Chapitre 19

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— Bon, Mesdemoiselles, installez-vous en silence s'il vous plaît. Il y aura de la place pour tout le monde, dis-je.

C'était enfin notre deuxième visite au centre de maternité. Il avait été organisé un entretien avec des jeunes filles qui attendaient de mettre au monde un bébé. Même si nous avions fait des cours de procréation, cette rencontre permettrait à mes élèves de poser toutes les questions, qui pouvaient leur passer par la tête. Je me souvenais de ma propre venue en tant qu'enfant dans ce lieu. J'avais été très intriguée à l'époque, par ces femmes aux ventres rebondis et un peu effrayée aussi, d'être à mon tour à leurs places.

— Mais bon sang, Mesdemoiselles, pouvez-vous vous taire, criai-je.

J'étais fatiguée. Le week-end avait été épuisant, bien qu'agréable. Mais entre les travaux et les câlins, j'avais assez peu dormi. Et puis en ce moment, je me réveillais toujours fatiguée, sans raison valable. Je commençais même à me dire qu'il me faudrait prendre un rendez-vous avec mon médecin.

Enfin, tout le monde était installé. Sur une petite estrade, se trouvaient trois jeunes filles avec des ventres plus ou moins gros. La première, un peu rondelette, avait surtout une très grosse poitrine et ne devait être qu'au début de sa grossesse. La deuxième au contraire était grande avec des épaules larges et son ventre semblait sur le point d'exploser. Il restait donc la troisième jeune fille qui semblait la plus jeune et qui était le parfait entre-deux.

— Qui veut commencer à poser une question ? demanda la directrice.

Immédiatement, plein de petites mains se levèrent et une fut choisie au hasard.

— Bonjour, je voulais savoir si ça faisait mal, demanda Nina.

— Et bien, je pense être la mieux placée pour répondre, dit la plus grande. Alors pour commencer bonjour, je m'appelle Marie. J'ai bientôt fini ma grossesse et l'expulsion est prévue pour la semaine prochaine. J'ai eu pour ma part de petites douleurs à partir du cinquième mois. Dans le dos, mais aussi dans le ventre, qui tire un peu. Mais rien de bien méchant. C'est variable d'une fille à l'autre.

— Bonjour, je m'appelle Lou. Et bien moi, je n'ai vraiment aucune douleur, mais je n'en suis qu'au sixième mois, répondis la plus jeune.

De nouveau, les mains se levèrent encore plus frénétiquement. Ce coup-ci, Agathe fut désignée.

— Ça dure combien de temps ?

Je me demandais pourquoi je leur avais fait cours. Ces questions avaient pourtant déjà été abordées.

— Bonjour, je m'appelle Amélie. Donc normalement neuf mois, mais il arrive que certaines filles soient prêtes plus tôt.

— Mais alors c'est quoi qui est bien ? demanda Agathe.

— Heu... Bonne question.

Les trois filles se regardèrent et hésitèrent longuement, quand enfin la plus jeune répondit.

— Il y a une chose qui est cool. C'est que pendant toute la grossesse, on n'a plus nos règles.

— C'est quoi...

— Agathe laisse tes camardes répondre, l'interrompis-je.

J'avais oublié ça. L'arrêt des règles. Et à bien y réfléchir, elle n'avait pas tort, c'était sûrement le seul point positif. Même si on nous rabâchait à longueur de temps que nous devions le faire pour le bien de la communauté, il y avait beaucoup de contraintes. Des fois, secrètement, je repensais à ce bébé que j'avais mis au monde. Où était-il ? Comment s'appelait-il ?

Les questions s'enchaînaient rapidement. Les filles voulaient surtout comprendre ce que l'on pouvait ressentir ou ce que l'on pouvait faire pendant ses journées.

Perdue dans mes pensées, je me rappelais que j'avais prévu de faire un petit tour dans les locaux. Il ne me restait plus qu'une petite heure, devant moi, pour agir.

— Où sont les toilettes, Madame Lanoire ?

— Il y en a au Rez-de-chaussée, il vous suffit de suivre les indications sur les murs.

