Chapitre 7

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— Il est réveillé ? Comment cela s’est-il passé ?

Le chevalier, la main sur la garde de son épée, semblait de marbre. Tout à sa rigueur militaire alors qu’il se dressait devant Gravis et Cormack qui venaient d’émerger de la taverne des Petitpieds. Face au regard impavide du chevalier blond, Gravis ouvrit la bouche… pour encore la refermer. Sous son voile, Cormack secoua la tête sans pour autant éprouver son agacement habituel. Il fallait dire qu’il était déjà suffisamment éprouvé comme ça.

— La situation est sous contrôle, lâcha-t-il avant d’ajouter. Pour l’instant…

— Tu lui as tout raconté ? demanda Kappa sans montrer l’once d’une émotion.

— En partie…

— Qu’est-ce que ça veut dire en partie ?

Un silence, puis.

— Il nous approuve.

Un autre silence, puis.

— Ce n’était pas ma question, Cormack. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu as omis quelques informations importantes à notre professeur ?

Le colosse leva les bras au ciel avant de les baisser mollement. Soudain, son corps semblait lui peser deux fois plus lourd et toute sa motivation précédente avait disparu, sapée par l’ampleur des évènements passés et à venir. Deux bancs accolés à même le mur de la taverne bordaient sa porte d’entrée et il commença par se diriger avec lassitude vers celui de droite pour s’y affaler. Là, il se prit la tête entre les mains.

— La situation est à ce point critique ? demanda le chevalier.

— Tu peux pas savoir…, souffla Cormack qui retint un gémissement.

Qu’avait-il fait ? Poussé dans ses retranchements, il venait de commettre l’irréparable. Maître Cène ne le pardonnerait jamais, c’était certain. Il se ferait même un point d’honneur à faire de sa vie un enfer comme il le lui avait promis dans cette chambre à l’étage.

Tout ça, c’était la faute d’Ezéquiel, et Cormack entendait déjà le rire de ce démon.

— Cormack !

Le Rolf releva la tête et se rendit compte qu’il avait dû rester prostré de cette manière durant un moment. À contrecoeur, il focalisa son attention sur Kappa toujours aussi droit et hocha de la tête lentement et plusieurs fois.

— On doit trouver un moyen de prévenir la Reine Sériane.

Le chevalier blond hocha lui aussi de la tête, plusieurs fois. Et après un nouveau silence :

— Il y a Grimjow Ravageur, là dehors…

— Je sais, souffla Cormack. Mais si on ne gère pas ça nous même, le vieux maître voudra y aller par ses propres moyens. Et il en a pas beaucoup.

— Je le ferai.

Le Rolf tempéra des deux mains à cette affirmation directe, lancée sans appel.

— Nous devrions plutôt faire porter une missive par une tierce personne. Quelqu’un qui aurait des chances de passer inaperçu.

Gravis Petitpieds ouvrit la bouche, puis la referma avant de l’ouvrir à nouveau.

— Je peux le faire pour vous, mes amis, lança-t-il d’une voix qui tremblait légèrement. Ce serait un maigre retour en comparaison de ce que vous avez fait pour nous, je…

— Je le ferai, réitéra Kappa sans la moindre hésitation avant de poursuivre. Je suis le seul à même de me déplacer rapidement et me défendre quelle que soit la situation.

Cormack secoua la tête tout en soupirant.

— C’est trop dangereux, pour chacun d’entre vous…

— Je suis chevalier, coupa Kappa en se redressant d’autant plus. Je te remercie de ta sollicitude Cormack mais tu ne sembles pas avoir de meilleure idée. Ne me regarde pas comme ça, je te connais depuis longtemps.

Il s’interrompit le temps de prendre une grande inspiration puis expliqua :

— Je suis le moins utile d’entre nous. Cormack, tu dois tenir ton rôle du Baron Rouge. Le plan d’Ezéquiel, quel qu’il soit, repose sur toi. Quant à Gravis, il est le plus à même de pouvoir convaincre les barons de la Bande Centrale. Je vous rappelle que Bret Petitpieds les a conviés pour demain.

Le Rolf se reprit la tête à deux mains tandis que Gravis ouvrait la bouche sans trouver quoi dire une fois de plus.

Face à ce spectacle, la mine du chevalier s’adoucit.

— Vous n’êtes pas croyables, vous aviez oublié. Et dire que je vais devoir vous laisser seuls… Êtes-vous seulement certain de pouvoir les convaincre ?

— On vient de les sauver de Gaylor, grommela Cormack. Je ne vois pas franchement qui on doit convaincre. Je suis même prêt à parier qu’ils vont nous supplier de…

— Je ne le pense pas, seigneur Cormack.

Le Rolf se tut pour se tourner vers Gravis dont la mine s’était faite plus soucieuse encore. Kappa, lui, ne semblait pas surpris par l’intervention du petit homme.

