Chapitre 3 - Un ciel d'hélicoptères

8 minutes de lecture

« Bonjour et bienvenue dans notre édition de 10h. L'apparition de nouveaux cas de la maladie a été confirmée ce matin par l'OMS. D'après notre correspondant à Genève, il serait préoccupant si les choses devaient changer et que soit rendue possible la transmission entre personnes. »

« On déplore l'augmentation très importante des émissions de CO2 sur les quinze dernières années. Y a-t-il un véritable danger à votre connaissance ?

- Je vous le confirme, il n'y en a aucun. »

« Alerte de niveau 6. Les dirigeants de plusieurs pays vont se réunir cet après-midi pour un sommet exceptionnel. »

« La police fait état de cas similaires signalés récemment de personnes au comportement étrange et très violent. »

« Peu de chances pour que l'agence de santé de Nations Unies recommande officiellement de limiter tous les déplacements. »

« Ce ne sont pas des physiciens ni des ingénieurs, ils croient que ça va passer tout seul, mais ils se trompent, ils vivent dans un monde de rêve, un univers parallèle. »

« En le frappant directement à la tête, en le rouant de coups, l'homme saigne. »

« 21 nouveaux cas confirmés. »

« Ces discours sur un prétendu jugement dernier ne sont qu'un vaste canular. »

« L'état d'urgence a été déclaré dans de nombreux pays. «

« La mesure est totalement inédite dans l'histoire de France. Jamais le pays n'avait en effet demandé à ses citoyens de se confiner à leur domicile à longueur de journée, comme c'est le cas depuis hier, afin de freiner l'expansion de la pandémie. »

« La loi martiale a été instaurée en Afrique du Sud. »

Cela faisait des semaines que les chaînes d'informations nous faisaient ces constats alarmants. Difficile de dire qui prenait ou non les bonnes décisions. La situation était inédite, mais les faits étaient ce qu'ils étaient. Une longue liste de défaillances probables dans les rouages de notre civilisation qui n'auguraient rien de bon à tous les niveaux. Et qui étaient loin d’être optimistes. Les mauvaises nouvelles de ce genre avaient tendance à m'atteindre personnellement, c'est pour ça que j'avais arrêté de lire ou de regarder le journal. Je devenais maintenant nerveuse à l'annonce de la prochaine édition spéciale.

J'étais en retard ce matin-là. J'avais versé le fond de café qui me restait dans un thermos et j'étais vite descendue au garage pour récupérer ma voiture. A cette heure, les artères principales de la ville étaient bien encombrées et le trafic chargé. Arrivée sur la 99ème Est, les voitures étaient déjà à l'arrêt, logique vu l'heure qu'il était. Les voies étaient toutes occupées, les klaxons retentissaient et le passage des feux tricolores plus loin n'allait pas plus fluidifier le trafic. J'appelais donc le standard du cabinet pour les prévenir qu'ils devraient faire patienter mes rendez-vous de ce matin, mais je n'étais pas la seule du cabinet sur la route et ils feraient leur possible en attendant. Nous formions une très bonne équipe, fiable et solidaire. Je décidai donc de prendre mon mal en patience en sirotant mon café et en écoutant la musique. « For what it’s worth » de Liam Gallagher. La pop anglaise me rendait toujours sereine, je n'avais jamais su me l'expliquer.

Quinze minutes avaient passé et personne n'avait avancé d'un pouce. Je voyais sur ma gauche un homme de la cinquantaine l'air inquiet et le téléphone portable collé sur une oreille. Sur ma gauche, une famille qui semblait tuer le temps en s’amusant.

C'est là que j’entendis un bruit d'hélices.

Je me penchai en relevant la tête pour voir par le pare-brise un hélicoptère qui passait tout droit au-dessus de nos têtes. Peut-être un accident grave. Je stoppai la musique pour allumer la radio pour en savoir plus. Rien ne faisait mention d'un accident qui bloquerait toute une pénétrante de la ville à l'heure de pointe. Alors qu’est-ce que c’était ?

