CHAPITRE 1

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Sylvia ferma à clé la porte de son appartement et partit à pied vers le restaurant de bord de plage dans lequel elle travaillait d’Avril à fin Octobre, depuis sept ans.

Lorsqu’elle avait claqué la porte de chez son frère Thierry, il a de cela sept ans après une violente dispute, elle était partie pour le Sud de la France. Raphaël, son petit ami, lui avait demandé de le suivre à Biarritz. Indécise, elle ne lui avait pas donné de réponse immédiate. Suite à sa dispute avec son frère, elle avait décidé d’accepter la proposition de Raphaël. Elle était partie de son côté et l’avait retrouvé quelques jours plus tard devant le restaurant dans lequel il venait de décrocher un emploi saisonnier. Elle ne lui avait rien dit, ne sachant pas trop si elle prenait la bonne décision. Ce fût une grande surprise pour Raphaël de la trouver à l’attendre devant le restaurant alors qu’il croyait l’avoir perdu, n’ayant pas eu de ses nouvelles depuis des jours.

Ils avaient immédiatement emménagé ensemble. Ils avaient travaillé comme saisonniers dans les restaurants et brasseries de Biarritz. Parfois ils avaient eu la chance de travailler dans le même établissement et parfois non. L’hiver, ils profitaient qu’ils étaient sans emploi, pour voyager comme en avait rêvé Raphaël. Ils étaient allés en Espagne, au Portugal, en Italie, au Maroc et même en Grèce. Ils partaient seulement avec chacun un sac à dos, sans but précis pour découvrir toutes les richesses du pays que les touristes ne pouvaient pas voir en suivant les circuits habituels. Ils dormaient à l’hôtel ou sous une tente selon où ils se trouvaient. C’était l’aventure, la liberté, le bonheur. Ces voyages, ils les faisaient en Novembre ou en Mars lorsque la saison était assez chaude pour leurs randonnées. A Noël, ils louaient un chalet à la montagne et passaient le réveillon au coin du feu avant de partir skier dès le lendemain matin.

Ils restèrent ensemble pendant cinq ans, puis se séparèrent d’un commun accord. La passion qui les animait s’était peu à peu transformée en une tendre complicité. Ils étaient devenus les meilleurs amis du monde, mais ils en étaient venus à la conclusion qu’ils n’étaient plus amoureux l’un de l’autre et qu’ils feraient mieux de vivre chacun de leur côté. Ils continuaient à se voir à chaque fois qu’ils avaient un jour de congé en commun et ils s’appelaient presque tous les jours. Ils étaient toujours là l’un pour l’autre dans les bons comme dans les mauvais moments. Raphaël était au courant de tout concernant le passé de Sylvia. Il faisait en sorte d’être disponible et présent aux dates les plus difficiles pour elle, c’est-à-dire le jour de l’anniversaire de son fils et à Noël.

Raphaël était en couple avec Virginie depuis un peu plus d’un an. Cette petite femme rousse aux formes généreuses et aux beaux yeux verts, était coiffeuse sur Biarritz. Raphaël était éperdument amoureux d’elle depuis le jour où il l’avait accidentellement bousculé dans la rue. Virginie avait perdu l’équilibre et s’était étalée de tout son long dans une flaque d’eau. Confus, Raphaël l’avait aidé à se relever et lui avait proposé de venir dans son appartement tout proche, pour se sécher. Il lui avait prêté des vêtements que Sylvia avait oublié chez lui lors de leur dernière expédition et il lui avait offert un thé bien chaud qu’elle accepta. Ils avaient parlé pendant des heures et se revirent régulièrement par la suite. Ils avaient emménagé ensemble au bout de six mois et vivaient une magnifique histoire depuis. Virginie et Sylvia s’entendaient à merveille, ce qui rendait parfois un peu jaloux Raphaël, surtout lorsqu’elles se liguaient contre lui.

