Chapitre 4

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La pièce était aussi exigüe que dans son souvenir, aussi sinistre. Il y avait pourtant bien des différences notables. La première était certainement l’odeur. La puanteur de la blessure infectée du vieil homme avait été insoutenable dans cet espace cloisonné. Un parfum de lavande avait pris le relais et baignait la pièce de ses effluves apaisants. Une autre différence se trouvait être Maître Cène lui-même assis sur son lit. De cette position, il dardait sur Cormack un regard indéchiffrable alors que le Rolf restait immobile, les mains sur les genoux et assis sur un minuscule tabouret. La situation aurait pu paraître cocasse mais le colosse n’avait aucune envie de rire. Au contraire, il se sentait anesthésié. Comme si plus rien n’avait la moindre importance.

Une fois la vieille Magda partie, les cinq premières minutes avaient été les plus difficiles. Le vieux maître se contentant juste de le fixer et lui, tentant de trouver la position la plus confortable sur un tabouret. L’homme avait étonnamment bien récupéré et même dans ses amples vêtements de convalescence, il restait sérieusement intimidant.

— Qu’as-tu entendu ?

Coupante et glacée, la voix du vieil homme avait fendu l’air. Exigeant l’obéissance du Rolf qui secoua la tête tout en prenant bien soin de ne pas regarder plus haut que ses genoux.

— Absolument rien, répondit-il d’une voix égale.

Nouveau silence. Son mentor n’était pas dupe et Cormack perçut qu’il plissait son regard perçant.

— Si tu parles à qui que ce soit de ce que tu viens d’entendre, je peux t’assurer que je ferai de ta vie un enfer. Est-ce que tu comprends ?

— Je comprends parfaitement, Maître.

Un autre silence, puis.

— Pourquoi me suis-je retrouvé dans cet état ?

— Vous étiez gravement blessé.

Les yeux toujours baissés, il percevait le regard inquisiteur du conseiller.

— Pourquoi ? répéta dangereusement celui-ci.

Suite à quoi, quelque chose céda en Cormack. Telle une digue emportée par un raz de marée, il se confessa. Leur décision de ne pas rejoindre Irile, le contexte de la Bande Centrale, la séquestration du héraut des Hauts Royaumes, la passation des pouvoirs de Bret Petitpieds qui avait fait du Rolf un baron, son duel contre Gaylor et pour finir le départ d’Ezéquiel et de Caes pour le Croissant.

À cette dernière révélation, Cormack n’avait toujours pas levé les yeux et il n’avait véritablement aucune idée de la réaction à venir de son mentor. Peu lui importait, de toute façon, car plus rien n’importait, justement.

— Le Croissant…

Le Rolf releva enfin les yeux. Loin de céder à la colère pour leurs agissements ainsi que le traitement dont il avait été victime, le vieux maître semblait en pleine réflexion.

Aussi, l’espoir lui revenant, Cormack s’empressa-t-il de placer :

— Je n’étais pas vraiment d’accord, vous savez ! Mais vous étiez inconscient et je…

Il fut coupé dans son début d’explication par le doigt levé du conseiller. Une bonne minute passa avant que ce dernier ne prenne la parole.

— Au contraire, c’est très bien pensé.

Cormack crut que sa mâchoire allait s’en décrocher sous le coup de la surprise. Une autre minute passa.

— Vous êtes d’accord avec ça ? Le Croissant est le fief de la pègre ! J’ai entendu de terribles histoires sur cet endroit.

Maître Cène acquiesça gravement.

— Et les histoires sont vraies. Cependant, chercher des informations au sein du Croissant est une excellente idée. Le danger est réel mais je pressens un danger encore plus grand. Les agissements des Hauts Royaumes sont troubles. Cela et le meurtre de la délégation Rolf…

Il pinça les lèvres avant de poursuivre.

— Il se trame quelque chose dans les Baronnies. Les Hauts Royaumes fortifient le Mur et les Rolfs semblent sur le point de déclarer une nouvelle Guerre de la Chair. De plus, les pirates vous avaient confirmé que nous étions la cible lors de l’attaque sur le transporteur.

— Donc… donc vous êtes d’accord avec Ezéquiel et ses agissements ?

Cormack se pétrifia devant le regard incendiaire du professeur. Ce dernier fut même parcouru de tremblements avant de pouvoir regagner un semblant de contrôle sur lui-même.

