A l’aide de son grand couteau – un couteau de boucher – il se servit un gigot de Paulette.

Avec une précision chirurgicale, il coupa tendons et articulations.

Une règle avant tout : la viande ne doit jamais avoir le goût du métal !
Balayant d’un large mouvement du bras tout ce qui encombrait la table, il posa le morceau de Paulette devant lui.

Ce bras surgit du néant, de nulle part, cette main baguée, ces ongles ébréchés… Des images surgissaient dans sa tête, des visions de cauchemars. Des portes, des caves, des escaliers, le noir, toujours le noir, la faim, la peur …

« Le garde n’ouvrira la porte qu’en échange d’une promesse ferme de la reine, et pour gage de sa parole, le garde a ordre de chatouiller de cette dague les tendres chairs de la princesse. Ce qui serait dommage... »

….

« Le méchant comte aurait emprisonné la belle princesse d’Aquitaine dans la tour de son château et se préparerait à la déflorer sous le regard impuissant de la jolie reine de Saba, à moins que celle-ci ne préférât s’offrir elle-même à un jeune chevalier vigoureux, en l’honneur de son épée toute neuve »

Fugaces ou tenaces, futiles ou pesants, certains souvenirs s'enchaînaient assez bien. D’autres, en revanche, plus flous, plus nébuleux, n’étaient que des morceaux de vie - ou des morceaux de mort - arrachés au vide, que rien ne fixait ni ne rassemblait. Mémoire fragmentée, éclatée, brisée, fatiguée …

Un bruit, à l’extérieur, l’alerta.

Il ne vit à travers le rideau crasseux de la cuisine que les pavillons trapus et lugubres, aux petits jardins négligés, sur lesquels flottait une légère brume.

Il avait la sensation d’être sur un plongeoir au dessus d’eaux incertaines et sulfureuses  …