Calme avant la Tempête

12 minutes de lecture

Un court silence s'installa lorsque sa mère revint de la cuisine avec le plat principal.

- Avec l'arrivée d'autres clients, je vais devoir agrandir le barn, faire entrer plus de nourriture. Peut être même devrais je recruter un nouveau moniteur ! commença t elle à réfléchir en se tournant vers son père.

- Ne t'emballe pas comme ça ! lui lança t il en rigolant. Sois patiente !Attends donc ce poulain et confirme avec tes quatre clients. Ensuite,tu verras ! Prends le temps de développer ton business !

- Et peut être faire un bébé, non ?

La conversation s'interrompit brutalement et tous les regards se tournèrent avec étonnement vers la mère de Gaby.

-    Ce n'est pas dans mes projets pour le moment, répondit Gaby, laconique.

-     Et Mickael ? Vous en avez parlé ? Vous êtes mariés depuis quelques années maintenant ?

Gaby posa calmement ses couverts et fixa sa mère de son regard bleu perçant.

- Nous avons abordé la question quelques fois, mais entre le Ranch et ses missions militaires, nous ne souhaitons pas nous lancer dans ce projet pour le moment, répondit elle posément.

-  Vous avez la trentaine. Si vous ne prenez pas le temps ou que vous attendez d'être prêts, vous n'en ferez jamais ! Je voudrais être grand-mère !

-  Désolée de te décevoir, mais ce n'est pas en projet... ironisa Gaby en reprenant son repas, indiquant ainsi que le sujet était clos.

- Vous avez des difficultés pour en faire un ? Ma chérie, ce n'est pas une fatalité. Je peux vous conseiller de très bon spécialistes...

Irritée, Gabyre posa violemment ses couverts et fixa de nouveau sa mère. Pourquoi insistait elle sur un sujet aussi personnel ?

-  Je te le répète,ce n'est pas dans nos projets pour le moment, déclara t elle calmement mais d'un ton qui ne demandait aucune réponse.

Alors que sa mère s'apprétait répondre, le père posa une main sur le bras de son épouse, en signe d'appaisement. Un silence lourd s'abattit sur la tablée, chacun se contentant de manger son assiette. Les deux parents se lançaient des regards interrogateurs et appuyés face au silence buté de Gaby qui gardait les yeux baissés. Après une dernière interrogation muette de sa femme, le père haussa les épaules et se tourna vers sa fille.

-  Comment va notre Micky ? lui demanda t il doucement en se raclant la gorge. Des nouvelles depuis son départ en mission? précisa t il en voyant le regard noir de sa fille.

Gaby soupira et se cala confortablement dans sa chaise en croisant les bras. Elle observa son père et sa mère.

            La première fois que ses parents avaient entendu parler de Mickael, ils s'étaient bien demandé pourquoi et comment leur fille avait pu s'enticher d'un jeune militaire, qui n'était pas de la région qui plus est. Mais dès la première rencontre, le père et la mère étaient tombés sous le charme de ce jeune homme blond et rieur. Les parents avaient tout de suite intégré cet amoureux dans la famille et l'avaient considé un peu comme le fils qu'ils n'avaient jamais eu.Ils avaient bien ri et pleuré lors du mariage. Lorsque le jeune couple avait déménagé, bien qu'un peu déçus sur le moment par leur décision de partir au loin, ils avaient été vite rassurés en se rendant compte que la distance n'avait en rien relâché lesliens.

Gaby se souvenait encore de leurs dévouement et de leur présence pendant ces mois difficiles qui avaient suivi le grave accident de Mickael en mission.Ses parents avaient alors débarqué dans leurs appartement, sur la base juste après qu'elle leurs ait annoncé en pleurs la terrible nouvelle. Lorsque Gaby avait décidé de changer de lieu pour la convalescence de son époux, ils lui avaient naturellement proposé de les héberger.