Bon, comment allais-je trouver des indices et surtout comment allais-je faire. Pour commencer, je lisais les différents panneaux sur les murs, espérant trouver l'inspiration. Par chance, les toilettes étaient dans la même direction que les salles d'expulsion. Il me semblait que je pourrais sûrement y trouver des indices. Il n'y avait personne dans les couloirs. Mais j'avais souvenir que nous n'étions pas très nombreuses à l'époque et qu'il n'y avait d'ailleurs pas d'expulsion tous les jours.

Avançant dans les couloirs, sur une porte, je vis l'étiquette : salle d'insémination. C'était sûrement une salle très intéressante, bien plus même que la salle d'accouchement. Je plaquais mon oreille à la porte et entendis du monde discuter dans la pièce. Les voix étaient diffuses, mais il me semblait qu'il s'agissait d'une jeune fille et d'une femme d'âge mûr. En toute logique une jeune femme devant se faire inséminer.

Quelques souvenirs remontèrent et déclencher une forme de haut-le-cœur. J'avais enfoui en moi ce passage de ma vie, préférant croire qu'il ne représentait rien. Et pourtant...

— Madame, vous avez vu ma maman ? dit un enfant qui n'était de toute évidence pas une petite fille.

Je ressentis un terrible instant de panique. Me frottant les yeux pour vérifier que je ne rêvais pas, le petit garçon avait disparu.

— Restez là quelques instants, je reviens tout de suite, dit le médecin en entrouvrant la porte.

— Vous avez laissé tomber un mouchoir, dit la jeune fille.

Heureusement, ce petit contretemps me laissa le temps de trouver une solution et d'entrer dans la première salle venue. Il y avait dans cette pièce des armoires vitrées, dans lequel se trouvaient des éprouvettes par centaines. Je compris rapidement que quelqu'un n'allait pas tarder à y entrer pour en prendre une.

Il me fallait agir vite et le seul endroit, où je pouvais espérer avoir une chance, était sous le bureau.

Mon cœur battait à tout rompre et ma respiration s'accélérait. Je pris conscience que cette dernière était bruyante et allait sûrement me faire repérer. La porte s'ouvrit enfin. Je retenais mon souffle ne laissant que le minimum d'air passer entre mes lèvres. La femme ouvrit un tiroir juste au-dessous de moi, alors que je me faisais la plus petite possible, me mettant hors de sa vue. J'entendis le cliquetis reconnaissable d'un trousseau de clés. Elle se dirigea ensuite vers une des armoires, qu'elle ouvrit, pour y prendre sûrement une éprouvette.

Enfin, elle était repartie en redéposant les clés dans le bureau.

Je sentis immédiatement mon corps se relâcher et se détendre. Mais il ne me fallait pas perdre trop de temps. Je sortais de sous le bureau, vérifiant qu'elle avait bien quitté la pièce et ouvrit le tiroir. Il y avait bien, devant moi, le moyen d'ouvrir ces étagères à éprouvettes. Ni une ni deux, j'en volai une et la glissai dans ma poche.

En sortant de la pièce, il n'y avait heureusement personne dans les couloirs. Le mieux était de retourner à l'auditorium, pour ne pas éveiller les soupçons, même si maintenant, j'avais réellement envie de pipi.

— Vous vous êtes perdue, madame Boudière ? me demanda la Directrice, alors que j'arrivai enfin dans la salle.

— Oh non, mais je suis un peu... coincée... Si vous voyez ce que je veux dire.

— Oui, je vois très bien, me répondit-elle.

Il était déjà temps pour nous de rentrer. Les filles discutaient entre elles de tout ce qu'elles avaient pu apprendre aujourd'hui.

— Madame, madame, me dit Agathe qui tirait sur ma robe. Je voudrais vous poser une question, mais je n'ai pas osé le faire devant tout le monde.

— Et bien, dis-moi.

— Voilà, je voulais savoir si on avait le droit de garder le bébé après l'expulsion, car j'adore m'occuper des bébés quand j'ai une nouvelle petite sœur.

— Non, il faut être formé pour bien s'occuper d'un enfant. Mais tu peux devenir Maman si tu veux.

— Oui, je comprends, mais j'ai vraiment envie de construire des maisons ou d'écrire des livres. En fait je voudrais faire tout ça à la fois.

— Et bien, tu vas devoir faire un choix entre tout ça.

Malheureusement, pensai-je.

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