Raphaël tenait à ce que Sylvia l’accompagne toujours dans ses voyages à la découverte du monde, même si Virginie faisait également parti de l’expédition. Il ne voulait pas perdre sa meilleure amie au profit de son couple. Il ne voyait pas la vie sans Sylvia même s’il était désormais amoureux et comblé avec Virginie. Sylvia ne les accompagnait pas à chaque fois car elle voulait leur laisser aussi leur intimité.

Sylvia était heureuse pour Raphaël et Virginie. A aucun moment elle n’avait ressenti la moindre jalousie du couple qu’ils formaient. Raphaël et elle avaient eu leur histoire, une belle histoire qui était désormais une forte amitié et ça lui suffisait pour le moment. Le jeune homme l’avait aidé à guérir de ses blessures et à reprendre goût à la vie. Il lui avait permis de vivre ses rêves de voyage, de s’épanouir complètement en tant que femme sans jamais lui imposer de limites et en étant toujours présent à ses côtés. Il existait entre eux, un lien spécial, très fort et indescriptible. A vingt-cinq ans, Sylvia était désormais une femme indépendante, sûre d’elle, pleine de vie et heureuse.

La jeune femme marchait avec assurance dans les rues ensoleillées de Biarritz. Elle était un peu en avance et en profita pour faire un peu de lèche-vitrine avant de prendre son service au restaurant. Cette année encore elle travaillait dans un restaurant de bord de plage renommé pour ses fruits de mer et son cadre féérique. Sylvia adorait travailler dans cet établissement. Le patron était strict, mais elle avait compris comment lui parler pour le dérider et l’aider à relâcher un peu la pression en fin de service quand les serveurs se taquinaient et rigolaient en débarrassant et en nettoyant l’établissement.

Le restaurant avait une vue magnifique sur la mer grâce aux baies vitrées et à la grande terrasse couverte en bois et qui donnait au pied de la plage. Le style était simple, épuré, mais accueillant et les serveurs réchauffaient l’ambiance par leur amabilité, leur sourire, leur prévenance et leur bonne humeur. Sylvia et les six autres serveurs ne cessaient de s’activer entre les tables, comme des fourmis dans une fourmilière. L’entente entre les employés était très bonne, conviviale et bon enfant. Ils aimaient se faire des farces surtout Pierrot le cuisinier qui aimait faire peur à Sylvia en plaçant une araignée en plastique (sa phobie) prêt des assiettes qu’elle devait enlever ce qui lui arrachait à chaque fois un petit cri de frayeur et faisait mourir de rire ses collègues. Régulièrement en fin de service, les serveurs lançaient le concours du plus rapide à débarrasser et nettoyer son secteur. Le perdant devait payer sa tournée dans le bar voisin. Le juge était le patron, André. En plus de la rapidité ils étaient jugés sur l’hygiène, tout devait être impeccablement propre. Ils aimaient surtout lancer ce défi en début de saison, lorsque les nouveaux serveurs arrivaient. Les bleus n’étant pas encore rodés et n’ayant pas encore bien pris leurs marques, perdaient à chaque fois, ce qui amusaient beaucoup les serveurs les plus anciens qui étaient assurés de boire gratuitement.

Sylvia se rendit aux vestiaires dès son arrivée au restaurant, y déposa ses affaires et mis son tablier. La haute saison commençait à peine et les saisonniers arrivaient au compte-goutte. Aujourd’hui, André leur présenta Marco, le nouveau barman. D’origine Italienne, ce grand brun au yeux noirs et à la peau mate était l’archétype même du bel étalon Italien. Il devait être à peine plus âgé que Sylvia, peut-être vingt-sept ou vingt-huit ans. Il émanait de lui une virilité puissante. Il en imposait rien que par sa présence. Il était conscient de sa beauté et de l’effet qu’il faisait à la gente féminine. Son sourire et son accent les faisaient toutes craquer. C’était le genre d’homme à faire la fête tout le temps et à repartir tous les soirs avec une fille différente. Il fût immédiatement antipathique à Sylvia qui ne supportait pas les Don Juan. De plus elle n’aimait pas la façon qu’il avait de la détailler des pieds à la tête avec un regard pervers. Il la dégoûtait.

