Les campagnards

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Par où commencer ? Le premier jour ? Oui, mais le premier jour de qui ?

Nous sommes le produit de notre famille et je ne fais pas exception à cette règle. Aussi, est-il normal de commencer par ceux qui m'ont précédé.

Je viens de familles au passé extrèmement différent. De la rencontre improbable de la France et de la Pologne. Mon passé est rempli de paysans et de juifs errants. Pas de noble descendance dans mon arbre généalogique. Je le sais, je me suis accrochée à ses branches jusqu'en 1632.

D'un côté, mon père, issu d'une famille de propriétaires terriens, comme on aime à les appeler. Des gens de la terre, des gens pragmatiques, qui ne s'en laissent pas conter parce qu'on ne cultive pas son lopin de terre à coup de jolis mots.

De par mon père, j'ai la pugnacité, le verbe acerbe, la constitution robuste des gens à qui on ne la fait pas. Beaucoup de filles de ferme dans mon ascendance. Avec une pensée spéciale pour Clémence, mon arrière grand-mère, dont la vie trouverait aisément sa place dans les romans paysans du début du siècle dernier.

Fille de ferme, mère de quatre enfants non reconnus par aucun des géniteurs et que nous supposerons être les fermiers pour lesquels elle travaillât.

Comme l'aime à dire mon père, à cette époque, la fille de ferme, ou journalière - ce joli mot qui en dit long sur la condition particulière de ces femmes - appartenait au maître du domaine sur lequel elle travaillait. Le maître qui disposait de son outil de travail comme bon lui semblait.

Cette petite femme qui, quelques jours après son accouchement, avait ramené son enfant à la maison familiale dans une brouette, parce qu'elle ne pouvait s'en occuper et travailler en même temps. Cette petite femme dont on apprit, il y a peu, qu'elle ne s'appelait pas Clémence mais Marie. Cette petite femme que nous avons eu un mal fou à accrocher sur notre arbre tellement sa vie avait semblé décousue et évasive. Cette petite femme qui aura fini sa vie avec un homme dont on n'aura jamais su s'il était le père d'aucun des enfants ou juste un amant qui aura tenu plus longtemps que les autres.

Cet homme qui aura été chasser l'écureuil pour nourrir sa famille improvisée.

Des photos de l'époque, je retiens les visages des trois premiers enfants de cette fratrie, le visage long comme un jour sans pain, le visage de leur mère. Et puis le petit quatrième, mon grand-père, dans une version totalement différente, la mini vague travaillée et le physique de Charlie Chaplin.
C'est toujours impressionnant de voir les photos de nos ancètres à nos âges, dans la fraîcheur de leurs belles années et de les trouver étonnamment modernes.

Mon grand-père qui partira au combat sur ses deux jambes mais ne reviendra qu'avec une seule. Atteint par un éclat d'obus sur un champ de bataille dans le Nord de la France, il devra se cacher et se traîner jusqu'à Bordeaux pour se faire amputer une jambe mangée par la gangrène.

A côté de lui, sur cette photo surranée de la fin des années 30, ma grand-mère, 17 ans. Ces personnes que l'on a toujours connues vieilles ont donc été jeunes elles aussi ? Elles ont connu les passions de l'amour, le déchirement des départs. Elles ont été comme nous, juste un peu plus tôt ?

Ma grand-mère, dont les parents ont eu l'intelligence d'acheter terres et bâtisses à tour de bras pour garantir une sécurité à leurs enfants. Un petit bout de carne que cette femme. Je l'entends dans le bon sens du terme, car les rêveurs ne faisaient pas long feu dans le monde paysan.

Ma grand-mère qui, durant l'occupation, ira récupérer à la Kommandantur de la ville la plus proche, son vélo réquisitionné par les boches. Qui gèrera, avec un mari estropié mais jamais handicapé, une ferme, des champs, des vignes, leurs trois enfants et ceux des autres, en accueillant les enfants de l'Assistance Sociale. Une femme rude et piquante mais qui aura tout de même eu, au moins pour moi, les vrais gestes d'une grand-mère.

De ce côté de la famille, un cadeau était toujours accompagné de sa facture. Un poulet contre une répartie cinglante. Le prix de la générosité paysanne.

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