Chapitre 5

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— Je désespérais rencontrer quelqu’un ! Je n’ai jamais vu les routes de la Bande Centrale si peu fréquentées… À ce rythme, j’aurais mis la journée à atteindre le Croissant !

Son éclat de rire retentit, avec la force et la fluidité du ruisseau sur son lit. S’écoulant à travers les obstacles et les pierres, charriant les feuilles des arbres et les pétales des fleurs. Caes ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, ne trouvant subitement rien à dire. Sa surprise quant à sa vigilance prise en défaut avait laissé place à un tout autre genre de stupéfaction.

De l’inquiétante silhouette postée sur le bord de la route, l’ornant à la manière d’un spectre à l’affut des voyageurs, était sorti ce sourire éclatant, ce tempérament chaleureux, cette personnalité solaire…

— … bien trois heures à patienter…

Des profondeurs de cette capuche à la pénombre angoissante, devant laquelle s’étaient silencieusement arrêtés les chevaux, avait surgi cette cascade de cheveux auburn aux reflets sanguins étonnants.

— À se demander s’il n’y a pas plus de passages dans les déserts d’où je viens !

De cette obscurité avaient naquit les plus incroyables yeux noisette que le chevalier n’ait jamais vus.

Les cahotements du charriot ramenèrent Caes à la réalité.

— Vous venez du Pays des Sables..., hum ?

— Maxence ! Je me nomme Maxence, et oui, en effet. J’imagine que ma tenue n’est guère anodine en ces lieux.

— Non, en effet, acquiesça sobrement le guerrier.

Sa tunique, sans pour autant mouler en aucune façon, laissait facilement imaginer sa musculature fuselée. Différentes épaisseurs se superposaient à des endroits stratégiques. Sombres, les tissus allaient du noir à un gris rougeâtre qui s’accordait étrangement à sa chevelure. Un léger sourire se dessinant sur ses lèvres du chevalier. Comment n’avait-il pas pu remarquer cet accoutrement à découvert au milieu de nulle part ? Ezéquiel n’avait vraiment pas dû être loin de le faire sortir de ces gonds cette fois.

— Quelque chose vous amuse ?

Il releva précipitamment la tête, se redressant par la même occasion car ils se trouvaient maintenant à trois sur le banc du conducteur. Conducteur qui n’était autre qu’Ezéquiel et qui se trouvait maintenant entre Caes et leur nouvelle recrue.

— Non…, à vrai dire, je me disais que mon compagnon de voyage et moi-même devions être bien distraits pour ne vous remarquer qu’au dernier moment.

— Vous êtes le genre de personne à qui les détails n’échappent pas, n’est-ce-pas ?

— Eh bien…

— Nous sommes de simples marchands, coupa Ezéquiel qui n’avait pratiquement rien dit depuis le début de cette nouvelle compagnie. Outre les « détails » dans les affaires, nombre d’autres pourraient nous passer sous le nez que nous n’y verrions que du feu !

Son ton s’était fait plus sec sur la fin et Caes réfréna une grimace embarrassée. Il n’avait absolument pas pensé à leur couverture et menaçait à tout moment de les faire percer à jour.

— Bien entendu, fut-il retourné à ce dernier avec une malice redoublée.

Un ton sur lequel Ezéquiel se renfrogna d’autant plus avant d’assener :

— Vous êtes loin de chez nous, … Maxence. Et il est étonnant que vous voyagiez si léger…

Un nouvel éclat de rire se déversa dans l’air, donnant soudain plus de vie aux environs déserts. Caes sourit malgré lui car il était certain d’y percevoir des accents moqueurs.

— Je n’ai rien besoin de plus que ce que j’ai sur moi, seigneur. Et vous avez vu juste, mon pays semble bien loin d’ici. En passant, je pense qu’il est temps de rincer cela ou vous finirez chauve. Fort heureusement, il se trouve une rivière deux kilomètres plus loin.

— C’est… c’est très aimable à vous, faillit s’étrangler Ezéquiel.

— Fatigué du gris ?

— Pardon, je… oui. Je voulais opter pour quelque chose de plus… tendance.

De chaque côté du jeune prince, les sourires s’élargirent.

— Une demi-heure suffira pour les sourcils, poursuivit Maxence avec un air toujours aussi amusé. Cela ira vite, vous verrez. Une fois le pont passé, vous serez un homme nouveau.