— Je pense que ses déductions tombent sous le sens, concéda-t-il finalement. Un bon point pour le futur… monarque d’Iliréa. Les mots avaient eu du mal à sortir. Et je crois que vous avez bien fait de ne pas tenter rejoindre Irile.

— Ezéquiel pensait que nous n’avions pas le luxe de pouvoir faire confiance à qui que ce soit là-bas, révéla Cormack. Si tant est que nous ayons atteint notre destination.

— Cela ne m’étonne pas de lui. Ezéquiel tient à ce que les choses aillent dans son sens. Il préfère prendre les directives plutôt que de s’en remettre à une tierce personne. Bien que je pense que son entreprise pour le Croissant reste incroyablement risquée. Sache Cormack, que si un jour tu as besoin d’une personne vers qui te tourner en Irile, il s’agit de…

— Basil Ravengrive ! s’exclama le Rolf avant d’ajouter d’une petite voix. Désolé.

Enfin, l’ombre d’un sourire se dessina sur les lèvres du conseiller. Sourire devant lequel Cormack commença à se détendre.

La pièce lui parut même moins lugubre.

— Dans les faits et avec un minimum de recul, poursuivit le vieil homme. Je dois t’avouer que vous me surprenez. Vous avez su parvenir jusqu’ici sans ma guidance et vous avez sauvegardé le mode de vie du royaume des Vignes tout en sachant faire profil bas. J’imagine que vous avez gardé vos identités secrètes.

— Bien sûr, acquiesça Cormack en baissant soudainement les yeux.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiéta le vieux maître pour qui le Rolf était comme un livre ouvert.

Cormack releva la tête le plus naturellement possible.

— Je m’inquiète juste pour Ezéquiel et Caes.

Pour le coup, c’était une partie de la vérité et le regard du vieil homme s’adoucit.

— Je ne te l’apprends pas, Cormack, le Croissant est un endroit dangereux, terriblement hostile. Mais s’il y en a qui peuvent y évoluer, ce sont bien Ezéquiel et Caes. Le premier est d’une intelligence rare et on a rarement vu aussi talentueux chevalier que le jeune Craft lui-même.

— Les deux étaient d’accord sur le fait que tout avait commencé avec les missives du baron de Nabar et que si nous voulions des réponses, les Baronnies étaient le bon endroit.

— Vous avez déjà récolté bien plus d’informations que je n’aurais pu l’imaginer, acquiesça Maître Cène avec un air approbateur puis l’ombre du sourire surgissant de nouveau. Imaginer Ezéquiel et le jeune Craft en accord sur quelque chose…

Cormack se détendit pour de bon. Le pire semblait passé. Mieux encore, leur mentor les approuvait.

— De plus, votre intervention pour sauver le domaine des Vignes va certainement perturber les plans des Hauts Royaumes, continuait le vieil homme. Unifier la Bande Centrale, voilà qui ne m’étonne pas de la part de François de Nabar. Je dois dire que je suis assez fier de vous tous, Cormack.

Il prit une grande inspiration avant de sortir péniblement du lit.

— Vous ne devriez pas ! s’exclama le Rolf en s’éjectant du tabouret.

Maître Cène l’arrêta d’un geste.

— Pendant qu’Ezéquiel et Caes risquent leurs vies à la recherche d’informations, nous nous devons de faire connaître notre situation à la Reine Sériane.

Le Rolf se pétrifia.

— Sans compter que vous n’êtes pas en état, vous oubliez…

Sa voix se brisa alors que le conseiller relevait vers lui son visage impassible.

— Vous oubliez Grimjow Ravageur, termina Cormack en conservant une expression aussi neutre que celle du conseiller de la Reine.

Ce dernier ignorait qu’i : savait pour son lien de parenté avec ce chef de guerre sanguinaire. Et Cormack hésitait à lui en parler. Il n’était pas certain de vouloir des réponses à ces questions-là.

— Je n’ai pas le choix, déclara le conseiller en soupirant. Je n’ai pas le temps de me reposer alors que notre prince risque sa vie pour le royaume. La Reine ne me le pardonnerait pas, je ne me le pardonnerais pas. Quelque chose de grand est en approche et nous devons absolument savoir de quoi il en retourne.

— Je suis d’accord mais vous resterez ici !

