Après plus d'une heure passée dans le bureau de l'assistante sociale, Anna récupéra sa fille auprès de Sylvie. Elle appela ensuite un taxi afin de se rendre chez le docteur Shumman. La jeune femme avait le ventre noué à l'idée de consulter le médecin, mais semblait tout de même soulagée de pouvoir enfin se libérer de ce poids énorme.

Le taxi s'arrêta devant le cabinet médical. Réglant la note au chauffeur, Anna s'empressa d'entrer dans le bâtiment. Par chance, deux personnes seulement patientaient dans la salle d'attente. Quand vint son tour, Anna prit une grande respiration avant de pénétrer dans la salle de consultation.

– Je viens de la part de Magalie Thompson, c'est elle qui m'a conseillée de venir vous voir, annonça Anna tandis que le docteur fermait la porte.

L'homme se retourna, scrutant la jeune femme de ses yeux gris vert. Ses cheveux grisonnants plaqués sur le crâne laissaient penser qu'il devait avoir passé le cap de la soixantaine. Le médecin invita ses patientes à s'asseoir à son bureau un moment.

– Donc, c'est Magalie Thompson qui vous envoie me consulter, quel est votre nom ? demanda le docteur en ajustant ses lunettes sur son nez.

– Anna Heggins et voici ma fille, Suzy.

– Anna Heggins, répéta-t-il pour lui-même. Et que puis-je faire pour vous, madame Heggins ?

La jeune femme laissa la question en suspens pendant un court instant. Elle avait la bouche sèche et son coeur s'était mis à tambouriner dans sa poitrine. La main de Suzy vint se poser doucement sur son avant bras comme pour l'encourager à répondre. Anna avala ce qui lui restait de salive, puis se décida à avouer la dure vérité.

– Je suis victime de violences conjugales, et j'aimerais me faire examiner.

Le docteur Shumman ôta ses lunettes qui, accrochées à un élastique, retombèrent sur son torse. Il dévisagea Anna d'un air désolé en réprimant un soupir. L'homme devait avoir consulté un certain nombre de femmes battues et à chaque fois, se demandait certainement comment un homme arrivait à lever la main sur une femme.

Pour l'examen, Anna fut priée d'enlever ses vêtements afin que le médecin puisse relever les éventuelles contusions marquant son corps. Il remarqua de suite, le bleu sur le visage de la jeune femme. Cause des nombreuses gifles qu'elle avait reçues. Une légère cicatrice garnissait son front, en souvenir du coin de meuble rencontré lors d'une chute. Ramenant sa chevelure châtain derrière son dos, Anna en dévoila un gros hématome au niveau de la clavicule. Le docteur écarquilla les yeux à la vue de la grosseur, mais il comprit bien vite toute la force qu'avait mis le mari pour oppresser ainsi sa clavicule. L'homme releva également des marques logées à hauteur de ses poignets.

Pendant l'examen médical, le médecin, avec l'accord de sa patiente, prit des photos des contusions observées afin de constituer le dossier. Néanmoins, les bleus apparents n'étaient pas les seules lésions blessant son pauvre corps martelé. Le docteur Shumman eu connaissance de l'agression sexuelle qu'avait subi la jeune femme. Et c'est avec effroi qu'il apprit aussi que des coups avaient été porté sur la petite fille.

Alors que sa maman se rhabillait rapidement, le médecin proposa à Suzy de se déshabiller. Il répéta l'étape précédente et découvrit des traces s'estompant sur les joues de la fillette. Une autre photo venait s'ajouter au dossier médical. La dernière, fort heureusement.

L'examen étant achevé, l'homme en blouse blanche griffonna les informations que lui avait donnée sa patiente, ainsi que la mention de la pommade prescrite pour ses bleus.

– Je vais vous orienter vers un service d'urgence afin que vous passiez un examen gynécologique, expliqua-t-il en notant l'adresse sur un post-it qu'il tendit à Anna.

Une vague d'inquiétude traversa les yeux clairs de cette dernière. Le médecin ne manqua pas de lui préciser que le service dans lequel il la dirigeait, était habitué à recevoir les femmes victimes de violences. Elle n'avait donc pas à se tracasser.

