64. La décision de Jake

17 minutes de lecture

Estelle, 16 ans
« Il est mignon, mon Brindibou ! »

Le 23 décembre, soit le cinquième jour de notre congé, nous n’avions rien planifié pour la journée. Donc, mes pères et moi, on a décidé d’aller faire les courses en ville avec les jumeaux. J’ai promis de ramasser quelques trucs pour Katia, son frère et sa cousine, alors je m’amuse dans le magasin de fringues à trouver des accessoires qui pourraient leur plaire. Mes papas sont partis essayer des malasadas. Il semblerait que Papa Gabriel essaie de s’inspirer des recettes locales afin d’apporter quelque chose de nouveau dans sa chaîne de restaurants. C’est tout lui…

Braségali se promenait un peu avec les jumeaux qui sont partis chercher des ingrédients pour nous préparer un déjeuner. Jake est parti voir le Professeur Euphorbe depuis ce matin et j’ignore s’il y est encore. Hier soir, je l’ai entendu parler au téléphone avec sa mère, il lui souhaitait de passer de joyeuses fêtes et l’a embrassé. Ensuite, il est sorti prendre un peu d’air. Il avait l’air pensif…

Vers dix heures et demie, je suis retournée au chalet afin de rejoindre les jumeaux qui préparent notre repas dans la cuisine. Braségali est parti à la chasse. Mes pères ne sont toujours pas revenus, non plus.

J’ai profité de la journée d’hier pour entraîner mes Pokémon les plus faibles et j’ai rajouté Brindibou dans mon équipe. Celui-ci s’entend bien avec la plupart de ses coéquipiers, cependant Braségali semble un peu perturbé qu’il prenne autant de place sur mes épaules ou qu’il essaie tout le temps de venir dans mes bras.

Je crois que mon cher gros poulet se sent jaloux de toute l’affection que je porte au hibou. Mm… maintenant que j’y pense, je devrais peut-être le traiter comme un coq au lieu d’un morceau de viande. Mais j’aime bien le petit surnom rigolo.

C’est alors que Jake entre par la porte d’en avant. On dirait qu’il a quelque chose sur la conscience et s’approche du comptoir où Scottie coupe des ingrédients qu’il doit mettre dans sa sauce à pâtes. Il nous fait signe d’approcher.

— Qu’est-ce qui se passe ? je demande. T’as pas l’air dans ton assiette.

— C’est que j’ai pris une décision importante durant les derniers jours que nous avons passés sur cette île, explique-t-il. Ça concerne le Professeur Euphorbe.

— Ah ouais, on a remarqué tes allers-retours chez lui. Vous vous entendez bien, non ?

Il hoche la tête, puis continue :

— J’ai pris la décision de rester à Alola quelque temps. J’ai décidé que je ne reviendrai pas avec vous à Kanto. La raison qui m’a poussé à prendre cette décision, c’est parce que le Professeur Euphorbe a besoin d’un assistant pour tester un nouveau Pokédex qu’il est en train de concevoir. Il m’a dit qu’il me paierait et m’hébergerait chez lui le temps que ça lui prendra pour inventer de meilleurs modèles. Il ne peut pas se déplacer autant qu’il ne le souhaiterait, alors il a besoin de voyageurs comme moi afin de se déplacer d’île en île et faire en sorte que je capture quelques espèces avec son prototype. Donc… c’est ça… Désolé…

Il baisse la tête et se passe une main dans les cheveux. Kylie lâche le couteau dont elle se servait pour trancher des oignons, puis fait une moue.

— T’as le don de nous lâcher des bombes, toi, dit-elle, déçue.

— Franchement, j’ai besoin de faire ça, ajoute-t-il. Vous avez tous les trois un rêve à accomplir et le mien est de voyager et de découvrir de nouveaux horizons. Ces îles sont pour moi une chance d’accomplir une partie de ce rêve… Comprenez-moi, ce choix n’a pas été facile à faire, mais c’est ce que je désire. Si j’ai la chance, d’ici à quelques mois, j’irais vous retrouver au Plateau Indigo pour la Ligue Pokémon.

— T’es sûr que c’est ce que tu veux ? je demande. Parce que… C’est quand même cher pour les billets d’avion… Tu n’auras qu’à nous contacter et Papa Flint te fera un bon prix.

