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« Je suis d’avis que pour bien s’entendre avec ses subordonnés, un capitaine doit les inviter à boire de temps en temps !

- Tu as tout à fait raison, Shinpachi, s’amusa Okita, d’ailleurs permets-moi de te signaler que tu es déjà passablement éméché.

- Je montre l’exemple, il faut bien se faire plaisir ! »

L’autre capitaine acquiesça avant de vider sa coupe de sake. Il regarda les personnes présentes dans la salle, qui discutaient avec entrain et profitaient de la joyeuse ambiance qui s’installait. À sa gauche, Shinpachi semblait déterminé à s’entraîner pour le jour où Heisuke reviendrait. Iwanaga était assis directement à sa droite tandis que Saitō lui faisait face. Cinq hommes de la troisième division venaient compléter la joyeuse assemblée, répartis autour d’eux. Au bout de la salle, une geiko achevait sa danse, accompagnée au shamisen par une de ses compagnes. Les dernières notes résonnèrent et elle salua, applaudie par un public masculin enthousiaste. Les deux femmes rangèrent instrument et accessoires pour retourner servir leurs hôtes. La musicienne s’occupait du côté de Saitō tandis que la danseuse s’affairait de l’autre. Malgré le fait qu’elle fît attention à échanger quelques mots avec chacun, il sembla à Okita qu’elle arrivait bien vite à son niveau. Alors qu’elle lui versait du sake, elle engagea la conversation :

« Seriez-vous le célèbre Okita Souji ?

- En effet, bien que ma renommée soit plus étendue chez les morts que chez les vivants.

- Vous ne manquez pas d’esprit, sourit-elle, se pourrait-il que votre répartie soit aussi aiguisée que votre lame ?

- Peut-être, cependant je doute qu’elle puisse concurrencer le sens de l’à-propos d’une geiko. »

Elle parut amusée et il ajouta :

« Puisque vous connaissez mon nom, puis-je vous demander le vôtre ?

- Umeko. répondit-elle.

- Un joli prénom. Toutes les geiko ont-elles des noms liés aux fleurs ?

- Une majorité dans cette maison, cependant je ne puis affirmer qu’il en est de même ailleurs.

- Vous l’avez choisi en lien avec celui de votre onēsan ?

- En quelque sorte, elle s’appelait Emiko.

- Vous avez été l’élève d’Emiko ? demanda-t-il, surpris.

- Certes, si vous voulez je vous parlerai d’elle une autre fois. »

Elle reposa la bouteille vide d’un geste délicat et s’inclina avant de se tourner vers Iwanaga. Ils parlèrent peu tandis qu’elle le servait et elle retourna ensuite au bout de la salle où l’autre femme l’attendait. Toutes deux interprétèrent un chant sur les saisons éphémères, la voix aérienne d’Umeko portée par les accords nostalgiques du shamisen.

« Elle est douée, n’est-ce pas ? commenta Iwanaga.

- Plutôt, acquiesça Okita, vous la connaissiez déjà ?

- Oui, quand j’y étais allé avec Shinpachi c’était elle qui nous avait servis.

- Vous vous y êtes souvent rendus ?

- Quelques fois ces dernières semaines. »

Leur discussion se poursuivit un moment, dérivant sur divers sujets, jusqu’à ce que la recrue pose une question qui éveilla son attention.

« Que pensez-vous du Bakufu en ce moment ? »

Okita échangea un regard avec Saitō, qui faisait mine de savourer son sake mais écoutait attentivement leur échange. Le capitaine de la première division marqua un temps avant de déclarer :

« Eh bien, je trouve qu’il a quelques difficultés en ce moment à cause du Chōshū, mais je pense qu’il s’en sortira.

- Vraiment ? Le shogun pourrait être surpris dans les mois à venir, il ne prend pas en compte l’inattendu. »

Le guerrier avait visiblement dépassé son seuil de résistance à l’alcool, et paraissait prêt à bavarder. D’un coup d’œil, Saitō indiqua à son ami :

C’est le moment idéal, fais-le parler.

« Que voulez-vous dire ? reprit Okita. Le gouvernement est solide, je ne vois pas ce qui pourrait lui arriver.

- C’est parce que les apparences sont trompeuses. Ce régime est en place depuis longtemps, il n’imagine pas qu’il pourrait y avoir du changement. »

Le jeune homme réprima un sourire méprisant. Le Chōshū s’était choisi un bien piètre espion, s’il s’avérait qu’il travaillait pour eux. Il s’apprêtait à le questionner plus avant quand des applaudissements retentirent, attirant leur attention. Umeko venait de terminer une partie de Tora Tora avec un des convives, qu’elle avait largement remportée. Le roshi retourna à sa place et elle prit la parole :

« Le prochain jeu sera le konpira fune fune. Et pour commencer, je défierai… »

Elle survola la salle de son regard enjoué avant d’annoncer :

« Okita-sama ! »

Il fut tenté de décliner mais risquait d’intriguer l’assemblée. D’un imperceptible signe de tête, il demanda à Saitō de continuer à faire boire Iwanaga afin de lui soutirer des aveux. Il se leva et rejoignit la geiko, qui avait préparé la petite table et la boîte. Tous deux s’assirent de part et d’autre et la musicienne commença la mélodie d’accompagnement. Les participants posaient la main tour à tour à plat sur la boîte et si l’un d’eux prenait l’objet l’autre devait fermer son poing sur la table. Une fois les premières mesures passées, la musique s’accéléra en même temps que les mouvements des joueurs. Le guerrier et la geiko paraissaient animés d’une égale détermination et un éclat résolu brillait dans leurs yeux. La partie progressait de plus en plus vite, la tension montait et derrière leur sourire se devinait une solide volonté de gagner. Chacun essayait de piéger l’autre mais leurs tentatives demeuraient vaines. Les spectateurs s’étaient faits plus calmes, conscients de l’enjeu que les adversaires conféraient à cette confrontation. Finalement, Okita retira la boîte et Umeko se trompa de geste. Elle laissa échapper un cri surpris avant de rire comme une enfant.

« Félicitations, Okita-sama ! Je n’avais pas perdu depuis longtemps !

- C’est signe que cette victoire devait m’appartenir ! affirma-t-il, l’air espiègle.

- Vous avez de bons réflexes !

- Je les dois à ma dangereuse vie, plaisanta-t-il, mais je ne pensais pas qu’ils pourraient me servir à ça. »

La jeune femme s’esclaffa de nouveau.

« Je pense que je vais affronter quelqu’un d’autre pour la prochaine partie. Saitō-sama, par exemple, il me paraît moins susceptible de me prendre en traître. »

Okita sourit et se leva pour retourner à sa place. Quand il croisa son ami celui-ci lui signifia qu’il n’avait rien pu tirer d’Iwanaga. Alors qu’il s’asseyait, ce dernier lui glissa d’un air complice :

« Je crois que vous plaisez à Umeko.

- C’est-à-dire ? s’étonna le jeune capitaine.

- Elle n’a d’yeux que pour vous depuis tout à l’heure. Vous ne lui êtes pas indifférent, c’est évident. »

Okita réprima un soupir. L’alcool faisait tenir des propos incohérents à la recrue.

Pas étonnant que Hajime-kun n’ait pas réussi à le faire parler. pensa-t-il. Inutile de tenter quoi que ce soit de plus, c’est assez pour ce soir.

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