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Sa robe bleu marine bien repassée, Arganthaëlle profitait des rayons de soleil de mars, un châle sur les bras, blanc pour respecter la tradition de l'équinoxe. Elle se mordilla les lèvres avant de se rappeler qu'elle les avait peintes avec du rouge à lèvres. En avait-elle trop fait ? Elle avait longtemps hésité en observant le tube retrouvé dans un tiroir de sa mère. Elle s’étudia dans le miroir. Ses longs cheveux bruns ondulaient autour de son visage. Sa peau n’était jamais pâle même au sortir de l’hiver au vu du temps qu’elle passait à l’extérieur. Le rouge sur ses lèvres faisait ressortir le bleu de ses yeux. Elle sourit. Pour une fois, elle avait l’impression d’être jolie malgré ses traits marqués. Mais peut-être que Serge n’avait aucune intention romantique à son égard. A tous les coups, il se sentait obligé de la remercier encore pour cette cheville. Elle secoua la tête. Non, il l’avait déjà fait. S’il l’avait invité après leur diner, c’est qu’il l’avait trouvé d’agréable compagnie.

Un bruit de moteur se rapprocha. L’avantage d’habiter dans la campagne profonde, c’est que l’on sait toujours quand on a de la visite. Sauf quand il s’agit d’un randonneur perdu, songea-t-elle. Dans la cour, débarqua une Renault 5. Serge sortit de l'arrière de la voiture et vint lui baiser la main.

— Je suis venu avec mon frère. Sa petite amie est là aussi, chuchota Serge à l'oreille d'Arganthaëlle.

Cette dernière grimaça. Elle n'avait pas imaginé qu'ils seraient plusieurs. Elle avait assurément prêté des intentions à Serge qu’il n’avait pas.

— D'accord, lâcha-t-elle.

Serge perçut son désarroi, car il reprit :

— C'est juste pour le trajet.

Arrivés dans une prairie entourée de grands arbres, Arganthaëlle et Serge s'éloignèrent rapidement de son frère et son amie. Ils avaient subi leur niaiserie tout le trajet et d'un regard complice avaient compris qu'ils partageaient la même opinion. Trop de « Tu chantes aussi bien que Sylvie Vartan, mon cœur. Même mieux ! » au son de la radio.

Une multitude de nappes colorées étaient installées dans l'herbe verte, des paniers sur le côté. Arganthaëlle déposa une quiche sur l'une d'elles qui contenait déjà terrines, salades, poulets rôtis, cakes. Le partage était un mot d'ordre de l'équinoxe. Et le pique-nique organisé à l’occasion était le meilleur moyen de le faire.

Se promenant parmi la foule, la chaleur du soleil réchauffait le visage d'Arganthaëlle, ses yeux bleus plissés par la lumière. Serge approcha la main de la sienne et la saisit délicatement. Elle se tendit avant de se relâcher sous le contact agréable. Ça voulait dire quoi exactement ? Ils étaient amis ? Ou plus ? Que voulait Serge exactement ? Du coin de l’œil, elle l'examina.

Les lèvres roses de Serge étaient étirées dans un sourire, son visage respirait la quiétude. A l'intérieur d'Arganthaëlle, au contraire, tout bouillonnait.

— Ça va pas ? demanda-t-il.

— Si, c'est juste que tout ça, c'est nouveau pour moi, expliqua-t-elle en désignant leurs mains entrelacées.

— Pour moi aussi, souffla-t-il.

Jeux et grignotages durèrent tout l'après-midi. Arganthaëlle appréciait le contact de la main de Serge qu'elle n'avait pas lâché, à l'exception du roulage général dans l'herbe. Cette tradition de l’équinoxe consistait à se jeter du haut d’une colline pour dévaler la pente en roulant. Les vêtements blancs se retrouvaient alors tâchés de vert et marquaient le début de la saison.

Les années précédentes, elle venait avec son frère Aymeric, absent aujourd'hui, trop occupé avec son Isabel. Elle poussa un soupir. Alors qu'elle aurait tout donné pour faire partie de l'Ordre, son frère ne semblait pas avoir envie d'y rester. C'était tellement ironique.

— Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as l'air soucieuse d'un coup, remarqua Serge.

— Je pensais à mon frère qui cherche presque à fuir l'Ordre et à moi qui donnerait presque tout pour l'intégrer.

— Presque tout ? demanda-t-il un sourcil levé.

— C'est mon rêve le plus cher, avoua-t-elle. Tu es le premier qui semble comprendre.

— Ça m'étonne pas, déclara-t-il en caressant délicatement son bras.

Arganthaëlle frissonna au contact. Pour la première fois de sa vie, elle avait l'impression d'être acceptée entièrement. Levant les yeux vers Serge, son attention se fixa sur ses lèvres si bien dessinées. Que ressentirait-elle en l'embrassant si une simple caresse la bouleversait ainsi ?

La bouche de son compagnon s'étira dans un sourire puis il approcha son visage du sien. Arganthaëlle, le regard toujours rivé sur sa bouche, frémit d'anticipation. Enfin, leurs lèvres entrèrent en contact. C'était doux et chaud. A l'intérieur d'Arganthaëlle, un véritable feu d'artifice de sensations prit place. C'était pour ça que les gens ne cessaient de s'embrasser. Avidement, elle approfondit le baiser, agrippant la chemise de Serge. Elle aurait souhaité que cela ne s'arrête jamais. Serge s'éloigna, essoufflé. Ses yeux brillaient d'une lueur qu'elle n'avait jamais vue.