La période avait très difficile entre espoir et abandon, désespoir et persévérance.Les médecins avaient été pessimistes quant à la capacité de Mickael de marcher de nouveau. Mais il s'était accroché, battu et grâce à sa pugnacité, porté par l'amour des siens, avait réussià déjouer tous les pronostics. Gaby avait été très fière de lui. Cette terrible épreuve aurait pu les séparer,mais leur couple en était sorti au contraire renforcé. Mais pour autant,cette période troublée avait laissé de profondes cicatrices dans leurs esprits. Mickael, d'ordinaire si enjoué, facile à vivre,aimant, était devenu taciturne,ombrageux,s'isolant volontiers. Il s'était laissé pousser la barbe ce qui lui avait donné un air sauvage. Gaby, quant à elle, n'avait plus voulu retourner à la  base et reprendre son emploi d'infirmière.Elle ne voulait pas revivre cette épreuve de voire son amour grièvement blessé,l'inquiétude de l'attente, les mois de convalescence. C'est pour cela qu'elle avait décidé de rester ici, avec son projet de Ranch. La jeune femme avait eu le mince espoir qu'il renonce lui aussi à sa vie de militaire,qu'il reste ici.En vain. Au contraire, il avait très vite manifesté l'envie de repartir, de reprendre sa place. Un soir, lorsqu'il lui avait annoncé sa décision, elle était restée muette un instant,comme frappée de stupeur, avant de l'insulter violemment, lâchantla bride aux sentiments qu'elle avait refoulés depuis trop longtemps. Il n'avait pas bronché, encaissant stoïquement les reproches. Cette attitude n'avait eu pour résultat que d'exaspérer la fureur de Gaby qui avait alors refusé de lui adresser la parole. Mais après avoir parlé avec ses proches,son ressentiment s'était estompé et elle avait finalement compris pourquoi cela avait été si important pour Mickael de retourner sur la base, avec ses collègues. Ce soir là,lorsqu'elle l'avait retrouvé, il l'avait simpement accueillie dans ses bras. Ils avaient longuement parlé cette nuit là, dans les bras l'un de l'autre, échangeant leurs envies, leurs craintes.Malgré tout l'amour qu'il éprouvait pour elle,il ne changerait pas d'avis.

Le plus difficile fut quand il avait décidé de repartir pour une mission de longue durée, à l'étranger. Gaby avait bien essayé de cacher son anxiété face à Mickael et faire bonne figure, mais ce dernier s'en était bien vite rendu compte. Comme pour se faire pardonner, il avait encouragé Gaby dans son projet foud'acheter un Ranch. Chacun s'était alors lancé à corps perdu dans son projet respectif. Ils avaient aussi profité aussi à fond des moments à deux, emmagasinant le plus de bons souvenirs avant la séparation de plusieurs mois.

Le matin du jour fatidique, elle avait instinctivement refermé ses bras et ses jambes autour du corps de son époux et n'avait pas voulu le laisser partir. Ils'était dégagé doucement avant de lui faire l'amour longuement.

Gaby s'était promis de ne pas pleurer,mais sur le pallier de la porte, devant son homme en tenue militaire, prêt à partir, elle avait du se mordre fortement les lèvres pour ne rien laisser paraître de son désarroi. Mickael avait besoin de son courage, pas de ses angoisses. Il l'avait embrassée une dernière fois avant de partir sans se retourner. Depuis ce jour, Gaby se vouait corps et âme à son Ranch et ses chevaux pour apaiser sa solitude et ses inquiétudes.

Sa famille et sa meilleure amie Hailey, bien conscients de la situation difficile que traversait le jeune couple, n'avaient pas hésité à apporter soutien et épaules réconfortantes.

Cela faisait déjà pratiquement un mois maintenant qu'il était parti en mission de« pacification » dans ce pays en guerre, à l'autre bout de la planète. Gaby était morte d'inquiétude, s'attendant encore àrecevoir une autre mauvaise nouvelle : une blessure, une disparition ou pire...

Depuis son départ,Mickael la contactait très régulièrement via la webcam. A chaque fois, elle faisait de son mieux pour paraitre joyeuse et enthousiaste. Elle parlait alors avec volubilité de ses activités au Ranch, ses clients, seschevaux, de ses réussites comme de ses échecs. Elle lui donnait aussi des nouvelles de tous ceux qui l'aimaient. Il l'écoutait patiemment, un sourire aux lèvres et  était fier de sa « petite femme ». De son côté, il restait bien sûr très évasif sur son quotidien militaire, d'une part du fait du secret défense et de l'obligation de confidentialité et d'autre part pour éviter toutesinquiétudes inutiles. Son homme lui racontait quelques anecdote s amusantes, ses soirées avec ses amis et le peu qu'il s'autorisait à divulguer sur sa vie quotidienne sur la base. Mickael s'efforçait d'être toujours souriant et gai. Mais Gaby ne pouvait s'empêcher de se demander si tout se passait aussi bien qu'il le laissait entendre, s'il avait arrêté de faire ses cauchemars qui le réveillaient en hurlant. Elle se retenait de poser la question car il semblait sûr de lui, bien dans sa peau et elle ne voulait pas gâcher le peu de temps passer ensemble.

