Chapitre 33

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Je me suis levée tôt pour me préparer aux funérailles de Grand-Tante Annie.

Evie dort profondément sur mon canapé, la bouche entrouverte. J’ai fait attention à ne pas la réveiller en prenant mon petit-déjeuner et en m’affairant dans mon placard.

Pour faire sobre, j’ai choisi de porter une robe noire simple et une capeline noire, avec des bottes du même coloris.

C’est ma sœur Clarisse, qui vient me chercher à onze heures, en bas de ma résidence. Contrairement à moi, elle a le permis et une voiture. L’enterrement de notre grand-tante se fait à la campagne, où elle a longtemps vécu, à plus de soixante kilomètres de Paris.

Lorsque la petite Fiat rose s’arrêta à ma hauteur, devant le portail de la résidence, je m’approchai et ouvris la portière côté passager.

– Bonjour, sœurette, dis-je en m’installant.

Clarisse me rendit ma salutation du bout des lèvres.

Je ne l’ai pas revue depuis la dernière cousinade organisée par une tante, avec qui je m’entends étonnamment bien, il y a près d’un an.

Sans attendre, elle pressa l’accélérateur et tourna le volant pour faire demi-tour.

Je me doutais qu’elle ne s’était pas portée volontaire pour venir me chercher. Elle et moi n’avions jamais été en très bons termes, en tout cas, je n’ai pas ce lien affectif que partagent certaines sœurs d’un âge rapproché.

En l’observant discrètement du coin de l’œil, je vis qu’elle portait un haut noir en dentelle et une jupe plissée assortie. Ses cheveux mi-longs, plus clairs que les miens, étaient tirés en arrière dans un chignon serré.

Ses prunelles bleues, que j’avais enviées presque toute mon enfance (je n’aimais pas mes yeux verts), étaient résolument braquées en face d’elle, sur la route.

Je n’avais pas plus envie qu’elle d’échanger mais pour la seule satisfaction de l’agacer, j’entamai une discussion, de mon ton le plus naturel et dégagé :

– Tu fais quoi, déjà, des études de biologie marine, non ? Alors, tu as validé ton Master ?

Clarisse avait sauté deux classes, elle était au même niveau que moi, malgré notre écart d’âge.

– Non, répondit-elle, les mâchoires serrées.

Un sincère étonnement me fit répliquer :

– Quoi, tu t’es foirée ?

– Je ne me suis pas foirée, non, répondit-elle avec le ton qu’on emploie pour s’adresser aux enfants en bas-âge polissons.

– Alors qu’est-ce qui s’est passé ? insistai-je, réellement curieuse, et savourant la réticence avec laquelle ma sœur lâchait ses informations.

– J’ai changé de voie.

– Ah oui ? Mais tu rigoles, ou c’est sérieux ?

Clarisse ignora ma question et se contenta d’activer le clignotant.

– J’en déduis que tu es sérieuse, repris-je. Et alors, qu’est-ce que tu fais, maintenant ?

– Des études de droit, l’entendis-je répondre, si bas que je crus mal comprendre.

– Du droit ? Vraiment ?

– Ne pense pas que j’ai voulu suivre ton exemple, rétorqua froidement Clarisse.

Elle n’avait toujours pas détourné le regard de la route, pas même une demi-seconde, pour me regarder.

– Mais qu’est-ce qui t’a décidé, alors, si je n’étais pas ton inspiration ? raillai-je.

Au fond, je suis stupéfaite de ce brusque changement d’orientation. Ma sœur avait toujours maintenu qu’elle ferait des études scientifiques, et elle était largement à la hauteur de réussir dans cette voie.

– J’ai compris que je voulais faire autre chose, parce que les débouchés ne m’intéressaient pas assez, finalement, lâcha-t-elle à contrecœur. C’est plus dans le droit que j’ai ma place, je pense.

Je ne répondis rien et cessai de l’interroger, un sourire en coin.

Cela m’étonne vraiment de sa part, mais quelque part, je suis contente pour elle et c’est presque une pointe de fierté qui vient me chatouiller le cœur.

Je ne la questionnai pas là-dessus, mais je comprenais, en voyant ses réactions, qu’elle avait dû s’intéresser au droit lorsque je m’étais moi-même mis en tête de devenir avocate.

Elle prétendait le contraire, mais j’étais certaine que si je ne lui avais pas fait découvrir ce milieu-là, elle ne s’y serait pas naturellement intéressée avant longtemps.

Aucune de nous ne parla plus jusqu’à notre arrivée.

Songeant que je devais tout de même des explications à Julien pour lui avoir fait faux bond la veille, je lui envoyai un message d’excuses lui relatant la scène de l’arrivée imprévue d’Evie chez moi.

Lorsque la Fiat se gara sur le parking caillouteux d’une vieille église, j’enfilai une paire de lunettes de soleil noires et passai mon sac-à-main autour de mon cou.

La cérémonie se tenait dans un cimetière de campagne, au milieu des prés, où les vaches, assommées par le soleil déjà brûlant, étaient couchées dans l’herbe brune et rase.

Clarisse et moi rejoignîmes la petite troupe qui était rassemblée devant un tombeau. Je reconnus plusieurs visages familiers, mais ne saluai qu’une poignée de personnes.

Je récoltai quelques œillades antipathiques de la part de certains membres de ma famille et les ignorai royalement.

Au cours de la cérémonie, le prêtre qui menait la cérémonie, invita des proches de la défunte à évoquer sa mémoire.

Des inconnus à mes yeux, ainsi que mon dernier grand-oncle et ma mère témoignèrent, arrachant quelques larmes dans l’assistance.

En repensant aux paroles de Julien sur mon insensibilité, je me sentis un peu bête de ne ressentir aucune forme de tristesse, mais je n’allais tout de même pas me forcer à pleurer !

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