II Le jugement

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  • Pardonnez mon manque de tact madame Caroline, mais pour cette fois, je ne ferai pas grand cas de la galanterie. Ne faites pas grise mine, Amin sera le premier à profiter des plaisirs de la lame. Voyez comme à son contact, son assurance autrefois plaisante, n'est maintenant plus que cendre. Cela aura sans doute pour effet de le faire descendre dans votre estime. J'en suis peiné, car c'est quand il se confond en larme qu'un homme révèle son plus beau visage, ne coyez vous pas ?

Je soupire. Une fois de plus, j'avais vu juste. Ils auraient pu éviter tout cela si cet homme avait eu le courage de manifester ses doutes, mais comment se montrer hésitant, faible, en pareilles circonstances ? Sans doute ne me pensait-il pas capable de les capturer à moi seul.

  • Je suis surpris, aucun d'entre vous n'a commenté la décoration. Bon, je vous l'accorde, le papier peint et les motifs d'oursons n'aident pas à crédibiliser mes propos... Mais on ne peut pas dire que l'atmosphère soit pesante ! Un effort, je vous prie, faites un peu abstraction des corps en putréfaction. Je vous réserve un sort potentiellement plus enviable. Voyez-vous, je suis curieux de nature et j e pose des questions. C'est mon truc. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être pour tromper mon ennui, peut-être pour comprendre mon entourage... Qu'importe, ce qui m'intéresse, c'est de découvrir si, oui ou non, vous y répondrez correctement.

À mesure que l'acier pénètre sa chair, Il semble que l'invité ne soit pas à son aise, heureusement, le sparadrap étouffe efficacement ses hurlements. Dire que je m'applique à procéder avec délicatesse. Enfin, l'ingratitude est un défaut répandu. Je ne peux rester silencieux. Par habitude, je lui donne la réplique.

  • Bon, j'ai bien réfléchi. Puisque notre ami Amin est occupé, Caroline, vous répondrez. Je vous demanderai simplement de ne pas hurler. Il vous suffit de me livrer votre pensée, rien de plus. Réfléchissez, le sort de votre chéri en dépend.

Je retire le scotch de sa bouche et lui accorde quelques secondes de répit. Elle reprend son souffle, le maquillage coule sur son visage. Ce dernier, totalement déformé par l'anxiété, est méconnaissable. Elle ne me regarde pas, ses yeux sont tournés vers d'Amin. Toujours solidement attaché, celui-ci laisse échapper quelques grognements. La couleur de sa cuisse gauche, fraîchement repeinte, dénote avec le rose pale de son épiderme. Très vite, la jeune femme se liquéfie. Je ne comprends rien à ce qu'elle baragouine. Sans doute veut-elle que je la laisse partir.

  • Bien sûr que je vais vous libérer, mais après que vous ayez répondu ! Allons-y voulez-vous ?

Je me racle la gorge.

  • En tant qu'être humain, diriez-vous que la superficialité de notre espèce est ce qui nous permet de supporter notre condition et, ainsi, nous prémunir de la folie ?

Pas de réponse. La pauvre tremble de tout son être. J'hésite un instant, mais je n'ai pas le choix.

Une fois de plus, Amin s'époumone. À ses plaintes, viennent cette fois se mêler les prières de Caroline. Son épaule maintenant percé, elle aussi redécorée, le gentleman n'est plus aussi fringant, il faut l'avouer. La langue s'est-elle déliée ? Je m'approche à nouveau de mon interlocutrice, mon visage est à hauteur du sien. Je parle à voix haute afin que mes propos atteignent aussi les oreilles embrumée du mutilés.

  • Écoutez, je sais que la situation n'est pas idéale, qu'elle vous laisse perplexe. Mais parfois, seul un profond choc émotionnel peut nous libérer de la cage qui nous retient tous captif. Voyez, si vos propos sont serrure, ce canif en est la clé. La question précédente ne semblait pas vous inspirer, peut-être celles-ci : les relations sociales sont-elles vouées à s'effriter avec le temps ? Est-on destiné à se séparer ? Quel est votre rapport au changement ? Parlez sans gêne.

Elle hésite, ouvre la bouche et s'exprime enfin. Sa voix, enrouée, semble coincée dans sa gorge. Chaque syllabe est pesée, analysée. Je m'en contente.

  • Je ne pense pas... Je pense qu'elles évoluent, nous évoluons aussi. Parfois, les relations prennent fin, mais je ne pense pas qu'elles soient vouées à s'effriter. Je m'attache facilement et j'ai déjà été déçue, mais c'est la vie...
  • Vous arrive-t-il de repenser aux fantômes du passé ? De regretter certaines décisions ? Ou bien continuez-vous à avancer, sans prêter attention aux conséquences. Aveugle au point de n'être sensible qu'à votre propre ressenti ?
  • Je...

Je soupire, Amin profite de notre conversation pour desserrer ses liens, les pupilles de Caroline me l'indiquent. Deux coups d'estoc suffisent à mettre un terme à sa vaine tentative d'évasion, la peinture de ses poignées tache le sol. Je me suis précipité.

  • On ne peut faire confiance à personne Mademoiselle Caroline. Les relations sont changeantes par nature, il est aisé d'en couper les fils. Voyez-vous, là où l'amour n'est que discrimination, la mort elle, nous embrasse tous. Lorsqu'elle jette son dévolu, il est impossible de se défaire de son étreinte. Immuable, certaine, elle nous enrobe de son insécable lien et tient ses promesses, quoiqu'il arrive. Démonstration !

L'œuvre subit ses dernières modifications, le résultat promet d'être époustouflant. La décoration est intégrale. Non, rien de banal dans ce tableau mural. Astral, mon esprit s'évade et j'explose : Je coupe, je découpe, je lacère, j'insère, je cisaille, je hache, je mache, je tranche, je mange, j'incise, je serre et j'expose. Du cœur je m'empare, du cerveau, je sépare, et le bouquet est composé.

  • Qu'en pensez-vous ?

Pas de réponse, certaines pièces peuvent laisser pantois. Je la libère de ses liens, elle est désorientée et n'ira pas bien loin. Il ne lui reste plus que cinq minutes, un chauffard passera, la dame à la faux avec lui.

  • Il va être en colère, j'ai encore tordu le fil. Tiens ? Une vision. Il est rare qu'elles s'imposent à moi. La croqueuse d'âme... Intéressant.

Playlist :

Eminem : Buffalo Bill / Underground

2Pac : Catchin Feelins

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