Chapitre 32

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– T’aurais une clope ? fit la voix d’Evie, toujours blottie contre moi.

– Bien sûr que non, enfin, je ne fume pas. Et tu devrais vraiment arrêter, d’ailleurs… Une deuxième fois.

– J’ai plus de fric pour m’en acheter, donc je suis déjà forcée d’arrêter…

Je me redressai, pour saisir mon téléphone portable. Il fallait que je prévienne Julien. Que je l’informe que j’annulais notre sortie.

Je n’allais pas pouvoir venir, Evie n’allait pas bien et je l’avais déjà laissée tomber une fois, je ne comptais pas la mettre de nouveau de côté en jouant l’égoïste. Elle avait besoin de moi, de ma présence, de mon aide, là, maintenant. Je ne pouvais pas me permettre de partir, la laissant seule dans cet état, pour aller faire mes petites affaires.

J’avais déjà été trop nombriliste, individualiste, vis-à-vis d’elle, et même si j’avais pu douter de notre amitié, elle, avait toujours été là quand j’avais besoin d’aide, pour me soutenir.

Je lui devais bien ça, ce n’était pas grand-chose comparé à la profondeur de notre lien. Et même si je tenais également beaucoup à Julien et aurait de tout cœur souhaité passer la journée avec lui, il faudra qu’il attende.

"Désolée, je ne vais pas pouvoir venir aujourd’hui. Je reste avec Evie, elle a besoin de moi. On se trouvera un autre moment."

Evie est ma meilleure amie, et quoi qu’il advienne entre Julien et moi, si nous entamons une relation, ce dont je doute, je sais que lorsque ce sera terminé entre nous, Evie sera toujours là, elle.

Après ma rupture difficile avec Théo, mon ex, il y a bientôt trois ans, elle m’avait épaulée sans faille, avait été un réel pilier pour m’aider à me relever, alors que j’étais au plus mal. Elle s’était montrée douce et patiente, même lorsque je l’envoyais parfois bouler, et m’avait petit à petit permis de reprendre goût à la vie, de retrouver le sourire.

Je réalise qu’elle compte plus à mes yeux que n’importe quel membre de ma famille et je ne sais toujours pas comment j’ai pu la négliger autant cette année…

Avant tout, je le reconnais, je veux aussi pouvoir faire taire les voix de mes parents dans ma tête, qui me rappellent mes faiblesses, me ramènent à mes erreurs, que j’aimerais mieux oublier. Si je veux les expulser et vivre libre, en paix, je dois surpasser ces voix et leur montrer que je suis capable d’être autre chose que ce à quoi ils me réduisent.

Je ne serai plus une égoïste. Ils ne pourront plus me le reprocher.

La réponse de Julien fut presque instantanée :

"Sérieusement ? Tu annules tout maintenant ?"

Bon, je reconnais que je n’avais pas formulé mon message de manière à lui faire comprendre les raisons de ma décision, je pouvais entendre sa colère.

"Je t’expliquerai."

Ce n’était pas le moment et je n’avais aucune envie de me lancer tout de suite dans une justification.

Je n’avais pas voulu impacter Julien en décidant d’être désormais une amie à la hauteur pour Evie, mais forcément, il fallait bien passer par-là. Tant pis, ça me coûtait, mais si c’était le prix à payer pour être digne de l’amitié qu’elle m’avait témoignée depuis notre rencontre, alors je devais faire ce sacrifice.

J’étais sur la bonne voie pour devenir une meilleure personne, une meilleure amie, loin des schémas réducteurs dans lesquels je m’étais enfermée parce que ma famille pensait que c’était tout ce dont j’étais capable, ce qui me définirait pour toujours.

"J’ai pris mon jour de congé exprès."

En lisant le message de Julien, je pouvais sentir sa déception, son amertume, sa peine, plus que de la colère. J’avais oublié ce détail, et réalisai à quel point lui aussi s’investissait pour faire perdurer notre lien.

Je suis consciente qu’en cherchant à ne plus l’être pour Evie, j’étais tout de même un peu égoïste vis-à-vis de lui. Mais ça devait passer au second plan.

Je ne le connais pas depuis assez longtemps pour être certaine que mes sentiments pour lui sont fiables, que la flamme qui m’habite quand je pense à lui ne va pas s’éteindre au moindre coup de vent.

La matinée tirait vers sa fin. Evie et moi étions en pleine confection d’un cake d’été dans la petite cuisine de mon studio, où la température avait dû grimper de cinq degrés supplémentaires depuis qu’on avait allumé le four.

– Rappelle-moi, pourquoi on a décidé de faire ça, déjà ? dis-je, essuyant une goutte de sueur de mon front.

Evie, que j’avais dû motiver à me suivre en cuisine, répondit, en nage :

– Je ne sais pas, c’était ton idée, moi j’étais partante pour une salade. C’est simple, rafraichissant et ça n’a pas besoin de cuire… Je vais faire plus attention à mes actes, maintenant que j’ai une bonne image de la fournaise des enfers…

Notre cake cuit et mangé, nous nous mîmes en tête de faire un tour à la piscine municipale pour nous rafraichir. Comme Evie ait pris ses affaires en fuyant sa coloc, elle avait son maillot de bain avec elle.

Sur la route pour la piscine, dans le tram, mon amie se remit à se lamenter sur sa situation. Je voulus la distraire pour lui changer les idées, mais mon cerveau était vide.

– Nat, quand même, qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Tu te rends compte, même si je retrouve un taf rapidement, je ne pourrais jamais réintégrer ma coloc, ils ont une dent contre moi…

– Ne te préoccupe pas de ça maintenant. Ecoute, en rentrant, on se mettra dans tout ça, mais pour le moment, profite de notre sortie à la piscine, d’accord ?

– J’aimerais bien, Nat, gémit Evie, mais toutes ces pensées tournent en boucle dans ma tête… Et je dois retourner bosser demain au magasin, mon préavis n’est pas terminé. C’est infernal, Evie, je ne sais pas si je vais tenir le coup…

– Mais si, n’y pense pas, je te dis. Aujourd’hui on est ensemble et on va s’amuser. Au fait, j’ai trouvé que le cake manquait de sel, pas toi ? dis-je, consciente de la médiocrité de ma diversion.

– Ouais, tout ça pour ça, soupira Evie. On a sué comme pas possible et le résultat ne valais pas le coup…

– Mais ce qui compte, c’est qu’on ait passé un bon moment à le faire toutes les deux, tout de même, tempérai-je.

Mon amie acquiesça, l’air à-moitié convaincue.

Arrivées à la piscine, toute trace de chagrin l’avait quittée.

Nous passâmes un merveilleux moment de complicité, et une après-midi inoubliable.

Le soir, nous nous préparâmes un bon dîner, que nous mangeâmes devant un bon film, avant de nous coucher et de papoter des heures durant dans le noir, comme des enfants à une soirée pyjama.

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