Ils accueillirent également Sandy à l’un des postes de serveuse. La jeune étudiante en langues étrangères de dix-huit ans, travaillerait d’abord les week-ends, puis ensuite à temps plein de Juillet à Septembre. Cette frêle jeune femme au long cheveux bruns et aux yeux gris semblait très énergique et dynamique rien que par le nombre impressionnant de mots qu’elle pouvait débiter à la minute. Une vraie pile électrique. C’était tout à fait ce qu’il leur fallait pour ce travail. Quand la saison battait son plein, ils couraient partout et devaient tenir une cadence très élevée. Elle devrait se méfier de Sandy lors des challenges de fin de journée. Elle allait tous les battre à plate couture.

Dès qu’André mis fin à cette petite réunion improvisée, Sylvia se dépêcha de disparaitre à l’autre bout de la salle pour se soustraire au regard insistant de Marco. Il la mettait très mal à l’aise. Rien que de repenser à la façon qu’il avait de la déshabiller du regard, elle fût parcourue d’un frisson de dégoût. Elle espérait que ce sentiment disparaitrait au fil de temps vu qu’elle allait être amenée à le cotoyer tous les jours pendant les mois qui allaient suivre.

Les clients commencèrent à arriver pour le déjeuner. Sylvia n’aurait pas le choix que de se présenter au bar à plusieurs reprises pour passer ses commandes de boissons et de cafés pour ses clients, tout au long du service. Elle était très professionnelle et tenait à ce que les clients soient traités comme des rois. Elle mettait un point d’honneur à les faire attendre le moins de temps possible.

- Marco deux kirs, un coca et un perrier- citron s’il te plait.

- Tout de suite Bella, dit-il avec un sourire charmeur.

Elle tiqua en entendant le surnom qu’il lui attribua, mais ne releva pas. Ce n’était pas le moment de lui faire une remarque, elle avait des clients qui l’attendaient. Il lui prépara sa commande et elle s’empressa d’aller servir ses clients. Toute la journée, Marco ne cessa de l’appeler « Bella » ce qui agaça Sylvia au plus haut point. Elle ne supportait pas les petits sourires charmeurs et les clins d’œil qu’il lui adressait lorsqu’il posait ses commandes sur son plateau. Décidément, elle ne supportait pas ces mecs qui se croient irrésistibles.

Sandy était complètement perdue pour son premier service. Comme elle ne connaissait pas encore l’organisation et la mise en place du restaurant, elle courait un peu partout désorientée, elle se trompait dans les commandes et oubliait ses clients. Les autres serveurs habitués au métier, faisaient en sorte de l’épauler et de rattraper ses maladresses. A la fin du service du midi, la pauvre jeune femme semblait sur le point de s’écrouler de fatigue. Elle qui était pourtant si pleine d’énergie, était complètement vidée et désespérée par sa prestation minable. Sylvia savait à quel point c’était dur de commencer dans ce métier et combien on pouvait vite se sentir complètement submergé. Elle alla à la rencontre de Sandy, lors de leur pause. La jeune femme était allée s’assoir sur un muret à côté du restaurant, pour fumer une cigarette.

- Sandy ?

La jeune femme leva vers elle, des yeux brillants de larmes.

- Je peux m’assoir ? Demanda Sylvia prudemment.

- Oui bien sûr. Répondit Sandy en s’essuyant rapidement les yeux d’un revers de la main.

- Je sais combien ce métier est difficile au début et puis André n’est pas des plus tendre sous la pression. Je trouve que tu t’en es pas mal sorti pour un premier service.