Dix minutes s'étaient de nouveau écoulées. Les piétons et les cyclistes allaient et venaient bon train et sans difficulté sur la route. La tension était palpable chez les occupants des autres véhicules voisins. Des sœurs commençaient à se chamailler à l'arrière d'un SUV et des gens à descendre de voiture pour tenter de savoir ce qu'il se passait.

C'est là qu'un deuxième hélicoptère déchira le ciel. Dans la même direction que l'autre. Un homme qui était sorti de sa voiture plus tôt était revenu à ma hauteur, l'air bredouille. Je baissai ma vitre avant pour l'interpeller. Poli, il m'avait répondu qu'il avait marché cinquante mètres environ sans parvenir à en savoir plus. Je le laissai donc prendre congé en le remerciant.

Encore dix minutes avaient passé et tout était resté immobile, figé. Il était évident que la situation ne se débloquerait pas avant des heures désormais, mais quelle était cette situation ?

Comme sorti de nulle part là encore, un troisième hélicoptère, plus gros que ces deux prédécesseurs, passa au-dessus de la 99ème. Trois aéronefs sur la même trajectoire en l'espace de trente-cinq minutes, c'était du jamais vu. La tension et l'incompréhension était à leur comble. Je rallumai la radio dans un ultime espoir d'obtenir des informations.

« L'OMS suit de très près les derniers cas qui sont apparus ces dernières semaines à Taiwan et la maladie qui s'est maintenant propagée dans douze pays. En réponse aux allégations qui auraient fait penser que trop peu avait été fait pour endiguer l'épidémie, le secrétaire de l'ONU... »

Un motard passa à pleine vitesse dans l'étroit couloir laissé entre les voitures bloquées. Sans prêter aucune attention à leurs occupants, ni à leur sécurité. Sirène hurlante et moteur vrombissant, deux autres le suivirent peu après.

C'était là.

C'était à ce moment précis qu'une énorme explosion surgit deux cents ou trois cents mètres plus loin. Le bruit était assourdissant, du genre qui vous tombe au fond de la poitrine et qui vous paralyse. Une énorme boule de feu avait jailli d'un bâtiment en projetant des effluves de fumée noire. Tout s'était enchaîné à une vitesse vertigineuse. Des sirènes de pompiers de plus en plus fortes, les cris des gens terrifiés qui sortaient de leurs voitures et qui s'étaient mis à courir à contre-sens, par afflux de plus en plus larges.

Un attentat terroriste ? Le temps n'était plus aux questions. Je pris donc mon sac et abandonnai ma voiture. Il se déroulait dehors un chaos sans nom. Il m'apparut que les entrées du métro et les arrêts de bus voisins n'étaient plus une option et que je devais tout de suite me mettre à l'abri. Les sirènes n'en finissaient plus et l'aviation allait et venait, même des forces spéciales toutes en noires au sol tentaient de se frayer un chemin à travers une foule en panique qui se dispersait dans tous les sens.

Des grognements étranges nous étaient parvenus aux oreilles.

Improbable…impossible…nos sens avaient dû nous tromper, ça ne pouvait pas être des grognements…Courir, il fallait courir, à s'en brûler les poumons, mais courir…qu'importe le prix.

Un homme devant moi se tenait debout, convulsait, en se tordant de douleur, sans pouvoir se contrôler. Mais personne n'y prit attention.

L'instinct de survie. Celui ancré dans notre cerveau aux fonctions reptiliennes, efficaces mais ravageuses qu’avaient les animaux rampants tapis dans l'ombre. Ils assaillaient leur proie à une vitesse vertigineuse et laissent des milliers de victimes humaines derrière eux dans le monde entier.

Ceux qui nous attaquaient étaient bien pire encore.

Le vacarme se poursuivait dans un état de siège digne des grandes invasions. Les grognements s'étaient de nouveau fait entendre et la sensation de peur finit par tous nous envahir. Aussi horrible et choquant que cela avait pu paraître, des personnes s'étaient littéralement jetées sur d'autres, moins rapides, en les plaquant violemment au sol, puis les mordaient sauvagement au cou. Leurs victimes se débattaient, hurlaient et suppliaient devant leur destin au visage blême et à la bouche vorace et sanglante qui les charcutaient. Mais qu’étaient ces choses ? Qu'est-ce qui se passait, bon Dieu ?