— J’y compte bien… Et oui… Je suis certain que c’est ce que je veux. Cette région a même plusieurs sortes de thés que je souhaite essayer. Je veux même participer au Tour des Îles et tout découvrir sur ces fameuses Capacités Z dont seuls les meilleurs Dresseurs de la région connaissent le secret. Pectorius m’a promis de me présenter un ami pour me donner un bracelet, si je décide d’aider le Professeur. Vous n’imaginez pas à quel point je me sens honoré d’une telle opportunité !

— Il n’y a rien qu’on puisse te dire pour te convaincre de revenir avec nous, je formule en m’appuyant sur le comptoir, déçue.

— Comprends-moi Estelle. Je vous aime tous comme si vous étiez ma propre famille, mais j’ai cette soif d’aventure qui me ronge de l’intérieur depuis tant d’années… Je promets que je vous appellerai souvent pour vous donner des nouvelles.

Kylie hausse les épaules. Elle ne sait plus que dire. Elle est toute aussi démoralisée que Scottie et moi. Jake mérite ce qu’il y a de mieux pour tout le bien qu’il fait autour de lui. Nous ne pouvons pas l’empêcher de rester. Il a tant fait pour nous ; la moindre des choses que nous pouvons faire est de le laisser s’en aller avec l’esprit tranquille.

— Il nous reste quand même plus d’une semaine ensemble, dit-il. Profitons de chaque instant qu’il nous reste afin de vivre tout plein de nouveaux souvenirs.

J’entends des reniflements de l’autre côté du comptoir. Kylie essuie ses yeux puis contourne le meuble dans le but de s’approcher de Jake avant de lui donner un coup de poing dans le bras. Après, elle l’enlace de ses bras pour le serrer fort contre son corps. Elle a les yeux rouges et n’est pas contente, mais elle connaît assez bien son ami pour comprendre qu’il avait pris la bonne décision.

— Tu vas me manquer, dit-elle.

— Toi aussi, grande folle.

Elle esquisse un sourire, puis essuie ses yeux encore une fois avant de retourner aux oignons. J’ai un trémolo dans la gorge, mais je sais que c’est pour le mieux. Jake a vécu un enfer à cause des récents événements et cet emploi à Alola lui permettra de se changer les idées.

Nous passons la prochaine heure à papoter tous quatre, alors que nous cuisinons le repas tout en attendant que mes papas reviennent.

Bien que cela m’attriste que Jake ait décidé de rester ici pour les prochains mois, je suis heureuse qu’il nous en ait parlé maintenant plutôt qu’à la dernière minute. Ça nous donnera du temps pour lui faire nos adieux et de célébrer les fêtes avec lui.

Je prends Papa Flint à l’écart lorsqu’il revient au chalet, puis j’ai une conversation avec lui en ce qui concerne Jake et sa décision. La moindre des choses que nous puissions faire pour l’encourager dans ce nouvel emploi serait de lui passer le chalet. Il ne nous sert à rien, de toute manière, et mon ami sera libre d’y venir autant de fois qu’il le souhaitera, à condition qu’il ne fasse pas trop de bêtises.

C’est pourquoi pendant le déjeuner, mon père se tourne vers lui.

— Jake, dit-il. Estelle m’a parlé de ton plan. Je dois avouer que cela m’a surpris de l’apprendre, mais je viens de passer une entente avec elle.

Il lui passe une clé qu’il ôte de son trousseau, puis range ce dernier.

— Ceci est le double de la clé du chalet, dit-il. Tu es libre de t’en servir quand je ne serai pas là. De toute façon, je ne viens que pour les vacances.

Jake nous regarde tous deux, étonné et pris au dépourvu.

— Vraiment ?! s’exclame-t-il. Vous feriez tout ça pour moi ?

— Oui, jeune homme. Tout ce que je te demande, c’est de garder les lieux propres. Tu pourras dormir dans la chambre des invités et la décorer à tes goûts si tu le souhaites… Mais je te demande de ne pas toucher à ma chambre, si possible. Elle a une valeur sentimentale à mes yeux, si tu comprends où je veux en venir…

— Parfaitement, Monsieur Markios. Je tâcherai de ne pas la déranger.

