Chapitre 9

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La bouteille de bière explosa dans un bruit sonore contre la vitrine de la boulangerie, projetant des éclats de verre sur nous. L'impact créa une grosse fissure en forme de toile d'araignée dans la vitre et je sentis immédiatement un vif picotement me brûler le poignet.

Les rires gras de plusieurs étudiants de la bande résonnèrent dans la rue, sombre et déserte de tout autre piéton.

J'effleurai mon poignet à l'endroit où le morceau de verre s'était logé. Il n'était pas gros, mais me faisait déjà un mal de chien. Je vis une perle de sang s'échapper de la plaie.

Julien, à-côté de moi, se passait une main dans le cou, grimaçant. Je compris qu'il avait également reçu un éclat, mais n'eut pas le temps de m'enquérir de son état.

- Eh, elle vient, c'tte oseille ? aboya le type tatoué qui nous avait accosté en premier.

Il fit un pas de plus dans notre direction.

Instinctivement, Julien se rapprocha de moi. J'ignorais si c'était dans le but de me protéger ou pour que je le protège, lui. Je me sentis prendre sa main sans réfléchir. Ses doigts étaient moites, certainement comme les miens, d'ailleurs.

Une goutte de sueur perlait de son front. L'instant de choc passé, il sortit de sa tétanie et s'écria à la bande saoule :

- Laissez-nous passer ! Immédiatement ! Je vais appeler la police !

Il brandit son téléphone, dont l'écran reflétait le trajet Google Maps censé nous guider jusqu'à la gare. Le grand costaud répliqua, ricanant :

- Z'avez entendu, les mecs ? Il va app'ler les flics, le p'tit guignol !

D'un mouvement malhabile, il tendit la main en direction du portable de Julien. Mais ce dernier para son geste ralenti par les effets de l'alcool.

- Reste tranquille, toi ! s'exclama Julien, la voix vibrante de colère et d'effroi.

Il fit mine de reculer davantage, mais nous étions déjà contre la vitrine, désormais craquelée en plein milieu. Je perçus son souffle rapide et ma respiration s'accéléra aussi, sous l'effet de la panique.

- Bon, on va pas y passer la nuit, articula le type d'un ton plus menaçant, d'nnez-nous du fric pour qu'on achète nos bières, et on vous laisse tranquilles. Dépêchez, s'non on vous prend vos affaires nous-mêmes !

Mon esprit, jusque-là paralysé, sembla se remettre en marche, et fut soudain traversé par une idée.

Je lâchai la main de Julien pour farfouiller à l'aveuglette dans mon sac-à-main, prenant garde à ne pas attirer l'attention des soûlards braillants.

Lorsque mes doigts rencontrèrent le spray au poivre, je refermai ma prise dessus, inspirai un bon coup, et le sortis d'un geste rapide.

À peine le pressé-je en face du visage tatoué du sale type, qu'il se mit à beugler et porta les mains à ses yeux. Je ne laissai pas le temps à ses acolytes ramollis de réagir et appuyai de nouveau sur le spray, balayant l'espace de droite à gauche afin de les atteindre tous.

Sans attendre, je saisis la main de Julien, et nous fonçâmes dans la masse, tandis que nos assaillants essuyaient leurs yeux déjà larmoyants, éructant des injures.

Nous les poussâmes sans ménagement afin de nous frayer un chemin pour sortir du cercle et nous mîmes à courir à toutes jambes dans la rue mal éclairée.

Les échos de voix des jeunes nous indiquèrent qu'au moins deux d'entre eux s'étaient élancés à notre poursuite. "Avec un peu de chance, peut-être s'emmêleront-ils les pieds, trop saouls pour courir droit..." espérai-je, affolée.

Julien, qui serrait toujours ma main, me lança :

- À la prochaine intersection, on vire à droite !

Dans notre course, je pris une seconde pour lui jeter un coup d'œil. Un petit filet de sang s'écoulait de sa joue, où un bout de verre avait dû le heurter. Quant à l'autre morceau, la blessure qu'il avait laissée semblait superficielle, il y avait seulement un petit point rouge au milieu de son cou.

- Maintenant, à gauche ! s'écria-t-il, tandis que nous traversions le trottoir d'une ruelle sombre, courant toujours à en perdre haleine.

Les bruits de poursuite se rapprochaient derrière nous. Je risquai un regard en arrière pour évaluer l'écart qui nous séparait de nos attaquants.

Un type au crâne rasé et un autre, très mince, aux longs cheveux bruns, nous pourchassaient à une dizaine de mètres de distance. Durant la fraction de seconde qui me permit de constater qu'ils gagnaient du terrain, je discernai la hargne dans leurs yeux hagards. Cette vision me procura une décharge d'adrénaline, qui m'encouragea à redoubler d'effort.

- Par là ! brailla Julien.

Il me tira par la main et bifurqua à droite. Nous dévâlames la volée de marches qui nous faisait face. Après avoir tourné à l'angle de plusieurs nouvelles rues, le cœur battant à tout rompre, je finis par ralentir l'allure, trop essoufflée pour poursuivre à ce rythme.

Le sang pulsant par à-coups brutaux dans mes veines, résonnait dans mes tympans. Ma trachée et mes poumons me brûlaient. La tête me tournait, tandis que ma vision, rendue floue par l'effort soudain et intense, se brouillait.

Julien, qui me regardait tout en courant, décéléra également l'allure, pour rester à ma hauteur.

Il semblait que nous avions semé nos poursuivants, car je ne les entendais plus au loin. Aussi, rassurée, je m'autorisai à m'arrêter, pantelante. Julien fit de même, jetant des regards inquiets en arrière, afin de surveiller la rue.

Il me saisit délicatement par les épaules et me guida jusqu'à un banc proche, afin que je m'y assoie.

Tout tournait autour de moi, je ne parvenais pas à reprendre ma respiration, trop paniquée. Le jeune homme aussi était hors d'haleine, et je remarquai qu'il tremblait. Il s'affala à mes côtés sur le banc, cherchant son souffle.

Il nous fallut plusieurs minutes avant de retrouver nos esprits. Lorsque je parvins enfin à réduire le rythme de ma respiration, je me penchai en avant, les coudes sur les cuisses. J'avais bien failli tourner de l'œil. Heureusement que nos poursuivants n'avaient pas réussi à nous talonner plus longtemps ; je n'aurais pas tenu une minute de plus.

- Est-ce que... ça va ? m'interrogea Julien, tournant ses yeux noisette vers moi.

Je secouai la tête, sans bien savoir si mon geste signifiait "oui" ou "non".

Je n'arrivais pas à croire ce qui venait de nous arriver. En quelques instants, notre soirée, légère et agréable, avait tourné à l'angoisse totale. Jamais je n'avais eu si peur, ni n'avais couru si vite.

Esquissant un sourire désabusé sur ses lèvres, le souffle toujours un peu court, Julien dit :

- En fait, t'étais vraiment sérieuse, quand t'as dit que t'avais une lacrymo.

Son ton presque désinvolte me laissa sans voix. Je me contentai de le fixer avec incrédulité. Comment arrivait-il à plaisanter dans un tel moment ?

Sans savoir pourquoi, sa réflexion me donna envie de l'embrasser.

"Tournez à gauche." fit alors la voix du GPS de Julien.

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