J'en avais perdu le sens de ma course. Étais-je partie sur la gauche vers l'ouest à la sortie de la place ? Ou à droite ? Je ne saurais plus dire ni depuis quand je courrais, ni dans quelle direction j'allais. Je décidai de prendre la prochaine à gauche. La rue était moins empruntée que le reste que j'avais pu voir jusque là. Je remontai cette rue en laissant mes pensées en mode "pilote automatique" tenter de me trouver une échappatoire.

Mes yeux s'étaient alors posés sur cette berline bleue laissée en travers sur le coin gauche. Je décidai alors de tenter ma chance. J'actionnai la poignée qui s'ouvrit, à mon grand soulagement. Je fermai les portières en appuyant sur le bouton central et cherchai les clés. Sous le siège avant, arrière, dans la boîte à gants, rien. Le pare-soleil que je dépliai juste après m'octroya l'objet qui se révéla être mon trésor de la journée. Je mis le contact et démarrai en trombe. La jauge d'essence me permettrait de rentrer chez moi sans trop de difficultés, Dieu merci ! Je sortis du centre-ville et me rabattis sur une route du réseau secondaire.

La vision d'horreur que j'avais vu lors de cette attaque me revenait sans cesse le long de ma route. Ma respiration et mon pouls s'accéléraient et ma conduite s'en faisait ressentir. Je fermai les yeux. Les cris de l'homme à terre retentissaient dans ma tête et l’infinie question « comment diable cela a t-il bien pu être possible » me faisait faire des écarts. Je rouvris les yeux. J'en avais la nausée de cette attaque de force et totalement inconnue dont personne ne savait rien et ne comprenait rien. Mes tripes ne tenaient plus et je dus m'arrêter sur le bas-côté de la route pour vomir.

Une fois soulagée, il me fallut admettre que ma course et l'effort de mon vomissement avaient fini par m'épuiser. Je me relevai somnolente et éreintée. Il fallait que je rentre chez moi. Je repris une inspiration et rejoignis le poste de conduite de la berline bleue. Je mis les mains sur le volant et priai ardemment pour ne pas avoir à m'arrêter avant d'être arrivée chez moi.

Je conduisais en voyant la route sans la regarder. Je portais attention momentanément sur les directions à prendre mais ma vigilance s'arrêtait là. Je continuai mon chemin pendant ce qui me paraissait être des heures et finis tant bien que mal par tourner dans la rue de ma résidence. Je garai la berline bleue à la place de ma voiture que j’avais laissée sur place, et montai les escaliers en haletant.

La vision de ma porte m'apparut comme mon salut. Ma main tremblait dans mon sac en cherchant les clés de mon appartement. Je tombai finalement dessus, entrai chez moi, et fermai à double tour. Je verrouillai également les trois autres loquets que je n'avais jamais verrouillé depuis cinq ans que je vivais dans ce quartier sans histoires. Le souffle court, prise de sanglots, je m'éloignai de la porte et fermai les volets en catastrophe. J’allumai la seule lampe à basse luminosité que je possédais dans le salon. Sans prendre la peine d’enlever mon manteau, je me blottis contre le canapé et laissai ma peine s'exprimer. Je pleurai, laissant mes cris et mes larmes faire le reste. Je me laissai aller sur le côté, par terre, en boule.

Je continuais de pleurer, sans fin. On aurait dit que le temps n’existait plus dans cette dimension. Je pleurais de peur, je pleurais comme une enfant. Parce qu'en réalité, j'étais une enfant. Toute cette soudaineté et cette violence m'avaient ramenée à cet état primaire d'enfant que j'étais au fond de moi. L'adulte qui fait bonne figure en public, mais qui par peur et manque de ressources recherche le réconfort d'une voix bienveillante face à l'adversité. J'étais cette enfant-là et je ne demandais qu'à me renforcer, mentalement et physiquement, pour affronter cet avenir qui s'annonçait des plus sombres et des plus incertains.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire self-enscripted ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0