I L'audience est ouverte

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Qu'il fait beau aujourd'hui, le soleil règne sur le ciel. Ses rayons, si puissants, transpercent ma carcasse jusqu'à m'envahir de leur clarté ! Leur réflexion sur la vitrine du café éclaire le sol d'une forme rectangulaire. Une porte de lumière.

Un cycliste me sort de ma rêverie, j'étais sur la piste. J'ai marché sur l'entrée, l'ombre l'a verrouillée... Dommage. Tiens ? Je suis bousculé, encore.

  • Mm mm, jeune homme. J'aimerais rentrer dans ce café.
  • Pardon Monsieur.

Je me décale maladroitement. Jeune homme ? J'ai quand même vingt-cinq ans et il ne semble pas si vieux que ça. Ce parfum, il est agréable, léger, celui d'une femme sans doute. Je vois, il est accompagné, d'une beauté qui plus est. Elle est grande, rousse, longiligne et compense son manque de forme par un code vestimentaire réfléchi. Tout est étudié pour mettre en valeur ses atouts et dissimuler ses tares. Son compagnon n'est pas en reste. Il se déplace avec assurance, confiant, le regard aussi sombre que le costume qu'il porte.

  • Après toi.

Ils forment un beau couple.

Ils entrent tout deux dans le lieu, je les observe. Ils ne se tiennent pas la main, mais il est clair qu'ils sont ensembles. Depuis peu de temps je pense, ils rient de bon cœur et font toujours preuve d'une remarquable pudeur l'un envers l'autre. Ils veulent s'impressionner. Cet endroit est bien côté, ils sont fortunés. L'absence de proximité trouve peut-être son origine dans leur éducation. Ils commandent, un café pour Monsieur, un thé pour madame. Non, c'est l'inverse. L'homme fraternise avec le serveur, c'est un habitué. Enfin seuls, ils vont pouvoir discuter. Je sens monter la curiosité, serait-ce un échange de banalité ? Une drague à peine dissimulée ? En pleine journée ? Laissez-moi deviner. Il va proposer de la raccompagner, elle n'a aucune raison de refuser, mais je ne peux l'accepter ! Ils l'ignorent, mais le conte prendra fin. Qu'ils en prennent compte ou non, l'enfer est en chemin. Oui, ils s'entendront, s'aimeront véritablement, mais un élément fondamentale troublera leur idylle, une dissension mental annihilera leur famille.

Lui, égoïste. C'est ce qui fait son charme. Cartésien, insensible aux larmes. Son visage, dur, est sa plus belle arme, mais c'est sans états-d'ame qu'il abandonnera sa femme quand la flamme se sera éteinte. À la recherche d'une compagne mûr, mais enfantine, un tantinet libertine. Il pense l'avoir trouvé en la personne de Coraline, qui depuis quelque temps, illumine ses journées. Mais il doit s'en douter, des traîtrises il est initié. De son emprise, il est habitué et lorsque la routine se sera installée, pour des broutilles, ils vont se torturer. Qu'importe, il prône la liberté et dans un moment, il l'aura oublié. Il aura tout oublié, son style de vie va le conduire à l'isolement, des jupons, il passera à l'hospice où l'attendra son jugement. Pas d'histoire, pas de rédemption pour celui qui n'a pas su vivre vraiment, pas de réconfort ni de métaphore pour qui sentiment rime avec amusement.

Elle, affranchie. On lui donne la palme. Émotive, certes, mais pas en surface, car il lui a fallu du temps pour faire de la place. Son cœur meurtri, mine ses journées, trouve réconfort en cet homme, Amin, qu'elle vient de rencontrer. Elegant, rassurant, il lui permet d'oublier. Les plus forts ont eux aussi besoin de réconfort, de soutien. Il est le sien. Sa vie entière, elle a fait vœu de respect, elle l'obtiendra c'est certain et avec lui comme gardien. Mais lorsque l'équilibre sera rompu, que son quotidien s'effondrera, qu'aux illusions se substitueront les tentations et qu'il lui faudra tromper son ennui. Elle plongera dans le puits. Elle en aura marre, mais le départ de celui qu'elle aimait sonnera sa fin. Incapable de surmonter ce nouveau chagrin, c'est en silence qu'elle s'éteindra, un beau matin.

Ils sont aveugles, entravés par leur nature. Prisonniers de leur pulsion, incapables d'entendre raison. J'enfile ma cape et je cours à leur secours !

  • Madame, Monsieur bonjour. Je m'appelle Jonathan et je me dois de vous prévenir ! En dépit de la joie que vous éprouvez en cet instant, sachez qu'une grande souffrance vous attend. Voyez-vous, j'ai un don. Dieu m'a offert ses yeux et sans cesse m'envoie des visions. Ce que j'ai vu, je vous le dis, ne m'a pas ouvert l'appétit et va sans doute couper le vôtre.

L'homme me dévisage longuement avant de prendre la parole. Agacé.

  • Je te reconnais, tu es le gamin de tout à l'heure. Ne vois-tu pas que nous sommes occupés ? Va jouer ailleurs, veux-tu ?

Il manque d'imagination. La femme, elle, est intriguée. Elle veut en savoir plus, je le sens, je le vois dans son regard. Quel ennui que de ne croire qu'en ce que l'on voit. L'incertitude broie la tranquillité, il faut trouver de quoi s'accrocher un minimum, pourquoi pas un médium ?

  • Allons Amin, ne sois pas si rustre. Comment t'appelles-tu mon garçon ?
  • Jonathan, madame, et vous ?
  • Je m'appelle Caroline et voici Amin, mon... ami.

L'intéressé ne réagit pas, il semble profondément ennuyé par mon intervention.

  • Dis-nous en plus sur tes visions, que va-t-il nous arriver ? dit-elle en jetant un furtif regard à son rencard.
  • Beaucoup d'amour, ça oui. Du bonheur aussi, mais...
  • C'est tout ce que nous avions besoin de savoir ! m'interrompt-il brusquement.
  • Mais quoi ? renchérit-elle sans prendre s'occuper des soupirs d'Amin.
  • Un événement va avoir lieu, un terrible événement... Je ne peux pas vous en dire plus ici, mon cabinet est juste à côté si vous le souhaitez, je peux vous y conduire. La consultation sera gratuite pour vous.

Je lui fais un clin d'œil, parfois, c'est efficace.

  • Non mais c'est une bla...
  • Allons-y Amin, ça pourrait être excitant. Ne souhaites-tu pas découvrir ce que l'avenir nous réserve ?

Gêné, il hésite, mais son entreprise de séduction prendrait du plomb dans l'aile s'il contrariait déjà sa nouvelle copine. Il affiche un sourire crispé et se redresse sur sa chaise.

  • Très bien, pourquoi pas après tout ? Allons-y !

La décision est prise, Caroline est folle de joie. Nous sortons du café et longeons une grande allée. Bon d'accord, j'ai menti, il faut marcher un peu... Au bout d'une vingtaine de minutes, nous y arrivons, mon petit chez moi. Son mobilier bien arrangé, sa bibliothèque si fournie et toutes ces peluches, j'en ai le tournis. Oh, surtout, ne prêtez pas attention à la pièce du fond, il n'y a rien de bon là dedans.

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