CHAPITRE I - PARTIE II

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La file est longue. Et pourtant, ce matin, je me suis levée tôt en vue d'avoir de quoi me remplir l'estomac. Le plateau en main, cela fait dix minutes que j'attends, impatiente, de faire taire ma faim. Devant moi, deux femmes colportent des messes basses. Ne sachant que faire, assiégée par la curiosité, je ne peux m'empêcher d'écouter quelques bribes de leur discussion animée.« Plus que vingt jours..., murmura la jeune femme trapue avec un accent étranger fortement prononcé. Il me semble que cela ressemble à de l'espagnol.Depuis la guerre, la langue officielle est devenue l'anglais. Seulement certains ont pris soin de préserver des souvenirs de leurs anciennes cultures et les langues anciennes comme on les appelle restent notoires. Ainsi d'autres ont eu le loisir de se développer, certaines régions ont même leur propre langage et dialecte.

  • De toute manière, il n'y a aucune chance que nous soyons choisis... marmonne sa collègue.

Un raffut fait rage dans la cantine, je n'arrive pas à entendre la suite. Je me rapproche d'elles pour en apprendre plus.

  • J'aurais aimé être sélectionné. Je préfère encore mourir de cette manière que rester dix ans à pourrir ici... C'est une occasion en or... »

Leur tour arrive trop vite pour que j'aie le temps d'écouter la suite. Je soupire. Vingt jours avant quoi ? Pourquoi ces deux femmes parlaient d'une sélection. Je ne comprends pas le sens de leur discussion. Je passe devant Sandy qui essaye tant bien que mal de me faire un repas digne de ce nom. Mais ce n'est pas avec des carottes à moitié noires qu'elle y parviendra. Son expression est empreinte d'une profonde excuse. Sandy, comme tous les autres employés de la prison, à l'exception des gardes, est un robot. Ces informations m'ont été requises au fil du temps par Jayce.« Ce n'est pas grave Sandy, assurai-je, la prochaine fois, je viendrai plus tôt.

  • J'essayerai de t'en garder un peu, mais je ne peux rien te garantir. »

Je lui souris et m'éloigne à la recherche d'une table avenante. La salle est bondée, comme d'habitude. Nous faisons preuve d'un manque terrible d’espace, les hors-la-loi n'ont cessé de croître ces dernières années. Malgré la foule, j'arrive à me dégoter une place libre. De loin, j'observe Sandy servir des centaines de prisonniers, tous aussi affamés que moi. Son apparence ne comporte aucune particularité mécanique. Semblant être faite de chair, de sang, de peau et d'une bouche : ses attributs la définissant comme étant une femme à pars entière. Mais le sens du mot humain ne lui convient en rien. L'humanité n'est qu'un simple mot parmi tant d'autres pour elle. Aucun sentiment n'émane de cette création je trouve cela malheureux, une vie sans cela n'est que misère. Je voudrais le lui dire, mais cela en vaut-il vraiment la peine ? Elle ne le comprendrait sûrement pas. Elle ne s'imprègne ni de l'amour, ni de la joie, ni de la tristesse... Parfois, j'aimerais être comme elle, vide d'émotion et de tout possible sentiment. Je l'envie autant que je la plains.Plus loin, un groupe en retrait discute à voix basse, se méfiant nerveusement de la présence des gardes qui nous surveillent aux alentours. La peur gronde dans leurs yeux. Ici en réalité, l'angoisse nous accapare constamment. Cependant, l'attitude suspecte endossée par ces indivis est intrigante est inspiré le doute. Je tends l'oreille et ma curiosité l'emporte à nouveau. « L'envol de l'espoir noir. Je déteste ce nom, grogna un garçon.

  • Moi autant que toi. De toute manière, on n'a rien à craindre, il n'y a que la section deux qui est sélectionnée. Les plus dangereux et susceptible de faire un malheur... déclare son amie, une mine déconfite. »

L'envol de l'espoir noir ? C'est quoi ce délire ? Mon cœur bat la chamade. Je sens une angoisse vive me submerger. De quoi peuvent-ils bien parler ? Un million de questions s'agitent dans mon esprit immédiatement sujet à la paranoïa. Mon ventre se serre, tordu par un liquide amer qui s'appelle la peur. Les plus forts ? Mais pour quoi faire ? Jayce ne m'a jamais parlé de cette chose ! Je secoue la tête, indignée. Je m'angoisse de manière beaucoup trop hâtive. Il faut seulement que je calme mon imagination débordante. Je m'emporte bien plus vite qu'une personne normale. Cela n'est peut-être qu'une simple création, un pacte ou une comédie ridicule entre prisonniers, qui sait ? La faim qui était pourtant alarmante auparavant s'est endormie. Mon assiette ne me fait plus du tout envie. J'essaye avec peine de me convaincre à avaler ce qui ressemble vaguement à des pâtes dans mon assiette. À force de m'enfermer dans ma tête, mes pensées m'empoisonnent. Elles m'obsèdent, me succombent et se vident de sens. Un bruit d'acier griffant le sol attire mon attention. C'est Jade, la sœur jumelle de Jayce qui vient tout juste de prendre place face à moi.« Tu n'as pas l'air d'avoir faim à ce que je vois.

