Partie 1 : Princesse

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 Le froid s’insinuait en elle. La mordait de toutes parts. Le tremblement de ses membres congelés l’empêchait de se concentrer sur le pas irrégulier de son porteur. La poitrine tiède de celui-ci tressautait, sa respiration saccadée se répercutait en elle. Le mugissement de la bise lui vrillait les tympans, couvrait tous les bruits aux alentours. Elle bougea, s’empêtra dans ses multiples couvertures.

 Des heures qu’ils marchaient dans cette étendue glaciale. Elle se sentait de plus en plus faible. Où était passé l’agréable chaleur qui s’enroulait autour d’elle ? Les doux bras qui la berçaient quand elle n’arrivait pas à trouver le sommeil ? Les berceuses fredonnées tandis qu’elle sombrait dans les bras de Morphée ? Pourquoi aujourd’hui n’avait-elle droit qu’à cet horrible endroit ? Qu’avait-elle fait de mal ?

 Soudain, alors qu’elle se sentait partir loin de ce lieu de douleur, le rugissement du vent cessa, son porteur s’arrêta. Le silence fut aussitôt brisé par une voix. Elle parlait un dialecte étrange, la petite fille n’arrivait pas à saisir le sens de ses paroles.

 — Vous. Quelle surprise.

 — Ravi de vous revoir. Je ne vais pas m’embarrasser des manières, vous le comprendrez certainement, prévint une autre voix, plus grave.

 — Faîtes donc, permit la première.

 — Vous connaissez la raison de notre venue. Je vous déconseille fortement de nous résister.

 Le premier homme eu un rire amer.

 — Si le résultat est le même, permettez-moi au moins de me défendre.

 — Je vous ordonne de vous rendre, tonna la deuxième personne

 — Vous n’avez aucun droit sur moi. Dois-je vous rappelez que vous n’êtes plus dans votre cher royaume de Laïssana, mais dans mon pays ?

 — Notre pays, réagit une troisième voix, bien plus froide et dangereuse que les deux premières.

 — Voyez-vous cela. Je croyais pourtant que cette contrée t’était « inutilement coûteuse ».

 — Je n’ai pas changé d’avis. Je me contrefiche de ce pays. Il n’y a qu’une chose que je veux.

 — Et vous n’avez d’autre choix que de nous donner cette petite chose, intervint le deuxième homme.

 — Jamais je ne...

 Tout à coup, un craquement retenti. Un cri perçant. Le bruit sourd d’une chute.

 — Im...béciles... Vous ne vous... rendez pas compte de... de ce que vous faîtes, souffla la première voix.

 On l’arracha à la bulle de chaleur précaire qu’elle avait réussi à former autour d’elle. Des sanglots étouffés lui parvinrent. Des mains froides la déposèrent dans une chose gluante, poisseuse, puante au possible. Et si la substance n’avait pas traversé ses couvertures pour baigner ses membres elle se serait roulée en dehors de cette immondice. Le liquide brulait sa peau congelée, diffusait dans son corps transcendé par la froid une chaleur bouillante, presque vivante.

 La petite fille se débarrassa de ses vêtements et se blottit contre la source de cette essence. Elle était si bien qu’elle n’entendit pas le craquement de la neige quand les autres personnes présentes partirent. Une main fripée caressa son crâne duveteux.

 — Tu es trop jeune. Bien trop jeune, ton père bien trop vaniteux et cette crapule avide de pouvoir.

 Bien qu’elle ne comprît pas ce qu’il disait, elle sentit qu’il parlait avec une sincérité rare.

 — Une princesse, hein ? Quel idiot condamnerait une si jolie petite fille à cet enfer ? Mais, je t’en prie, ne les laisse pas te voler qui tu es. Ne les laisse pas te voler ça...

 Une violente quinte de toux l’interrompit. La jeune princesse se tortilla avant de retrouver une position confortable.

— Je sais que quoi que je puisse dire, tu ne t’en souviendras jamais, mais si seulement tu pouvais retenir cela...

 Il toussa à nouveau. Elle releva la tête du liquide et, pour la première fois de la journée, ouvrit les yeux. Comme si elle comprenait l’importance de ce moment. Comme si elle savait que cet instant déterminerait à jamais sa destinée.

 — La seule épée incassable que tu trouveras est ta détermination. Alors trouve qui tu es, et montre leur, à tous, ce que tu vaux.

 Le torse de l’homme ne se soulevait plus que par intermittence. Elle fixa le visage ridé devant elle. Creusé par l’âge, il diffusait une lumière blanche, froide qui piquait ses jeunes yeux. Les lèvres fatiguées de l’homme lui offrirent un dernier sourire. Ses paupières plissées se fermèrent.

 Il renversa la tête en arrière et poussa un long râle lugubre. Des larmes s’échappèrent des yeux de la petite princesse. Elle ne pouvait s’empêcher d’observer la scène, perdue. Un hoquet la secoua. La lumière devint ardente, vivante, le corps flamboyait de toutes parts.

 La jeune fille ferma les paupières. Elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas comprendre. Elle ne connaissait rien de ce monde, de ce pays. Et pourtant, à six mois, elle y était déjà attendue.

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