— Pour ce qui est de l’électricité et l’eau, j’ai déjà un arrangement avec la ville et je paie une fois par an avec des dons… Donc, tu ne devrais manquer de rien. Si jamais un article manque, contacte-nous et je t’aiderai financièrement à le remplacer. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’un Professeur Pokémon a la chance d’avoir une aide si précieuse. Les recherches que tu vas faire pour lui vont sûrement un jour aider le monde entier. J’espère que tu t’en rends compte.

— Bien sûr, dit Jake. C’est tout ce que je souhaite. Aider les gens.

Kylie sourit et donne une tape amicale sur l’épaule du guitariste.

— Tu vois ? Dans le fond, c'était une très bonne idée de rester, dit-elle. Non seulement t’as un emploi, mais t’as maintenant un logis temporaire.

— Bien entendu, je ne vois pas vraiment l’intérêt de te demander de payer pour le loyer, révèle mon père. Je suis multimilliardaire, alors qu’est-ce que ce serait pour moi de demander tout cet argent à quelqu’un qui n’a même pas commencé sa vie ?

Il lâche un petit rire malaisant puis roule les yeux.

— Garde ton fric, Jake. Tu vas en avoir besoin pour ton avenir, rajoute-t-il.

— Je n’en reviens pas… dit mon ami, tout ému par la générosité de mon père. J’ai l’impression d’être au cœur d’un conte de fée. Pincez-moi si je rêve.

À cette demande, Scottie à côté de lui pince la joue.

— Ouille ! couine le musicien. Pas si fort, banane !

Il se frotte alors la joue et nous éclatons tous de rire.

Pendant ce temps, Braségali revient de sa promenade et cogne à la porte pour que je vienne le laisser entrer. Je me lève alors de table pour aller l’accueillir.

Lorsqu’il entre, je lui offre une tomate toute fraîche qu’il prend avec bonheur. J’ai commencé à me rendre compte qu’il adore ce fruit. Oui, fruit. Ça me choque chaque à chaque fois que j’y repense… Comment un fruit peut-il être salé ? Mystère et boule de gomme !

Les fruits et légumes de cette région prennent tellement de soleil que ces derniers sont riches en nutriments et ont meilleur goût. Franchement, je ne regrette pas notre séjour. Hier, avant de nous coucher, j’ai dit à Kylie que je souhaite revenir ici un jour et je crois que ce serait cool qu’on fasse le Tour des Îles ensemble. Jake aura cette chance avant nous, mais ça ne nous empêche pas d’avoir envie de le faire nous aussi.

Ah bon ? Je suis motivée maintenant ? Bizarre. Il y a des semaines encore, je me cassais la tête à essayer de comprendre où était ma place. Finalement, j’ai envie de m’étaler partout et de toucher à tout. J’ai ce désir de mordre mon existence à pleines dents… Mon voyage avec les jumeaux m’a apporté tant de bonheur et de richesses, autre que tout cet argent dont je n’ai pas besoin…

J’ai envie de voler dans les airs, de nager dans l’océan encore et encore, sur le dos de mon Tortank. J’ai envie de voir tout plein de paysages avec mes amis et de capturer de nouveaux Pokémon qui pourraient vivre toutes ces aventures avec nous. Je veux vivre tout ça… pour encore, au moins, quelques années. Je veux être capable de me réveiller un beau matin et me dire : j’ai fait tout ça.

— Gali ? dit Braségali en me regardant. Gali, gali ?

Je cligne des yeux, réalisant que je suis restée debout devant la porte d’entrée, rêveuse. Ça fait maintenant quelques minutes que je réfléchis.

— Tout va bien ?! lance mon père blond depuis la cuisine.

— Ouais ! Tout va bien ! Je réalise seulement à quel point je suis heureuse.

Je retourne alors m’asseoir à table et m’appuie la tête sur l’épaule de Papa Flint.

En face de moi, mes trois amis se demandent bien ce qui peut me passer à travers la tête. Scottie décide d’aller chercher le dessert qu’il a acheté dans une boutique : un gâteau au fromage à la cerise. Le tout a été préparé récemment, alors ça promet d’être un pur délice.

Je me demande si Papa Gabriel nous fera un commentaire, puisque c’est un expert des gâteaux. Je le sens zyeuter le dessert de loin et déjà, il se trémousse sur sa chaise.