— Et pourquoi cela, Gravis ? grommela le Rolf. On les a quand même sauvés, non ? Et ce qu’on fait en ce moment, c’est dans leur intérêt que je sache !

Dans la rue, face à l’estaminet, un couple de passants lui adressa un salut de la main et le colosse sourit derrière son voile. Quoi qu’on en dise, il était le champion du domaine des vignes. Il venait de sauver les opprimés et il ne comptait pas s’arrêter là.

— Je doute que le baron Dagobert soit de cet avis, seigneur Cormack, confia gravement le petit homme. Il n’est pas mon oncle.

— Tu penses qu’il vous mettra des bâtons dans les roues ? demanda Kappa.

Gravis grimaça.

— J’en suis certain.

Tout contentement envolé, Cormack se leva avec humeur.

— Qui c’est ce Dagobert, d’abord ? Et pourquoi il voudrait nous les casser ? Encore un qui bosse pour le compte des Hauts Royaumes ?

— Absolument pas, seigneur Cormack. Le baron Dagobert est un homme intègre et respecté. Il est seulement plus… rude en affaire et n’est pas aussi compréhensif que peut l’être mon oncle, ou moi-même. Son domaine est aussi important que le nôtre et il fait lui aussi travailler les villages voisins. On le surnomme le Taureau de sel…

Cormack s’autorisa un rire gras qui interrompit Gravis Petitpieds avant de lancer avec dédain.

— Et pourquoi de sel ? C’est ridicule !

— Parce que son royaume est spécialisé dans le sel, seigneur.

— Ah…

Sans faire attention au Rolf, Kappa intervint.

— Tu penses qu’il vous verra comme une menace, Gravis ?

— J’en suis certain, lui renvoya le petit homme. Le baron Dagobert est un homme bon mais borné. Il ne se laissera pas convaincre si facilement. On ne le surnomme pas le taureau pour rien.

— Penses-tu en être capable ?

Gravis Petitpieds prit le temps de la réflexion.

— Je vais tout essayer, seigneur Kappa. Nous n’avons pas le choix, l’unification de la Bande Centrale est dans notre intérêt à tous. Je le lui ferai comprendre.

Kappa hocha de la tête.

— Bien.

Oubliant subitement le baron Dagobert, Cormack tourna un regard inquiet vers le chevalier. Avisant cela, ce dernier sourit.

— Ne t’inquiète pas pour moi, Cormack. Tu as déjà fort à faire ici.

Le Rolf secoua la tête.

— D’abord Ezéquiel et Caes qui se jettent dans un repaire de meurtriers et maintenant toi qui compte te faufiler entre les griffes d’un chef de guerre fou furieux… As-tu seulement pensé à la manière dont tu allais t’y prendre ?

— J’y réfléchis.

— Ah… et ?

Le silence s’installa. Un silence durant lequel la mine du Rolf passa de l’inquiétude à un scepticisme total.

— Peut-être pourrais-tu rejoindre le port aérien des Coranites ? Il est tout proche.

— Je ne remonterai plus jamais dans une de ces machines volantes, plaça dangereusement le chevalier avec un regard sans équivoque.

Les rires des écorcheurs et les cris des passagers refirent surface dans l’esprit de Cormack. Il secoua la tête pour les en chasser. Il comprenait.

— Ne t’inquiètes pas, Cormack, réitéra le chevalier. Je suis un soldat. J’ai failli à ma première mission qui était de vous conduire en Irile. Je mènerai celle-ci à bien contre vents et marées, et même une armée de Rolfs, s’il le faut.

Le colosse ouvrit la bouche… pour la refermer à son tour. Le regard de Kappa était implacable, glacial… et terrifiant. La main toujours sur la garde de son épée, il semblait invincible et Cormack repensa au tandem des deux chevaliers dans les plaines de Dunam alors que les soudards de Grimjow Ravageur leur donnaient la chasse. Kappa était un membre de la chevalerie de l’Ilir, la force la plus meurtrière des Contrées. Il était intelligent et dangereux. En dépit de ses pensées, Cormack n’en était pas rassuré pour autant mais il se contenta de hocher de la tête sans rien dire.

Chacun avait son rôle, et il n’y avait rien à dire.

Le silence s’installa avant que, contre toute attente, le chevalier se mette à sourire. Cormack en fut si surpris qu’il ne put s’empêcher de grogner.

— On est dans une situation merdique, tu vas te jeter dans la gueule des Rolfs et toi, tu souris…

Kappa acquiesça et son sourire s’élargit.

— Désolé Cormack, c’est juste que je me disais qu’Ezéquiel risquait de ne pas être content.

À ces mots, le sang du colosse ne fit qu’un tour.

— Ah ouais, eh ben j’vais te dire ! Ezéquiel, il peut aller s’faire f… !

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