- Tu plaisantes, j’ai été minable. J’ai complètement paniqué, j’étais perdue. Je ne trouvais rien, je me suis trompée à plusieurs reprises dans les commandes ou les plats à servir, j’ai même fait attendre une table pendant plus de trente minutes. Je suis la plus nulle des serveuses. André va me virer c’est sûr, à moins que ça ne soit moi qui parte.

- J’étais comme toi quand j’ai commencé et c’était dans une petite brasserie avec trois fois moins de couverts. J’avais l’impression de me noyer dans la masse d’informations qu’on me donnait au fur et à mesure. J’ai énormément douté de moi, je me suis même dit que j’étais complètement idiote et bonne à rien car je n’étais pas capable de retenir une commande pour deux personnes et de connaitre le menu. Moi qui avais aisément décrochée mon bac, je me retrouvais comme une idiote, comme si je n’avais rien appris. Et puis je me suis reprise. A ma pause j’ai analysé le service que je venais de faire, mes erreurs et mes points fort, j’ai fait le tour de la brasserie pour mémoriser les endroits où se trouvait tout le matériel dont j’avais besoin, j’ai appris par cœur la carte et à la fin du premier week-end, j’étais totalement prête. L’expérience a ensuite fait le reste. Si tu veux je peux te coacher ?

- Je ne sais pas si j’en serais capable. Je vous fais perdre du temps. Je suis un poids pour vous plus qu’une aide.

- Mais non ne t’en fait pas. On est tous passé par là. Il te faut juste apprendre et je suis persuadée que dès que tu auras pris tes marques, c’est nous qui serons à la traine ensuite.

- Tu crois ?

- J’en suis sûre. On va prendre un peu de temps, maintenant, toutes les deux et on va faire le tour du restaurant ensemble. Je vais te donner quelques astuces de mémorisation et des techniques pour gagner du temps et tu verras que le service de ce soir se passera déjà beaucoup mieux.

- Vraiment ?

- Tu veux parier ? On dit que si à la fin du week-end prochain tu as oublié une table ou que tu t’es trompée dans une commande, tu me paies un verre. Si tu réussis des services presque parfaits, parce que personne n’est parfait, c’est moi qui te paie un verre. Ok ?

- Ok. Répondit Sandy en tapant dans la main de Sylvia.

La jeune femme avait retrouvé le sourire. Elles retournèrent à l’intérieur du restaurant. Les autres serveurs ainsi que Marco étaient tous parti. Ils avaient quelques heures de pause entre le service du midi et celui du soir. Il ne restait qu’André et les cuisiniers. Elles avaient toute la salle rien que pour elles. Comme elle le lui avait expliqué, Sylvia fit faire le tour de l’établissement à Sandy, lui désigna les points stratégiques et lui montra quelques astuces pour gagner du temps. Après ça, Sandy se sentie rassurée et plus sûre d’elle. Sylvia était contente d’avoir pu l’aider.

Lors du service du soir, Sandy mis en pratique tout ce que Sylvia lui avait montré quelques heures plus tôt. Dès qu’elle sentie la panique monter, elle regarda Sylvia travailler, pris une grande inspiration et repris le travail. Elle fit encore quelques petites erreurs, mais elle avait déjà beaucoup progressé. Dans ce métier, il faut avoir une grande confiance en soi et c’est ce dont manquait Sandy. Sylvia avait su trouver les bons mots. Elle était fière de sa petite protégée.

Sylvia était tellement concentrée sur son travail et sur Sandy qu’elle ne remarqua pas les œillades que lui lançait Marco et ne releva même pas lorsqu’il l’appelait « Bella » à chaque fois qu’elle se présentait au bar. Elle préférait l’ignorer plutôt que de se battre contre lui. A ses yeux il n’était pas digne qu’elle ne lui porte le moindre intérêt. Il finirait par se fatiguer tout seul lorsqu’il en aurait marre qu’elle ne lui réponde pas. L’ignorance était la meilleure des défenses face à ce genre d’individus.

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