  • Euh... non effectivement, je n'ai pas très faim, je reponds tirée de mon immersion.
  • Plus que trois semaines encastrées dans ce trou à rats et on dégage ! J'ai tellement hâte de pouvoir quitter cette merde, trépigne Jade, visiblement enjouée par son départ imminent.
  • Une chance... Tu as une chance incroyable.

Elle jette ses yeux sur moi. Un regret sincère se lit dans son regard. La lumière démarque son long visage concentré de traits fins plutôt distingué qui ne laisserait indifférent n'importe qui. Ses cheveux sont courts, mais saillants, d'une couleur brune très prononcée. En revanche ce n'est pas ça qui constitue le point culminant de sa beauté. Jade possède l'une des plus somptueuses particularités physiques de ce monde, non pas une, mais deux couleurs d’yeux. Plus exactement un iris doré et saphir. Son frère n'échappe heureusement pas à la règle. Elle pose ses mains sur les miennes en signe de soutien.

  • Tu sais, quand tout cela sera fini, tu n'auras qu'à venir vivre avec nous. Tu seras comme chez toi.

Depuis mon entrée en scène, cette dernière représente une protection inégalable.

  • Je ne suis chez moi nulle part.
  • Ne raconte pas n'importe quoi ! Tu es notre sœur. Jamais on ne te laissera tomber. On n'est pas tous comme ton ancienne famille... Encore le mot famille est inapproprié pour ce genre d'individu exécrable !

Mon cœur manque un battement. Si au moins, je ne lui avais omis une grande part de la vérité cette phrase prendrait sens. Mon passé est la receleuse de secrets par excellence.

  • Faut-il que, dans 5 ans, vous vouliez encore de moi. Je suis une personne qui ne manque t'apporter certains ennuis...

Elle me sourit et rigole d'un éclat que seule Jade peut déclencher. Cette action si soudaine applique du baume à mon cœur. La joie dans cet endroit sordide se fait rarissime.

  • D'abord, il ne te reste que 4 ans et demi. Je ne me lasserai de toi dans cinq , dix ou quarante ans même ! répliqua-t-elle, un sourire radieux accroché à ses lèvres. »

Ne cesseront-ils alors jamais de sourires ?

Le tonnerre emparé de névrose ne se prive de conférer des tremblements à notre chère prison. On a la vive impression qu'Élario est sur le point de flancher. Notre section est médiocre, nos cellules sont délabrées, presque moisies sous l'humidité fétide qui nous empoisonne perpétuellement. Mais rien de tel ne pourrait se produire, car cette légendaire bâtisse est plus solide que l'enfer lui-même. La sécession deux, quant à elle, est bien plus respectable, à ce qu'on dit. En revanche, ils n'ont droit qu'à une sortie par semaine dans le jardin, seule, sous surveillance et pour une durée d'une heure. J'imagine que la folie se doit de vous visiter captif à perpétuité entre ces quatre mûrs. Leur liberté leur est arrachée au nom d'une paix fictive. Certains ne le supportent pas et préfèrent mourir que de rester enfermé derrière les barreaux une vie entière. Je compatis à cette incessante torture. Plus d'une fois, j'y est pensé. Dehors, il n'y a plus personne pour moi. À quoi bon ? Pourquoi persister à survivre sous de telles conditions ? Mais impossible, je ne peux décemment me retirer la vie.Un torrent coule sur mes vitres, sur la pointe des pieds, j'essaye d'apercevoir une bribe d'évasion. La nature est déchaînée, pleine d'amertume et de colère contre l'humanité. Compréhensibles, nous l'avons détruite jusqu'au bout, elle cherche à se venger. Cela fait deux jours que la tempête fait rage, nous laissant bloquer dans nos minuscules cachots dépourvus de lumière naturelle. Une soudaine envie de fumer me titille. Je me dirige vers ma table de chevet et ouvre le tiroir pour y prendre mes cigarettes. Rien, plus une pour me soulager. Soudainement, la nervosité s'acharne contre moi, mon addiction me ronge. Pas le moindre moyen d'évacuer cet océan de colère qui se déchaine en moi. La fumée et la drogue ne sont pas des recours idéaux certes, mais elles me suffisent à me détendre. C'est mieux que rien. En quelques heures, elles arrivent à couvrir d'un voile opaque certaines scènes que je préférai pouvoir oublier pour toujours. Au fond de mon tiroir se cachent les billets et pièces qu'il me reste de mon ancienne personne. J'en saisis une partie du bout des doigts et me dirige vers les caves. Mis à part les sorties en plein air, ainsi que la bibliothèque, Elario n'offre guère d'activités divertissantes. Les caves sont censées être hors de la portée des détenues, mais, comme tout bon bandit qui se respecte, les règles sont vite brisées. Arrivée vers la grille, je vérifie si la voie est libre et saute par-dessus afin d'atteindre les escaliers menant au sous-sol. Tout en restant sur mes gardes, je m'appuie sur des pas incertains à fin de déboucher saine et sauve, sur la porte. Immense et imposante, elle affiche des numéros reflétant une lumière blanche. J'hésite une seconde avant de composer le mot de passe. Je me suis toujours demandé comment les gardiens arrivaient à ignorer cette infraction évidente. Et ce ne n'est pas comme si tout le monde s'en cachait. Ils ne semblaient étonnamment pas vraiment s'y intéresser. Enfin, quand cela ne dépendait que de leur humeur volage. Après tout, nous n'étions que la sécession une. La porte glissa sur le côté, me laissant pénétrer dans une infime bouffée de liberté. Freddie, l'un des gardiens, en réalité prisonnier, me salue d'un bref signe de la tête tandis que son ami ne me prête un regard. Je froisse mes billets dans ma poche, fragiles, mes mains sont prêtes à se briser. Des frissons électriques me parcourent l'échine. Identique depuis six mois, et pourtant, je ne peux m'empêcher d'en jouir à chaque fois. Le bruit de la pluie a cessé de naitre ici et s'est tu. La cellule quatre m'ouvre ses bras et c'est un homme qui s'y cache. Une forte odeur de cannabis et de drogue en tout genre dégagés par la pièce envenime mes narines. Cook, mon dealer attitré, noyé sous son costume de tôlard, ses poignets et son visage osseux témoignant de sa maigreur excécise. On le jure prêt à s'effondrer telle une statue qui n'aurait eu le droit à des rénovations. En vérité, chacun se fourvoie de cette apparence extérieure parvenant à illustrer une belle illusion de faiblesse. Son intérieur est tenace.« Salut, ma douce. Tu viens pour ta dose quotidienne, j'imagine ? lance-t-il à ma vue, blotti dans son canapé matelassé.Il se lève, une expression impassible plaquée contre le visage. Je frémis à l'encontre de cette froideur instable prête à flancher sur le pas de la folie à tout moment. Mon cœur s'emballe, j'hoche la tête incrédule. Je n'y peux absolument rien, cette tendance à l'égarement est immuable. Il finit par décrocher un sourire narquois au coin de ses lèvres et m'invite à m'asseoir sur la chaise non loin de lui. Mon cœur ralentit, mon corps raidi par le stresse se détend au fil des minutes.

