Chapitre 15.1 : Yume

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Yume ouvrit à peine la porte d'entrée que deux bras vinrent entourer son cou. Complètement sonné, le jeune homme comprit quelques secondes plus tard que Yunni lui était littéralement tombée dessus.

« Tu vas mieux ? lui demanda-t-elle, inquiète.

‑ Oui, merci. »

Le jeune homme lui sourit, lui faisant comprendre que tout allait bien. Son amie le lui rendit, tout en défaisant son emprise sur lui.

« Vous prendrez un peu de désert, j'espère ? » questionna Fab, deux soucoupes de glace dans chaque main.

Il les déposa à chaque extrémité de la table, pour que tout le monde puisse se servir à sa guise. Devant chaque chaise se trouvait un petit bol en verre, servant à accueillir la quantité de glace que chacun désirait.

A la vue, du dessert, Yume se précipita le premier à sa place. Depuis combien de temps ses papilles n'avaient-elles pas dégusté de bonnes glaces ? Cela lui semblait être une éternité !

« Elles sont à quoi ? » interrogea Astrid en s'essayant elle aussi sur sa chaise.

L’Épéiste n'attendit même pas l'accord de son hôte pour se servir lui-même sa glace. Il s'en réserva une bonne cuillerée dont il s'empressa de remplir son bol. Armé d'une cuillère en argent, il ne lui fallut que deux trois bouchées rapides pour finir complètement sa part. Après la dose d'émotion qu'il venait d'avoir, seule la nourriture lui servait de réconfort.

« Aux Herazons… » répondit Fab tout en fixant Yume qui mangeait tel un affamé.

Yunni soupira, sans doute désespérée par l'attitude de son meilleur ami.

« Je suis désolée, s'excusa-t-elle à la place du blondinet, il n'a aucune manière… »

La jeune fille se servit à son tour de la glace, ayant hâte de savoir quel goût pouvait bien avoir un Herazon sous cette forme-là. Elle fut immédiatement imitée par Astrid, motivée par la même raison.

Les discussions reprirent rapidement, comme s'il ne s'était jamais rien passé. Ce fut ainsi qu'ils apprirent, avec un léger pincement au cœur, que Fab élevait seul son petit frère Tip depuis plus de quatre ans désormais. Leur père était autrefois un Milicien de l’Élite, mais il est mort lors d'une mission dans le désert, près de la frontière entre Onyrik et Aristofée. Le jeune garçon ignorait toujours les circonstances mystérieuses qui planaient autour de sa mort, l’Élite gardant fermement le secret.

A cette révélation, Yume et Yunni se lancèrent un regard rempli de sous-entendus. Tous deux pensaient savoir ce qu'il lui était réellement arrivé. Ou plutôt pourquoi Fab n'avait jamais pu voir le corps de son père. Seven devait sans doute le garder bien précieusement avec les autres, sous Fikternand pour en faire… Non, mieux valait que Fab et Tip ne sachent rien. Ils pourraient ne jamais s'en remettre.

Astrid capta cet échange de regard. Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas leur attitude. La brune n'eut cependant pas le loisir de les questionner, car leur hôte continuait toujours sont récit.

Fab affirma ensuite que sa mère, prise d'un immense chagrin, s'était laissée mourir. Elle ne sortait plus de sa chambre, passait ses journées à pleurer. Elle vivait dans le noir. Même les racines des Herazoniers s'étaient mis à faner dans sa pièce, à cause du manque de soleil. Fab expliqua qu'il avait essayé de la raisonner, de lui faire comprendre que Tip, que ne possédait que trois ans à l'époque, avait plus que tout besoin de sa mère. Mais celle-ci faisait la sourde oreille. Elle ne répondait rien, n'ouvrait jamais la bouche, à part pour pleurer. Victime de ce terrible état, son corps avait fini par lâcher prise. Et elle mourut.

Véritablement troublée, Yunni porta une main à son cœur. L’Élite ne se rendait pas compte du chagrin qu'elle pouvait engendrer dans une simple famille comme celle-ci.

« C'est affreux…, lâcha l'Invoqueur en retenant ses sanglots, prise par l'émotion provoquée par le récit.

‑ C'était une femme tellement belle, poursuivit le jeune garçon aux yeux émeraudes. Maman était une Falky qui avait pris une apparence humaine dans l'espoir de vivre avec papa. Elle avait été banni par Fiana, la reine des Falkies pour cela. Elle était également sa fille, mais aussi la sœur de Lilia.

‑ Attends, la même Lilia que nous avons sauvée tout à l'heure ? » remarqua Yunni.

Fab approuva d'un signe de tête.

« Je comprends mieux pourquoi est-ce que tu tenais tant à lui venir en aide… »

Yume s'avachit sur la table. Non qu'il n'était pas touché par le récit de Fab, c'était juste qu'ils parlaient de petites fées depuis tout à l'heure, et ce genre conversation ne l'intéressait pas.

Astrid lui adressa un petit sourire en coin amusé. Geste que le garçon lui rendit.

