Chapitre 4 - Demain est mort

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Je me rappelais le ciel noir, les orages tout autour de moi. Je me souvenais de chaque éclair, comme quand le temps a commencé à se troubler, comme un signe irrévocable que le destin nous avait trouvés, et mon souffle était tout ce que j'entendais.

Il n'y avait rien à l'intérieur, les souvenirs laissés à l'abandon. Il n'y avait nulle part où se cacher, les cendres tombaient comme la neige. Et le sol sous nos pieds a cédé, juste à l'endroit où nous nous trouvions. Et mon cœur était tout ce que j'entendais.

Chaque perte et chaque mensonge, chaque vérité niée, chaque regret et chaque adieu, étaient des erreurs trop grandes à cacher. Et mon âme était tout ce que j'entendais.

Alors donnez-moi la raison de me prouver le contraire, pour effacer ce souvenir, donnez-moi la raison de combler ce vide, de joindre l'autre rive, laissez ce vide se remplir pour atteindre la vérité à travers cette nouvelle déchirure.

Cette nouvelle déchirure. Ces évènements désormais que je ne voyais que comme une guerre d’à peine quelques heures qui tenait plus du massacre, et pour laquelle il fallait maintenant agir chacun pour soi, comme si demain ne viendrait jamais.

Alors il fallait se ressaisir, réfléchir. Il fallait s'organiser.

Côté abri, ma porte était toujours verrouillée à double tour par tous les verrous. J’avais même arraché mes plinthes pour les clouer en travers de la porte et laissé les volets toujours baissés. Je m'éclairais avec le minimum, utilisais l'eau avec parcimonie et prêtais attention à chacun de mes gestes pour ne pas attirer l'attention sur moi.

Je décidai d'allumer la télévision sur la chaîne d'informations pour la mettre en sourdine et tentai de capter un signal sur ma radio pour guetter n'importe quel message d'urgence. En attendant une quelconque nouvelle de l'extérieur, je pris une feuille de papier et un crayon et décidai de me constituer une liste et de noter tout ce dont j'avais besoin.

- Nourriture/eau

- Matériel de repérage

- Eclairage

- Armes

- Chaussures

- Vêtements

- Couchage

Là, les nouvelles furent annoncées. « Propagation massive d'une infection virale inconnue. Les infectés perdent tous sens d’humanité, deviennent extrêmement dangereux et agressifs. Les autorités recommandent à la population les choses suivantes : de ne pas sortir dans la mesure du possible, stocker suffisamment d'eau et de nourriture pour rester à l'abri une ou deux semaines. Propagation massive d'une infection virale inconnue. Les infectés perdent tous sens d’humanité... »

Les autorités avaient sûrement préféré que les survivants attendent que les assaillants se dispersent un maximum pour envisager un plan de sauvetage ou au moins un point de ralliement. Mais combien dans la panique avaient choisi de plier bagage avec femme et enfants pour s'engager en masse sur les grands axes et se trouver coincés au péage dans des embouteillages monstres ? Les images que je voyais montraient des files interminables de voitures immobiles et dont personne ne pourrait dire comment leurs occupants allaient se sortir de là. J'étais en sûreté chez moi, barricadée, et pour tout dire, sortir n'était pas dans mes intentions. Mais pour combien de temps ? Je voulais bénéficier au maximum de ce refuge autant que possible, j’avais un peu de stock de nourriture, mais un jour viendrait où j’allais devoir me réapprovisionner.

Après réflexion, je décidai le lendemain de mener ma première sortie.

J'avais risqué de prendre la voiture pour cette première expédition dans la mesure où je ne voulais pas être à pied et à découvert, facilement repérable.

Les scènes de pillage se succédaient inlassablement. Les parkings des supermarchés étaient pris d'assaut, les voitures se garant quasiment devant l'entrée sans demander leur reste. Des mères de familles tentaient de pousser en courant des chariots lourdement chargés, d'autres prenaient ce qu'elles pouvaient à la main, dans leurs poches ou dans un sac à dos. Les étalages étaient dévastés, renversés, les marchandises restantes à même le sol. Il était plus facile de trouver ce qu'on voulait en se baissant, mais pas le temps de trop réfléchir, ce qui semblait correct suffirait amplement.

