilles, ma chérie, on verra tout ça demain. Ce soir, c'est la fête ! Prenez place mes amies.

Opale de Montbrumeux, magnifique, venait d’arriver dans un bliaud de gueules. Elle était suivie par quelques dames qui prirent place autour de la table. Petit à petit celle-ci commença à s’animer.

— Qui sont ces messieurs ? s’enquit Isabelle voyant entrer quelques hommes.

— Ce sont des employés du château, et les amis de certaines d’entre nous, expliqua Opale. Je vous l’ai dit, si la plupart d’entre nous est attirée par les femmes, ce n’est pas le cas de toutes.

Ellanore venait de faire son entrée aux bras d’Adélaïde et d’un jeune homme.

— Et le petit bonhomme à côté d’Ellanore, c’est le fameux tailleur ?

— Oui, il vit à la citadelle. Il est gentil comme tout. Notre Ellanore a deux amours dans sa vie. Chacune a le droit de vivre comme elle l’entend, nous respectons l’intimité de chacune de nos membres.

Adélaïde vint s’asseoir à côté de Manon, Ellanore à sa suite, puis le tailleur. Elle sourit largement à l’adresse de la novice qui tenta d’entamer la conversation.

— Ta place est tout près de la comtesse, ça veut dire que tu es importante ?

— Oui, avec Marie-Sophie et Ellanore, on fait presque toutes nos missions ensemble. On en a fait d’belles !

— J’imagine !

Lorsque toutes les convives furent autour de la table, Opale de Montbrumeux tapa dans ses mains pour faire silence. Après avoir prononcé une bénédiction, elle entama un discours :

— Aujourd’hui est un jour de joie ! D’abord parce que j’ai le bonheur de retrouver ma chérie, ensuite, nous avons deux nouvelles recrues, Isabelle et Manon, dit-elle en les désignant.

Tout le monde applaudit. Isabelle et Manon sentirent le rouge monter aux joues d’être montrées ainsi devant tout ce monde, mais le bonheur de faire partie de cette sororité l’emporta.

À l’heure des desserts, Ellanore sortit son luth et prit place à côté de la harpe.

— Je vais vous conter l’histoire héroïque du sauvetage d’Isabelle et Manon par la grande Opale de Montbrumeux, ainsi que de la sorcière Gersande. Vous allez voir, c’est pas piqué des vers !

Et elle commença.

Un peu plus tard, plusieurs joueuses de harpe se succédèrent, et l’on demanda aux deux arrivantes de montrer leurs talents. Nombreuses furent celles qui montèrent sur la table pieds nus pour danser.

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