Les citadins

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Du côté de ma mère, les choses sont légèrement plus complexes.

Si ma grand-mère provient du même monde paysan que mes grands-parents paternels, mon grand-père fut dépositaire d'une histoire légèrement plus chaotique.

De lui et indirectement de ma mère, je tiens le côté secret, introspectif, angoissé de ceux dont la vie dépend de leur capacité à se remettre en question et à s'adapter.

De ce côté de la barrière se trouve la Pologne, pays de naissance de mes arrières grands-parents maternels. Ce pays alors sous tutelle russe, dont ma famille s'est enfuie par peur des représailles contre les juifs. La France leur semblait alors un pays de cocagne. Accueillant, respecteux des communautés. Le futur ne leur donnera pas raison.

Mon grand-père est né à Paris, dans une famille éclatée. Petit dernier de la fratrie, il se retrouve à 5 ans à vivre avec son père, sa mère étant partie avec les deux plus grands. De cette mère, peu de souvenirs. La figure maternelle, ce sera sa belle-mère, qui le considèrera toujours comme son fils.

De cette coupure naîtra l'éloignement de la famille qui, à l'image de la diaspora juive, trouvera dans le mutisme et le repli sur soi un moyen d'exorciser cette période et de continuer à vivre.

Récemment, nous avons retrouvé dans les affaires de mon grand-père des vestiges de la seconde guerre mondiale, de l'occupation et de la spoliation des biens juifs par l'armée allemande et l'administration française. Dans une boîte remplie de photos de gens décédés depuis bien longtemps, une liste manuscrite. Une description, dans les moindres détails, de l'appartement de mes arrières grands-parents. On reconnaîtra la beauté de la rigueur allemande comme elle nous permet d'avoir une photographie fidèle de l'environnement dans lequel mon grand-père à vécu. Du canapé au tapis, en passant par la vaisselle, aucun élément n'est omis par l'armée allemande.

Il s'agirait d'avoir un état des lieux complet de ce que l'on compte donner à d'autres.

Je me rappelle quand, plus jeune, ma grand-mère me sortait les albums de famille. Ce recueil de personnes décédées, de vies écourtées, me faisait un effet indéfinissable. De belles toilettes, des enfants sages, des moustaches bien huilées, des chapeaux mous et des complets croisés. Que ces gens étaient élégants, que ces gens semblaient... français.

Pour mon grand-père, pas de conscription, mais une étoile jaune. Pas de champ de bataille mais la fuite vers la zone libre, les parties de cache-cache dans les granges, le trocs des bijoux contre un verre d'eau, un toit pour la nuit ou un peu de nourriture.

Nous avons eu de la chance dans notre malheur, car de cette période, il y aura eu peu de victimes au sein de notre famille proche. La vraie victime aura été la parole. Ne pas dire pour ne pas se trahir. Lorsque l'on grandit avec ça, il est compliqué de s'en détacher.

C'est l'image que je retiendrai de mon grand-père. Un homme secret, dont le bonheur résidait dans le silence, la musique et les trains électriques.

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