- Aux dernières nouvelles, il semblait aller bien, répondit elle à son père après un long silence. Il semble s'être bien acclimaté dans ce pays chaud et avoir bien pris ses marques dans la base. Il m'a raconté une histoire à propos de toilettes qui s'étaient bouchés. Lui et son équipe se sont retrouvés à se débrouiller pour tout remettre correctement.Il raconte mieux que moi les histoires et honnêtement, c'est très drôle ! conclut elle en rigolant.

Puis le silence retomba, alors que Gaby se mit à triturer son dessert sans en manger une miette. Son père et sa mère se jetèrent un regard.

- Sinon, comment va t il ? demanda sa mère en appuyant chaque mot.

Gaby se redressa et repoussa de nouveau son assiette.

- Comme je vous l'ai dit, il semble en super forme ! déclara t elle en les fixant.Vous devriez voire la masse musculaire qu'il a prise ! Ce n'est plus le même homme!Il a une nouvelle petite cicatrice sous l'oeil gauche qui lui donne un petit air de chat sauvage. Il fait plus mûr,plus viril. Tous ces changements ne sont pas pour me déplaire,essaya t elle de blaguer.

Mais Gaby fut la seule à rire et elle comprit ce qu'ils attendaient.

- Vous savez,lorsque nous discutons ensemble, il semble heureux, posé et pas du tout anxieux ou stressé. Lorsque je lui pose la question, il me répond toujours que ça va. Mais je le connais. Il ne m'avouera jamais qu'il souffre encore de stress post traumatique par peur que je ne m'inquiète. De mon côté je n'ose pas lui poser trop de questions. Il abesoin d'avoir quelqu'un de fort à ses côtés.

- Mais ma chérie,tu as le droit de t'inquiéter pour l'homme que tu aimes, lui indiqua sa mère en posant une main réconfortante sur la sienne. Au contraire, peut être attend il de son côté que tu abordes le sujet, pour qu'il puisse te raconter ses peurs. Après tout ce que vous avez traversé, il se peut qu'il veuille te donner l'image d'un homme qui contrôle son destin, qui n'a pas peur.

- Mais ce n'est pas ce que je lui demande ! Il peut avoir des doutes, je peux lui offrir une épaule forte pour le soutenir !

- Alors dis lui et demande lui comment il va, honnêtement ! Il n'y a rien de pire que l'absence de communication dans un couple, qui plus est quand ce couple est distant de plusieurs milliers de kilomètres !conclut sa mère d'un aire docte.

- Oui, tu as raison,Maman. Je lui demanderai. Merci, lui dit elle dans un sourir, en s'essuyant furtivement le coin de l'oeil. Je l'aime, tu sais et ne veux que le meilleur pour lui. Et puis il me manque tellement !

- Je sais bien, lui répondit affectueusement sa mère en posant maternellement une main sur sa joue.

- C'est bien compliqués, les hommes ! lança Gaby en roulant des yeux.

-  M'en parle pas !

-  On le finit ce dessert ? demanda le père.

La mère et la fille partirent dans un grand éclat de rire et l'atmosphère s'allégea soudainement.

Le téléphone de Gaby se mit à vibrer de manière inopinée. La jeune femme saisit l'appareil pour savoir qui avait bien pu vouloir la contacter à une heure aussi tardive. C'était Hailey, sa meilleure amie.

-   Comment va cette brave Hailey ? demanda sa mère alors qu'ils débarrassaient la table.

Le ton ironique de sa mère n'échappa pas à Gaby. Aussi loin que remontait sa mémoire,sa mère n'avait jamais vraiment appréciée son amie, bien qu'elle ne se mêlait que très peu de la vie de sa fille. Les deux jeunes femmes s'étaient rencontrées à une soirée d'halloween à l'Université et leur amitié avait plutôt mal commencé, Gaby ayant malencontreusement marché sur la queue du costume de diablesse  d'Hailey..Leur entourage avait été très surpris de leur amitié atypique : Gaby, la fille posée et travailleuse avec Hailey la fantasque. Pourtant, au fil des années, leur amitié avait tenu bon,malgré leurs différences. Il faut dire qu'Hailey avait une personnalité qui détonnait dans cette petite ville rurale. Rousse incendiaire et très belle femme, Hailey profitait de ses avantages pour obtenir ce qu' elle voulait. Jeune trentenaire croqueuse d'hommes, elle avait déjà deux divorces à son actif et collectionnait les amants, se rêvant actrice ou chanteuse. Mais pour le moment, elle attendait son heure de gloire en vivotant comme serveuse dans le Diner de la ville. Gaby adorait Hailey qui connaissait toujours une soirée où allait, un bar à essayer. De plus,sa meilleure amie s'était montrée d'un soutien indéfectible lors de la période difficile avec Mickael.