Même si elle se trouvait en pleine discussion, cet échange n'échappa pas à Yunni, qui lança un regard intrigué à son meilleur ami. Celui-ci lui fit un signe de la main qui signifiait clairement : « T'inquiète pas, on se comprend. »

« Donc, Tip et toi avez du sang de Falky dans les veines ? releva soudainement Astrid, qui semblait s'intéresser de nouveau à la conversation.

‑ Exactement. Et je pense même que ça a quelque chose à voir avec les dons de mentaliste de Tip. »

Ce dernier, qui mangeait sa glace tranquillement depuis tout à l'heure et qui ne disait rien, leva rapidement sa tête lorsqu'il entendit son prénom. Il balaya la foule de son regard émeraude, attendant de savoir pourquoi on l'avait appelé.

« Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? demanda celui-ci, inquiet.

‑ Rien, t'en fais pas. Tu peux continuer à manger ta glace » le rassura son grand frère.

Fab lui ébouriffa les cheveux tout en lui souriant tendrement.

Face à ce geste fraternel, Yunni ne put, elle aussi, s'empêcher de sourire.

« Je l'élève seul depuis la mort de nos parents » lâcha de but en blanc le jeune garçon.

Tous baissèrent les yeux face à cette terrible vérité. Sur le coup, même Yume se sentit un petit peu mal de l'avoir traité de « prétentieux » tout à l'heure. Il l'avait jugé sans même connaître son affreux passé.

Finalement, l’Épéiste se sentit un petit peu chanceux de ne pas avoir connu ses parents, ni même avoir de véritable famille. Son propre passé n'était pas tout rose, à lui aussi. Yume savait que son village avait été détruit lors de son enfance, mais il avait la chance incroyable de se souvenir de rien. Pas même de ses proches. Vivre avec les souvenirs de personnes qui nous sont chères, sans avoir la possibilité des les revoir un jour, ce devait-être affreux. Fab connaissait ce sentiment. Yume espérait lui ne jamais l'expérimenter.

Posant ses iris lagons sur Tip, qui dégustait silencieusement sa glace, le jeune homme espérait que, tout comme lui, il ne lui restait aucun souvenir de ses parents.

« Malheureusement, je suis quelqu'un de très bagarreur, un peu comme mon père, alors il m'arrive parfois de l'entraîner de mes histoires… »

Yunni resta silencieuse face à cette remarque, se remémorant leur seconde rencontre un peu plus tôt dans l'après-midi. Elle se serait bien passée de revivre mentalement cet instant, qui la mettait énormément mal à l'aise.

« Éclaire-moi juste sur un point, intervint Yume, comment vous arrivez à trouver de quoi vivre ? Je veux dire : vous avez une grande maison, de beaux vêtements, de la nourriture qui coûte deux bras… C'est quoi ton secret ? Si tu étais un Milicien de l’Élite, j'aurai pu comprendre, mais là… Ca me dépasse.

‑ Ce n'est pas très poli de demander à nos hôtes leur revenu, pointa Astrid. Je parle en connaissance de cause.

‑ C'est gentil de vouloir me protéger, Astrid, mais je veux bien lui répondre. »

Fab posa ses coudes sur la table, devenant tout à coup extrêmement sérieux.

« Yunni, je sais que tu fais partie de l’Élite, alors promets-moi de ne rien dire. »

L'Invoqueur fronça les sourcils, pas certaine de comprendre où son ami voulait en venir.

« Tu peux compter sur moi, affirma-t-elle. Ton travail est-il aussi dangereux que cela ?

‑ En vérité, je suis trafiquant d'armes et d'armures. Je revends tout l'équipement dont mon père n'avait pas l'utilité. Je hais l’Élite, je ne veux donc plus rien avoir à faire avec eux. »

Yunni s'écrasa un petit peu dans sa chaise, mal à l'aise. Peut-être qu'elle aurait mieux fait de lui dévoiler la vérité. Lui dire qu'elle avait déserté l’Élite, car tout comme lui, elle lui vouait aujourd'hui une haine incommensurable. Seven mentait à tout le monde. A ses soldats, ses alliés, son peuple. Il méritait d'être destitué de ses fonctions de supérieurs. Si le monde était dirigé par quelqu'un d'aussi pacifiste que Yume, le Royaume ne s'en porterait que beaucoup mieux.

Déterminée à tout lui dévoiler, la jeune fille ouvrit la bouche, mais elle fut rapidement coupée dans son élan par Fab :

« Tu comptes beaucoup pour moi Yunni. Alors s'il te plaît, garde ce secret pour toi. »

La blanche écarquilla les yeux. Certes, Fab n'était pas le premier homme à lui dévoiler ses sentiments aussi rapidement – elle avait le don de provoquer cet effet chez presque tous les hommes – mais pour une fois, ses paroles semblaient étrangement sincères. Cela s'entendait dans le son de sa voix.

Touchée par tant de sincérité, la jeune fille jura de ne rien dévoiler à ses supérieurs.

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