CHAPITRE I - PARTIE I

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" Chère Andorra,

Quand retrouverai-je le courage de t'écrire ? Cela fait une heure que je me perds sur cette feuille blanche, vide d'esprit, imaginant quoi te dire. Mes pensées se sont égarées, virevoltant péniblement dans les airs. Mes souvenirs amoureux de ton être ayant rendu mon existence d'une particularité harassante. Aucun mot ne se glisse sur ma feuille avec le souci du moindre regret .

Allongée sur le lit, une silhouette, au-dessus de moi, me scrute dans la lumière crue de ma cellule. Les rayons dorés du soleil couchant traversant les barreaux de la piteuse prison m'abritant. Une odeur exécrable de moisi s'en dégage, perçant nos narines accompagnées d'un vent humide. L'atmosphère ne baigne guère dans la quiétude.

Dès que je m'autorise à penser à toi, le premier mot qui me vient à l'esprit est le manque insatiable. Les frissons que je ressentais en te voyant, les battements tambourinant de mon coeur, ma cage thoracique sur le point d'imploser sous les effluves de ton corps d'ange... Au final, c'est ton être en entier qui possède les tourments de mon esprit.

Je la revois mot par mot, phrase par phrase, sans oublier les taches d'encre. Cette lettre m'obsède sous toutes ses formes distinctes, je n'arrive pas à m'en détacher. Combien de fois ai-je humé son papier dans l'espoir de parvenir à un effluve de son odeur ? J'ai beau essayé de toutes mes forces, quoique je fasse, elle se déroule en boucle dans ma tête. Ses lèvres s'enivrent sur mon corps pétri par le froid jusqu'à arriver aux miennes victimes de la brulante dame du désir. Il palpe fiévreusement de ses doigts mes courbes et enlace mes mains moites.

Ce que j'aimerais voir : ton sourire, ton visage, tes mouvements gracieux ainsi que tes yeux se fourvoyant dans les miens.

Entendre : le chant mélodieux de ta voix ainsi que la passion de tes mots.

Toucher : la douceur de ta peau ainsi que tes cheveux ébène.

Goûter : le sublime de tes lèvres, l'ivresse de ton parfum ainsi que ton amour, notre amour.

Tu me tourmentes et tu me hantes.

Il embrasse comme un dieu, c'est irrévocable. Mon souffle capte un rythme audacieux. À l'intérieur de moi, se converge sentiment de peur, d'absurdité, une incantation diabolique de pure renaissance. Je frissonne de plus belle lorsque sa bouche s'anime avec une euphorie authentique dans le creux de mon cou. Je ferme les yeux pour imaginer ou rencontrer le pire. Cela dépend de l'opinion. Je me surprends à vouloir que ce soit lui, lui qui caresse ma joue et qui mordille mes lèvres aux abois. Il me faut plus, encore plus.

Je ne possède l'ombre d'un souhait sujet à t'oublier, pourtant je m'y force. Sans résultat, ton fantôme me précède dans le moindre de mes pas. Je sais pertinemment que je ne pourrais que t'écrire et t'imaginer lire mes lettres décrivant ton absence inexorable. Mais un jour, quand tout cela sera enfin derrière nous, je prierai pour que tu reviennes nous voir, ou plutôt, me voir. J'implorerai tous les cieux ne seraient-ce que pour t'apercevoir, un bout, une parcelle de toi, de ton âme. Il ne me reste que cet infime espoir au creux de ma poitrine desséchée. Il se nourrit au peu de ce qu'il prétend pouvoir atteindre, petit, malingre. Chaque fois que nous nous retrouvons elle et moi, je t'imagine à sa place dans mes bras. Auprès de toi, envoutée par les rayons de ton charme, la magie opérait sans aucun doute. Maintenant, je suis abîmé, égaré, désemparé par l'absence de ton âme se perdent dans la mienne. Où suis-je censé m'évader alors que tu n'es plus là pour me guider ? Je ne cesserais de t'attendre. Pendant un instant, nous ne fessons plus qu'un. Enfin, uniquement en apparence. Sa peau râpeuse contre la mienne. Je sens cette ardeur bouillonnante qui l'habite se percuter contre ma peau, j'éprouve en lui le désire de m'absorber entièrement. Je le sais, il demeure et il demeura jusqu'où les limites le permettent. Encore faut-il qu'elles aient pu exister.

Quand je la touche, je te touche. Quand je lui caresse tendrement la nuque, je décore de baisers la tienne. Quand je frémis sous ses doigts, je m'embrase sous les flammes époustouflant de ton être irradiant de beauté. Quand je l'embrasse, je t'embrasse avec fougue. Quand je lui promets un amour éternel, il n'en est rien, car il n'y a que toi que j'aime.

Ma respiration se bloque. Au final tout cela ne me mène qu'à la confusion totale. Comment ose-t-il prétendre tout cela ? Son entrain s'intensifie dans l'ivresse du plaisir charnel. Je ne peux pas m'arrêter. Nos âmes s'entremêlent avec une passion dévorante, son corps électrise mon chant. Non, je suis incapable d'arrêter de l'aimer. Ce lien nous unissant est unique en son genre. Et pourtant, je le hais, je le maudis de tout mon être impuissant. Je lui en veux tellement. Tellement que parfois ma colère redoutable m'étourdit.