J'avais vu des hommes se frapper jusqu'à l'os dans une allée pour le dernier lot de piles électriques disponible. Tous les coups étaient permis. Ils en avaient le visage tuméfié, ils en crachaient du sang et des dents. Mais à bout de force, l'un avait fini par céder et ne se relever que misérablement en laissant l'autre lui prendre son butin.

J'avais pris ce qui m'était tombé sous la main. Une soupe, de la sauce tomate, une grosse boîte de haricots rouges, une petite boîte de sardines à l'huile et deux bougies. Plutôt maigre, mais je ferais avec. J'avais pu également trouver un briquet (miracle !), une boussole et une carte de la région.

J'avais repris la berline bleue dans le sens du retour, pied au plancher. J'avais dû faire demi-tour à mi-chemin car un immeuble voisin avait été pris pour cible et j'avais dû bifurquer pour contourner la zone, sinistrée, et rentrer chez moi.

Une fois passée la porte de mon appartement, j'avais mes quelques provisions et décidai de lister tout mon stock de nourriture et me rationner par jour. J'avais tout sorti de mes placards en essayant de faire le moins de bruit possible et étalai leur contenu par terre. Un pack d'eau, 1,5 kg de riz, quelques bières, 750g de farine, une bouteille de soda, 3 conserves de champignons...mes menus quotidiens étaient magnétés sur mon frigo une heure plus tard.

Faute de mieux, je m'étais pris un escabeau et montai pour atteindre le dernier niveau de mes placards, là où je laissai les éléments saisonniers. Notamment, mes vêtements de marche et de plongée. J'avais retrouvé ces chaussures de marches qui avaient pris la poussière depuis que j'étais revenue de mon trekking en Islande dix ans auparavant et qui feraient bien l'affaire. J'étais également sorti avec ce fana de plongée il y a trois ans, avec qui j'avais un peu expérimenté les profondeurs sans y prendre vraiment de plaisir en fin de compte, et pour lequel je m'étais finalement complètement équipée. Même de ce fameux couteau de plongée qui n'avait jamais servi.

Je n'avais pas de moyen de me défendre. Je pesais à peine 55kg et la première brute épaisse rencontrée n'aurait pas donné cher de ma peau. J'avais désormais vu dans le tranchant de ce couteau encore impeccable toute ma capacité à survivre et à riposter en cas d'agression. J'étais petite et avais tout intérêt à apprendre à être discrète et furtive avec cette arme blanche qui allait être ma meilleure alliée pour défendre ma vie.

A cela, il me fallait des vêtements chauds, légers et protecteurs. Pas facile de combiner les trois. Je m'étais pris une casquette, des lunettes de soleil, un foulard que je pourrais nouer autour de mon nez. Un sweat et ma veste en cuir. Un jean Levi's de bonne qualité (si je devais envisager une sortie, autant l'envisager avec classe !) et une paire de chaussettes épaisses.

En rassemblant mes affaires, je ne pouvais m'empêcher de repenser à ces documentaires animaliers. Beaucoup de proies s'abritent dans les arbres pour échapper à leurs prédateurs, alors cloués au sol. Je ne pouvais m'empêcher du coup de faire le lien avec les cours de voltige auxquels j'assistais par le passé en faisant des figures acrobatiques suspendue dans un tissu accroché au plafond. Il me fallait une sorte de hamac dont je pourrais me servir si je devais passer le reste de mes nuits prochaines dehors. Dans un élan de génie, je revins dans mon séjour et découpai les rideaux de la tringle pour ne pas en abîmer les coutures.

J'avais plié mes affaires et les avais mis dans mon sac à dos près de la porte. Mieux valait me tenir prête en cas de départ précipité. De plus, les téléphones portables n'émettaient plus très bien ou les lignes encore actives ne sonnaient que dans le vide. J'avais monté mon propre camp de survie et j'étais seule. Isolée du monde et sans dîner, j'allai me coucher encore habillée en sachant pertinemment que cette journée de survie se répéterait indéfiniment dans l'éventualité infime qu'un peu de meilleur se présenterait.