— À en juger la coloration et l’épaisseur de la crème, je crois que la personne qui a préparé celui-ci l’a fait avec amour, dit-il. Espérons qu’il soit délicieux !

Il nous fait alors son plus beau sourire lorsque Scottie dépose la part du colosse devant ce dernier. Je ne peux m’empêcher de glousser, puisque ma prédiction a été juste. Papa Flint reçoit la deuxième assiette, puis Kylie se lève afin d’aider son frère.

Après le dîner, nous allons nous promener sur la Route 1 avec nos Pokémon. C’est un bel après-midi, alors autant en profiter. Demain, pour la veille de Noël, nous avons prévu de retourner fêter avec Pectorius qui préparera un festin et une soirée de danse dans sa petite communauté. Nous veillerons tard, puis nous reviendrons nous coucher chez nous.

Pour Noël, nous comptons simplement passer la journée à visionner des films et à nous détendre au chalet. Les jumeaux ont même acheté un faux palmier et des décorations festives pour décorer le coin de notre salon, à la grande surprise de mes parents.

Personne d’entre nous n’a vraiment pensé à faire de présents, alors à la dernière minute, nous avons tous décidés de faire un tirage-cadeau entre nous six. Nous devons tous acheter un petit cadeau en bas de dix pokédollars et si possible faire une blague. Ce cadeau reviendra à la personne que nous avons pigée et bien entendu, le but est de faire rire.

Ce voyage et les Pokémon que Pectorius nous a donnés sont déjà de très gros cadeaux pour nous, alors nous ne souhaitions pas en imposer davantage à mes papas.

Cela me fait quand même rire de penser que nous avons des recettes très différentes durant cette période de l’année. Ici, à Alola, les gens ont des plats distincts qu’ils préparent en guise de repas traditionnels. Les bols de fruits et légumes sont beaucoup plus nombreux par ici, car les îles en regorgent. Il y a aussi plusieurs plats épicés et je crois aussi que le chili est très populaire avec certaines personnes. Surtout les enfants de l’archipel. Ça mange aussi beaucoup de poisson.

À Alola, j’ai l’impression que personne n’apprécie la viande de Piafabec farcies durant le temps des fêtes… J’imagine que c’est un plat qu’ils n’apprécient pas chez eux. Oui… On consomme des Piafabec dans notre famille… même des Canarticho. Ne me jugez pas. Il n’est pas hors du commun que les gens mangent même du steak de Tauros ou bien de la viande de Roucool.

Plus j’y pense et plus je commence à me demander si mes habitudes alimentaires ne vont pas bientôt rentrer en conflit avec ma passion pour les Pokémon. Je soupire bêtement et me demande si je ne devrais pas devenir végétarienne.

Sur cette pensée, je goûte au cheesecake.

La réaction est instantanée, je m’exclame :

— OH PAR TOUS LES SAINTS, QUE C’EST DÉLICIEUX !

Papa Flint sursaute et tombe en bas de sa chaise. Ce dernier se tourne vers moi, apeuré et s’agrippe à la table avant de déglutir. Même Braségali a pris peur et s’est caché derrière la chaise de Kylie, levant la tête par-dessus celle-ci. Mon amie punk, amusée, ne peut pas arrêter de rire.

— Oh Arceus, Estelle ! T’as failli faire éclater mon cœur… s’exclame mon père blond, qui tremble. Ne refais plus jamais ça où je vais te coudre les lèvres.

Il se relève en vitesse, puis se replace sur sa chaise.

Kylie rit tellement haut et fort qu’elle tombe en bas de sa chaise, pliée en deux. Elle ne peut plus se contenir tant elle est divertie par la scène.

— Minute, t’as pris combien de morceaux ? demande son frère. Parce qu’il y a un peu de rhum dans la recette, d’après ce qu’a dit la pâtissière.

— J’en ai pris trois… dit-elle dans son délire.

— Oh misère, tu sais pourtant que tu ne contrôles pas avec l’alcool.

— Relaxe ! C’est à peine s’il y en a dans la recette, révèle sa sœur.

— Elle dit vrai, déclare Papa Gabriel. Cela prend normalement une cuillère à soupe par recette de ce genre. Ce n’est pas vraiment assez pour saouler quelqu’un.