— On recommence ? demanda Arganthaëlle, ne pouvant retenir les mots.

Serge s'esclaffa mais s'exécuta avec dévotion. Le reste de l'après-midi ne fut plus que baisers, caresses et rires. Arganthaëlle avait l'impression d'être entrée dans une nouvelle dimension, celle des amoureux.

Au crépuscule, tous les assemblés se retrouvèrent sur la plage autour d'un groupe d'hommes revêtus de robes blanches, les druides. Devant chacun une petite coquille de noix ouverte était disposée. Les mages tracèrent des symboles dans le sable puis scandèrent un mot incompréhensible. Arganthaëlle tenta de voir les dessins, mais déjà les bouquets d'aromates, catalyseurs magiques, s'étiolaient et les runes s'effaçaient. Une à une, les coquilles s'allumèrent comme si une bougie était disposée à l'intérieur. Les druides les saisirent et s'avancèrent dans l'océan, l'eau jusqu'aux mollets. Ils les déposèrent puis revinrent au rivage. Chacun put admirer la centaine de points lumineux tressauter au gré des vagues. La coutume voulait que l'on fasse un vœu avant que la mer ne parvienne à éteindre toutes les lumières.

Arganthaëlle jeta un coup d’œil à Serge à ses côtés. Que souhaitait-elle ? Que leur histoire s'approfondisse ? Qu'ils se marient ? Qu'ils aient des enfants ? Un soupir lui échappa. Peut-être. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait plus que tout. Elle voulait devenir druide. Se concentrant sur cette pensée, elle observa les vagues prendre le dessus sur les coquilles, marquant ainsi la fin de l'hiver.

Sur le trajet du retour, Arganthaëlle et Serge marchaient lentement. Les petites caresses du pouce de Serge remuaient quelque chose chez la jeune femme.

— J'ai vu comment tu essayais d'étudier les runes.

Arganthaëlle rougit.

— J'aimerais savoir. Je voudrais essayer !

Elle regarda le sol, gênée d’avoir été prise en flagrant délit. Puis la colère prit le dessus.

— Après tout, qui a décidé que les femmes ne pouvaient pas jeter de sortilèges ? Qui a décidé que j'étais une simple vates ?

— Diable ! Mais tu es une véritable suffragette ! Je suis d’accord, c'est ridicule de fermer la porte au nez des femmes. Le système est si archaïque... Comment ça se fait que tu n'aies pas de voiture ?

— Par les korrigans ! Je vois pas le rapport. Une fois tu parles de runes et après de voiture ?

— Ça m'étonne juste qu'une féministe comme toi n'aie pas passé le permis pour plus d'indépendance.

— C'est pas que j'ai pas passé le permis. C'est que personne a voulu me le donner...

Serge s'arrêta de marcher et la fixa :

— Personne ne t'a donné le permis ? Tu sais que c'est pas quelque chose qui se donne ?

Arganthaëlle haussa les épaules.

— Enfin, au bout de cinq fois, ils auraient pu me le filer ! C'est juste parce que je roule un peu vite et que je suis une femme, je suis sûre ! Si j'étais un homme, ils me l'auraient donné.

Son ami - petit ami ? - s'esclaffa.

— Fais-moi penser de ne jamais te laisser conduire !

— Certainement pas. C'est un complot à l'encontre des femmes. Je roule pas si vite.

Il secoua la tête en ricanant.

— Une fois, deux fois, je dis pas. Mais cinq fois ! Je pense qu'il faut accepter que tu conduis mal, là !

— N'importe quoi !

Croisant les bras devant elle, elle fit mine de bouder.

Serge s'approcha et apposa ses lèvres sur les siennes pour entamer un doux baiser. Arganthaëlle frémit à ce contact. Sa colère s'évapora.

— Pour le permis, je peux rien pour toi. Mais pour l'Ordre, j'ai une idée, proposa Serge en s'écartant.

L'espoir saisit d'Arganthaëlle.

— Quoi ?

— Comme je ne fais plus partie de l'Ordre, je vois pas pourquoi je t'enseignerai pas quelques trucs.

— Vraiment, tu ferais ça ?

Il hocha la tête.

— Ces idiots ne s'en remettraient pas de te voir lancer des sortilèges.

Un sourire machiavélique habillait son visage. Arganthaëlle s'empressa d'acquiescer. Il reprit :

— Je pourrais t'apprendre à tracer les runes et leurs diverses significations. Les bouquets d'aromates, tu devrais gérer facilement ?

— Ah ça oui, la plupart des vieux schnocks qui sont trop âgés pour se baisser viennent m'acheter leurs herbes.

— Je ne pourrai pas tout t'enseigner vu qu'ils m'ont pas gardé longtemps. Mais juste assez pour épater la galerie !

Jamais son vœu de l'équinoxe de printemps n'avait semblé être efficace. Mais cette année... Arganthaëlle avait envie de sauter partout. Elle se retint de justesse, saisit la main de Serge et l'attira contre d'elle pour un baiser de remerciement qu'elle s'efforça de rendre convaincant.

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