Lorsque je rouvris les yeux le lendemain matin, tout était gris et fade. Je fixais le plafond pendant de longues minutes, puis de longues heures. Cette journée me faisait redouter qu'il se passe des évènements que je ne pourrais contrôler. Qu’allait-il se passer ? Allais-je être à la hauteur ? En fait, qu’allait-il se passer qui me ferait peur ? Que pouvais-je craindre, qui diminuerait encore et toujours le peu de confiance que j'avais en moi ? Je ne pouvais plus rester là à attendre qu'on vienne éventuellement peut-être à mon secours. Je ne devais maintenant que m'en remettre à moi-même, et le plus difficile, me faire confiance pour me sauver.

Je décidai de me sortir du lit et d'entrouvrir le volet de ma chambre. Le ciel était changeant mais n'annonçait rien de contraignant pour marcher. Je dépliai la carte que je m'étais procurée et traçai ma route. Il me fallait quitter la ville en évitant les routes principales et les zones résidentielles. Marcher en rasant les murs et en contournant de nombreux obstacles. La carte ne représentait pas précisément la ville à cause de son échelle, mais le chemin qui me sortirait le plus rapidement de la ville sans emprunter les axes les plus connus serait ma meilleure chance de fuir saine et sauve.

Je visualisais les environs dans ma tête. Mieux valait éviter les endroits qui constituaient des solutions faciles d'hébergement vers lesquelles les masses se seraient précipitées. Je n'étais sûrement pas à la page en ce qui concernait la localisation des zones infectées, mais dans mon dernier souvenir l’est et l’ouest étaient contaminés, le nord présentait donc la voie la plus sûre. Il fallait que j'essaye. Je pris un feutre et surlignai ma route. Il me fallait donc sortir de la propriété sur la pointe des pieds, aller à droite, puis tourner à gauche, reprendre à droite, puis marcher le long de la friche industrielle qui s'étendait là et longer la rivière, encore et encore, jusqu'à sortir de la ville et gagner le campagne environnante. J’avais peut-être une chance de m’en sortir.

Il ne fallait m'arrêter qu'en cas d'extrême nécessité et garder mon sang-froid en toute circonstance. Tout écart de conduite pourrait m’exposer au danger. Je décidai de rajouter des vivres supplémentaires à mon paquetage et de me passer le corps rapidement sous l'eau. La pression de la douche aura bien été le dernier luxe que je me serais autorisée dans cette vie d'après. Je laçai mes chaussures. Je passai ma veste en cuir sur mon sweat d'université et vissai ma casquette sur ma tête.

Je pris un peu de temps pour voir si je n'avais rien laissé d'utile à mon exode quelque part dans un tiroir ou une poche. Je parcourus chaque pièce de mon appartement pour récupérer éventuellement une autre lampe électrique ou un couteau de cuisine à prendre. En même temps, je me regorgeai de l'air ambiant de mon foyer, pour lequel j'avais investi toutes mes économies et que j'avais remis à mon goût pendant de longs étés. Mais tout cela était bien loin derrière maintenant et ne comptait plus. Tout épanchement ou tout sentimentalisme de ma part pouvait être aussi imprudent que d'approcher des zones infectées. Le restant de ma vie dépendrait dorénavant de ma capacité à m'adapter, de bouger constamment et de ne faire confiance à personne.

Je mis mon sac sur mon dos et tournai une dernière fois la clé du loquet. Je passai dans l'entrebâillement et refermai la porte derrière moi. Je nouai un foulard sur mon nez derrière ma tête et descendis dans le hall de ma résidence. La lumière jaune et chaude du soleil venait de s'inviter par la baie vitrée de l'entrée principale. J'étais dans un état second, imprégnée d'attention extrême et de confusion profonde. J'ouvris la dernière porte d'un monde civilisé pour affronter le dehors qui nous était désormais imposé.

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