  • La même chose ?
  • La même chose. »

Il fouille dans tous ses cartons, composant ma commande avec grande précaution. Malgré le froid qui persiste dehors, l'atmosphère est brulante dans ces caves. La sueur emplit le front de Cook, il ébouriffe sa chevelure brune. Un faible courant s'agite dans le ventilateur du coin de la pièce décrépi. Il se redresse et secoue légèrement le sachet magique entre ces doigts. Il commence par m'aborder avec grande délicatesse, réduisant la distance qui s'était installée entre nous. Il s'appuie sur le coin de ma chaise, de la main droite il faufile ma commande dans ma poche et de l'autre prend l'argent que je lui dois. De sa main il effleure ma peau, profitant allégrement de ce contact en déployant ses yeux brun presque noir dans les miens. Mes poils se hérissent, ma respiration se bloque et je me surprends à ressentir du désir. J'élimine ce sentiment aussi vite qu'il n'est venu. Les mains, les paroles, la bouche d'un autre homme me sont inaccessibles. J'ai essayé tellement fort, tellement longtemps de passer à autre chose. J'ai presque envie d'en vomir, cela me fait mal. Mon cœur se gorge de sang sans que je ne puisse m'en désemplir. « Un jour, crois-moi, je t'aurai. Tu es si difficile à cerner..., déclara Cook me badinant.Je laisse planer le silence. Il est ma meilleure arme ici.

  • Tu ne parles pas beaucoup.

Je reste impassible. Il se lèche les lèvres tout en me contemplant.

  • Un moment ou à un autre, faudra bien que te débarrasses de cette sale habitude. Tu ne m'échapperas pas, articula-t-il tout en me montrant du doigt. Reviens me voir quand tu veux. J'adore te sentir auprès de moi ma douce, ajouta-t-il. De toute manière t'es encore ici pour cinq bonnes années, faudra t'y faire un jour ou l'autre. À part si, d'ici là, tu t'envoles... me mime-t-il les bras gesticulants.

Ma curiosité est piquée au vif. Mon visage ne cache mon incompréhension.

  • Ah ! Ah ah ! Je vois que je viens t'intéresser. Alors ça ne te dit rien ? L'envol de l'espoir noir ?

Il s'assied sur son fauteuil et s'amuse de la situation me laissant mijoter dans mon propre jeu silencieux. Un rire glacé fait échos dans toute la pièce. Cook se lève et se penche à mon oreille.

  • La liberté ou la mort, épèlle-t-il dans un murmure »

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