Ne m'oublie pas.

Comment oublier ?

Bewen "

Soudainement, mes mouvements se butent telle ma respiration. Je n'y arrive plus. Je pose les mains sur le corps de l'homme sûr moi, à fin de me dégager de son emprise. Mon esprit embrouillé a perdu les ficelles de l'entendement. Je m'assieds sur le bord de mon lit et entoure ma tête de mes mains. Je me suis imaginée avec lui en cet instant, corps contre corps, alors que j'étais avec un autre. Cette lettre me hante, chaque jour, chaque heure, chaque minute, elle passe sans cesse en rafale dans ma tête. Les mots y sont imprimés. Il m'aura fallu seulement deux lectures pour la mémoriser sans faute. Rien de plus simple quand celle-ci vous consume le cœur. Mon regard se pointe sur la table de chevet. Un paquet de lettres jonche la table, aucune d'entre elles n'a été ouverte jusqu'à aujourd'hui. Si seulement j'avais assez de force, je brûlerais chacune d'entre elles, me délectant d'une image de lui s'écorchant en enfer. Mais je suis de loin assez forte pour effectuer cette besogne nécessaire. Elles resteront probablement sur cette minuscule table de bois abîmée par le temps et les nombreux propriétaires, à vieillir pendant cinq longues années. À l'annonce de ma sentence, j'ai presque eu envie de rire. Ma peine ne m'avait pas fait l'effet escompté, ni d'effondrement ni de larmes. J'avais sûrement dû beaucoup trop pleurer auparavant pour m'y remettre.

Où irais-je après ? Je n'ai ni maison ni entourage sur qui compter. Mieux valait rester croupir ici à vie. J'avais de quoi me nourrir et un lit pour dormir. Pourquoi en demander plus lorsque vous ne possédez déjà rien. Seule, la sage misère ne m'attend à l'extérieur. Jayce se lève et se dirige vers la chaise ou repose ses vêtements. Dix minutes passent sans qu'il ne prononce la moindre déclaration. Une vague de tristesse se dégage de son visage, une pitié sans égale l'habite à mon égard. Du moins, c'est ce que je perçois.

« Tu sais, on n'est pas obligé de se revoir demain, déclara-t-il en enfilant son pantalon.

  • Non. Je veux te revoir, j'affirme mes cheveux ébène emmêlés sur le visage.
  • Tu es sûre ? Je ne te force à rien.
  • Un accord est un accord. Tu m'apaises, en quelque sorte.

Il fait mine de ne pas comprendre.

  • Je t'assure, je me sens libérée auprès de toi, j'ajoute.
  • Ironique, vu où nous sommes, commente-t-il, revêtu à présent de son accoutrement de prisonnier intégralement noir.
  • J'ai encore plein de choses à t'apprendre.

J'ai tout de suite remarqué lors de nos discussions que l'éducation de Jayce était retreinte. Ayant eu la chance d'en étudier davantage, je me suis proposé à élargir ses connaissances par les miennes. Il me rejoint, s'asseyant à mes côtés. Il me regarde avant de choisir quelques mèches de ma longue tignasse, les balayant pour mieux scruter mon visage.

  • Comme tu voudras. Demain, on se voit où ?
  • À la bibliothèque.
  • Et toi, tu veux savoir quoi d'autre que je n'aurais pu mentionner sur cette prison ? demande le jeune homme, toujours aussi concentré sur ma chevelure.

En retour, ce dernier a su apprivoiser des aspects de ce continent dont je ne connais que l'essentiel. Une image dans un livre de la capitale, c'est bien, mais insuffisant à ma curiosité. Si fermée, elle semble détenir les secrets du monde entier. Personne ne peut y rentrer comme y sortir.

  • Toute, je réponds en retournant ma tête vers lui, la fausse copie d'un sourire gravé sur le visage.

Un dernier baisé ne fait jamais de mal.

  • Alors ? questionne Jayce.
  • Oui, je crois qu'on est sûr maintenant. On est juste amis, je confirme.
  • Juste de très bons amis, ajoute Jayce en souriant de plus belle. Je vais voir Jade, on a reçu une lettre de notre mère. Tu veux venir ?
  • Je n'ai pas encore mangé, je mens sur le qui-vive, je passerai vous voir après. »

Non que je n'apprécie pas sa soeur, tout au contraire. Cependant, une envie davantage pressante jaillit de mes pensées. La nature m'appelle et j'ai cet immense besoin de sortir aérer mes poumons. Ma cellule m'étouffe de part et d'autre. Les façades grises me rappellent les cachots médiévaux et la petite fenêtre quadrillée de fer ne fait non plus bon office d'un sentiment accueillant. Jayce me lance un dernier sourire en coin avant de quitter la pièce pour de bon. Je suis enfin allégée d'un poids lourd de conséquences. Le cap est passé, j'imagine que sa présence sera des plus gênantes à l'avenir. Mais on se devait de vérifier le rapprochement ambigu qui s'était déroulé lors de ces derniers mois. Aucun sentiment particulier n’a émergé pendant notre intimité, ce qui est plutôt soulageant. Ma gorge se serre. La pièce est des plus oppressante. Je me lève et sors en trombe pour retrouver cette terre si calme et relaxante.

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