Vingt minutes plus tard, Anna arriva au centre hospitalier de New York. Serrant la main de sa fille, toutes deux se dirigèrent vers le service qu'avait mentionné le docteur Shumman. La jeune femme aurait bien voulu avoir Taylor à ses côtés, mais si elle voulait que le dossier soit fait assez rapidement, elle devait se rendre à l'hôpital sans tarder.

L'attente fut longue. Après presque une heure à patienter, Anna put enfin se faire examiner. La gynécologue ne releva que de légères rougeurs au niveau du vagin, et lui assura qu'elles disparaitraient d'ici quelques jours. Les résultats seraient envoyés au docteur Shumman pour qu'il puisse les intégrer dans le dossier.

Enfin. Anna et Suzy purent enfin rentrer au logement du policier. La jeune maman était exténuée par cette journée, mais ne regrettait pas d'avoir entamé les démarches. Un processus se mettait en place et ça, elle en était fière. Anna était fière d'avoir osé en parler. Elle était fière de voir que des personnes la soutenaient afin qu'elle soit libérée de l'emprise de son mari.

Toutefois, cette joie fut de courte durée. Allongée dans le divan, Suzy s'était endormie d'épuisement pendant que sa mère avait allumé son cellulaire. Cette dernière découvrit le contenu de sa messagerie avec stupéfaction. Une dizaine de messages dont le destinataire n'était autre que ce cher Franck, apparaissaient sur l'écran. Contrairement aux précédentes excuses qu'il avait faites, ses propos-ci n'avaient rien d'un pardon. Les messages n'étaient que menaces et injures.

" Tu n'as pas le droit de me prendre ma fille ! Si je te retrouve, tu es morte ! "
" Je vais te retrouver et tu vas payer pour ce que tu as fait. Je vais te tuer, tu comprends espèce de saloperie ? Je vais te massacrer ! "

Anna resta bouche bée face à ce contenu insultant. Une main vint ce placer sur sa bouche alors que ses yeux s'embuaient de larmes. Elle qui était si fière des démarches qu'elle avait entreprises, se demandait maintenant si elle avait fait le bon choix.

– Anna ? Est-ce que ça va ? s'inquiéta une voix derrière elle.

La jeune femme sursauta, puis se retourna vers Taylor qui était planté à quelques mètres d'elle. Tout en tremblotant, Anna lui montra le téléphone. Le policier s'approcha avant de s'emparer du portable. Ses yeux s'agrandirent de surprise quand il lut les nombreux messages provenant de Franck.

– Je n'aurais pas dû accepter votre aide, je n'aurais jamais dû, souffla Anna d'un ton paniqué.

– Ne dites pas ça, vous avez pris la bonne décision et vous le savez aussi bien que moi, répondit l'agent en tournant la tête vers elle.

– Il va me retrouver, s'affola-t-elle. Il va retrouver ma fille et il va nous tuer !

La jeune femme s'agitait, Taylor lui attrapa les épaules et plongea son regard dans le sien.

– Je ne le laisserai pas faire, vous m'entendez ? Vous et votre fille, êtes sous ma protection et jamais il ne touchera à un seul de vos cheveux ! répliqua-t-il très sérieusement.

Anna acquiesça d'un hochement de tête. Taylor avait raison, il n'était pas question qu'elle se laisse abattre par cet homme. Si cela arrivait, il aurait gagné, car c'était exactement ce que Franck attendait. Anna devait à tout prix montrer qu'elle était plus forte et qu'elle voulait s'en sortir. Il n'y avait que comme ça qu'elle réussirait.

Malgré tout, la panique la plongeait dans l'hésitation, l'incertitude la plus totale. À chaque fois que la peur la submergeait, la jeune femme mettait en doute tout ce qu'elle faisait. Heureusement, le policier savait employer les bons mots pour la réconforter. Notamment, en la félicitant pour le courage dont elle avait fait preuve au cours de cette journée. Ces compliments suffirent à lui redonner le sourire.