Le Diner était le terrain de chasse d'Hailey. Toutes personnes qui arrivaient en ville passaient forcément par là et Hailey avait toujours les dernières nouvelles, connaissant ainsi tous les potins et histoires les plus croustillants de la ville.

- Il semblerait qu'Hailey ait de nouveau trouvé l'homme de sa vie...répondit Gaby d'un air moqueur.

- Ce n'était pas Will, le concessionnaire de voitures ? lui demanda sa mère,curieuse.

Gaby partit dans un grand rire.

- Non, elle a quitté ce bon vieux Will depuis plusieurs mois déjà. Hailey l'a surpris baisant sa secrétaire derrière le magasin.. s'ésclaffa la jeune femme. Il y a quelques semaines, elle sortait avec un biker. Le genre de bonhomme avec pleins de tatouages sur le corps, une barbe et un bandana sur la tête, habillé tout en cuir. Très belle Harley Davidson. Mais il semblerait que cette histoire ne soit déjà plus d'actualité....conclut Gaby en souriant.

- Cette fille finira mal... lança sa mère de la cuisine.

- Peut être,répondit Gaby doucement. Hailey m'invite à une prochaine soirée pour faire la connaissance de sa nouvelle conquête. Un gérant d'entreprise, apparemment. Bel homme.

-  D'ici là, elle aura peut être changé... lui répliqua sa mère ironiquement.

Gaby éclata de rire. Il est vrai qu'elle et Hailey n'avait pas la même vision de l'amour et des relations avec les hommes. Hailey était bien plus pragmatique... Mais Gaby ne l'enviait pas car elle était très heureuse en ménage et restait fidèle, au grand damne de sa meilleure amie.

Plus tard dans la soirée, la famille s'installa confortablement au salon pour bavarder plus à leurs aises, un verre de vin à la main. Soudain, au loin,ils entendirent un bruit sourd, comme si quelque chose était tombé.

- La tempête ! s'exclama Gaby en se redressant vivement dans son fauteuil. Mes chevaux ! Il faut que j'y aille sinon je vais rester coincée ici !

La jeune femme se leva d'un bond et se dirigea en grandes enjambées vers la porte d'entrée, son chien sur les tallons. Elle enfila rapidement son gros blouson, ses gants fourrés et mis son chapeau sur la tête.

- Attends, Gaby, je sors avec toi, lui lança son père qui la rejoignit rapidement.

Gaby embrassa sa mère  rapidement et sortit de la maison à la suite de son père. Dehors, le froid piquant les saisit immédiatement et Gaby ne put réprimer un frisson. La nuit était noire comme de l'encre, la lune et les étoiles cachées par d'épais nuages. Un léger vent soufflait déjà,faisant voleter les flocons de neige. Elle suivit son père qui se dirigeait rapidement vers la grange.

-  Tiens, c'est pour toi.

D'un geste du bras,il lui désigna une pile de cagettes remplies de légumes et autres provisions.

- C'est pour moi ?Tout ça ? demanda t elle interloquée.

- Avec cette tempête de neige qui se prépare, il faut être prévoyant, ma fille. Nous ne savons pas si les routes seront praticables ou pas et pour combien de temps, lui répondit il posément.

- Mais j'ai déjà fait des réserves en prévision... et je suis toute seule au Ranch !Et Maman et toi ? Vous en auriez peut être plus besoin...

- Ne t'inquiètes pas pour nous. Nous avons tout ce qu'il nous faut. Nous préferrons te savoir en sûreté dans ton Ranch avec suffisamment de nourriture.Tu habites assez loin de la ville et tu pourrais rencontrer des difficultés d'approvisionnement. Prends tout.

- Merci, Papa, lui déclara t elle en le prenant dans ses bras.

A eux deux, ils rangèrent les provisions de légumes et de viande à l'arrière du Pick up et couvrirent le tout d'une bâche solidement arrimée. Le vent commençait à se lever et la neige tombait plus drue. Gaby ne devait pas tarder si elle ne souhaitait pas rester bloquée dans son vieux Ford sur le bord de la route. Rien qu'à cette pensée, elle frissonna.

- Au revoir, Papa. à bientôt. On s'appelle rapidement. Prenez bien soins de vous, lui dit elle en l'étreignant de nouveau dans ses bras.

-  A bientôt ma fille. Sois prudente et n'hésites pas à nous contacter si besoin

Gaby se hâta de monter dans son véhicule, son chien à sa suite, démarra le moteur dans un bruit assourdissant et prit le chemin du retour en agitant la main par la fenêtre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Mazeppa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0