Sous le coup, Maître Cène s’en rassit de surprise. La voix de Cormack s’était faite autoritaire et sans concessions. Il dominait le conseiller de toute sa hauteur et celui-ci sembla tout d’un coup plus vieux encore.

— La Reine Sériane sera prévenue, je vous en donne ma parole. Mais pour cela, il faut un cavalier rapide et apte à se défendre. Vous avez raison, nous avons chacun notre part à accomplir pour notre royaume et pour le moment, vous avez effectué la vôtre. Laissez-nous nous charger de cela. Nous sommes la jeunesse d’Iliréa et il s’agit de notre avenir. Nous en sommes les premiers garants et nous ne faillirons point !

La bouche grande ouverte, les bras ballants, le vieil homme semblait sans voix. Il ne disait toujours rien alors que Cormack se chargeait de le recoucher. Après quelques recommandations sur l’importance du repos, le Rolf prit congé pour s’en retourner dans le bar des Petitpieds. Il se sentait léger, plein d’énergie et prêt à en découdre !

— Seigneur Cormack ! s’écria Gravis qui se trouvait assis à même le comptoir, un verre de bière à la main.

— Toi, tu écrases ! gronda le Rolf. Tu m’as lâché alors que j’étais sur le point de prendre l’engueulade de ma vie. Tu n’as pas joué en équipe et j’attends de toi que tu te rattrapes !

— Bien sûr, seigneur, s’excusa le petit homme en baissant piteusement la tête.

Sur la droite du Rolf, la voix grinçante de la vieille Magda se fit entendre.

— Tu t’es es sorti bien mieux que je ne l’imaginais, jeune Rolf. Crois-le ou non, mon respect pour toi s’en trouve grandi.

— Ouais, ben c’est pas grâce à vous ! s’écria-t-il avec une fureur contenue. J’ai bien failli…

— Allons allons…, tempéra-t-elle en avançant vers lui. Dis-moi, coquine venue, que puis-je faire pour me rattraper ?

Le Rolf marqua un temps d’arrêt. La guérisseuse ne lui présentait pas son habituel sourire qui camouflait ses mauvaises intentions.

— Eh bien, hésita-t-il. Dans un premier temps, j’aimerais que vous arrêtiez de me traiter de coquine velue.

Le sourire de la vieille dame s’élargit.

— Entendu, peluche travestie.

Avec un grognement exaspéré, Cormack prit le parti de l’ignorer pour se diriger droit vers la sortie, tout en se munissant de sa robe rouge accrochée au porte manteau.

— Je pourrais garder ton mentor apaisé…

Il suspendit son geste et au bout d’un court silence, il répliqua :

— Et pourquoi je voudrais ça ?

La mégère souriait toujours.

— Tu as été exemplaire, là-haut, plaça-t-elle. Tu as maté ce vieux grigou avec tes belles paroles et il s’est incliné, j’en conviens. Mais comment crois-tu que cela se serait passé si ce raisonnable vieil homme avait su toute la vérité ?

Cormack se figea alors que Gravis ouvrait la bouche… pour la refermer.

— Vous… avez écouté…

— Assez pour savoir que tu n’as rien mentionné de ce Baron Rouge lancée dans la conquête de la Bande Centrale. Un défi lancé à l’encontre des Hauts Royaumes.

Elle fit mine de lisser le dos de sa main ridée avant d’ajouter :

— Un duel adressé à Nabar.

Le silence prit place. Un silence pesant et inconfortable. Finalement, Cormack entreprit d’enfiler sa robe avec un soin exagéré. Ajoutant les nombreux tissus qui complétaient ce déguisement. Les minutes défilèrent et à aucun moment la harpie ne cessa de sourire.

Son mentor avait semblé vivre l’enfer alors qu’il était à la merci de cette sorcière. Et Cormack ne pouvait décemment pas le renvoyer dans ce cauchemar.

Le Baron Rouge et la conquête de la Bande Centrale…

Non, Cormack lui-même ne pouvait prendre cette décision. Il se voila le visage précautionneusement avant de se retourner vers la vieille Magda dans ce déguisement ridicule. Pour prendre cette décision, il ne pouvait être Cormack.

Les rouages du destin semblèrent plus bruyants à ses oreilles.

Le seul à pouvoir prendre cette décision était le Baron Rouge.

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