L’homme nouveau en devenir hocha abruptement de la tête tout en pinçant les lèvres, les yeux toujours fixés sur la route.

— Vous semblez bien connaître la région, plaça Caes qui reprit un semblant d’impassibilité alors qu’Ezéquiel lui adressait une œillade suspicieuse.

— Oh oui ! s’exclama Maxence avec bonhomie. J’ai appris à apprécier les Baronnies et ses vallons qui me rappellent tant les immenses dunes dorées d’Apür…

Un soupir, puis :

— Cependant, je préfère de loin le Croissant à la Bande Centrale et aux Hauts Royaumes. Il est tellement plus animé, vous verrez. Ses villes collines aux rues serpentées tantôt aussi larges que des fleuves pour se rétrécir à tel point que le passage en devient absurdement compliqué ! Rire avant de révéler sur un ton de confidence exagéré. La nuit, les autres royaumes vous seront semblables à de gigantesques tortues aux carapaces ornées de lumineux serpentins…

— Comme dans les jardins de nuit de Zoréane ! s’exclama presque Caes avant de se reprendre. Désolé, je ne voulais pas vous interrompre…

Maxence afficha un instant un air interloqué, qui reflétait vraisemblablement celui d’Ezéquiel, avant d’éclater de rire. Le chevalier se fit violence pour éviter de sourire à nouveau. Décidément, son enthousiasme était terriblement contagieux.

Cessant de rire mais conservant son air amusé, Maxence glissa :

— Je n’aurais jamais cru que vous ayez vu de vos propres yeux les jardins de Zoréane, et encore moins ses tortues-lanternes !

Caes sentit plus qu’il ne vit Ezéquiel prendre le pas sur sa surprise pour retrouver contenance. Il était certain qu’il comptait utiliser les connaissances du chevalier pour conforter le mensonge qu’ils étaient bien originaires des royaumes des sables. Le guerrier brun doutait fortement que cela puisse marcher sur une personne comme Maxence.

— Non, avoua-t-il simplement. Mais j’en ai entendu parler et me suis toujours dit qu’il devait s’agir là d’un spectacle tout bonnement magnifique.

Le visage du jeune prince, dont les yeux se trouvaient toujours focalisés sur la route, redevint inexpressif.

— Nombre de poèmes ainsi que de chansons ont été composés dans ces lieux, dit doucement Maxence. Des histoires merveilleuses y ont vu le jour pour s’égarer par-delà les Contrées. Les ballades passionnées devenaient réalité et les fougueux désirs s’y muaient en des élans enflammés. Un acte de gentillesse, un rire, un baiser inspiraient alors de nouvelles générations de poètes pris dans la mesure de ces simples faits.

Un silence accueillit ces paroles. Un silence que Maxence orna de son sourire, alors que ses yeux noisette quittaient le vide pour se river dans ceux de Caes, et d’ajouter :

— Bien entendu, libre à ces derniers de les complexifier.

Son air malicieux disparut.

— Vous ai-je offensé ?

Caes secoua légèrement la tête et agit la main pour signifier que ce n’était rien. Son sourire avait disparu le premier et Maxence s’en était aussitôt rendu compte.

— C’est juste…, commença le chevalier. Que tout cela me parait particulièrement…

— Je vois la rivière ! s’exclama Ezéquiel, soudainement tout enjoué. Et, bien sûr, le pont ! Il a l’air splendide d’ici ! Que dites-vous d’une petite pause une fois que nous y serons ? Une dizaine de minutes pour les sourcils, n’est-ce-pas Maxence ?

À presque un kilomètre de leur position, le pont, tout ce qu’il y avait de plus classique, enjambait une petite rivière qui disparaissait derrière les vallons.

Agacé par cette interruption, Caes tourna vers le jeune prince un regard assassin mais sa répartie resta coincée dans sa gorge. En dépit de ses airs sarcastiques, Ezéquiel semblait réellement inquiet. Le sourire perdurait sur les lèvres de Maxence alors que le jeune homme, n’y tenant plus, faisait claquer les rênes. Le charriot s’ébranla.

— J’ose espérer que nous n’y arriverons pas trop tard…, souffla leur nouvelle recrue.

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