— Ouais, mais Kylie est hyper sensible à l’alcool, réplique Scottie. La moindre goutte dans son corps fait d’elle une vraie girouette…

— Meuh non, réplique sa sœur. Tu dis n’importe quoi, hihihi… Hic !

— Tu vois !? lance Scottie à sa sœur. Qu’est-ce que je disais ?!

Jake hoche la tête et rajoute :

— La dernière fois que je l’ai vu boire un simple verre de punch avec un faible pourcentage d’alcool, je l’ai vu danser à moitié nue dans la cour d’une église… Elle devait avoir dix-sept ans, je crois… C’était avant qu’elle me recrute dans son groupe de musique et avant que nous soyons proches. Nos parents n’étaient pas contents parce que les flics sont venus nous chercher… et pas besoin de vous faire un dessin. C’était durant ma période noire.

— Ah ouais, quand tu consommais du cannabis… dit Scottie.

— Beurk, essaie de ne pas me le rappeler. La dernière fois que j’en ai touché, j’ai été malade pour des semaines. On m’avait refilé de la mauvaise marchandise.

— Du cannabis ? demande mon père. Eh bah dis donc, tu t’entoures vraiment de drôles de gens, ma fille… Pas que je devrais vous juger, parce que j’ai fumé un joint de temps en temps, quand j’étais au lycée.

Je regarde mon père, scandalisée.

— Papa… ? Vraiment ?

— Comment crois-tu que j’ai rencontré ton père ? dit-il en me pointant Gabriel d’un signe de tête. On faisait la fête, jours et nuit, et on flirtait avec tout ce qui bouge pendant les soirées de danses.

— Je confirme ! déclare mon autre père.

— Et bah ça alors… je dis, bouchée bée.

— De mon côté, exprime Jake, j’ai décidé d’arrêter parce que ma dépendance m’a causé la nombreuse perte d’amis et aussi plusieurs conflits avec ma mère et son conjoint. C’est pourquoi Kylie m’a introduit à la thérapie des feuilles de thé.

— Ah ouais, j’ai aussi fumé du thé pendant un temps, quand j’ai décidé d’avoir une vie plus clean, comme on le dit dans le métier, déclare Papa Flint.

— Euh… Ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire, rectifie mon ami musicien. En fait, j’ai commencé à boire du thé… avec les feuilles… de thé…

Mon père blond réalise qu’il a dit une bêtise, puis rougit timidement.

— En effet, le thé est excellent pour la santé, surtout pour purger les déchets de notre corps, explique Papa Gabriel. Ce qui me fait penser que je n’en bois pas assez…

— On est beaucoup plus café et cacao, chez nous, répond Papa Flint.

— Ça, je l’ai remarqué avec toutes les barres de chocolat que tu glisses dans tes tiroirs, mon lapinou en sucre… J’en ai volé deux ou trois sans que tu t’en rendes compte.

— Ah, c’était toi !? Petit chenapan…

— Bisou ?

Papa Flint secoue la tête, puis envoie un baiser au vent à son fiancé qui essaie de se faire pardonner. C’est à mon tour de glousser. C’est vraiment un déjeuner très bizarre… Plus marrant que d’habitude, en tout cas. Kylie semble pâlir un peu pendant qu’elle s’assoit sur sa chaise. Je crois qu’elle a trop mangé de pâtes et de gâteau au fromage.

— Va t’allonger sur le divan, je dis. Si ça ne passe pas, tu sais où sont les toilettes.

— N’y pense même pas… râle-t-elle.

Je la vois se couvrir la bouche comme si elle est sur le point de vomir.

— Tu sais quoi ? Je vais aller prendre un peu d’air, ajoute-t-elle avant de se lever pour se diriger vers la porte de la véranda. Ça devrait passer…

— Fais le tour de la maison quelques fois, suggère Jake. Ça t’aidera à digérer.

— Bonne idée ! lance Kylie depuis la sortie.

Elle sort et ferme la porte derrière elle.

Puisque les jumeaux ont cuisiné la majorité du repas, je me dis que je vais faire la vaisselle. Scottie et mes parents sortent, eux aussi, afin d’aller s’asseoir sur les chaises à pique-niques.

Il ne reste plus que Jake et moi dans la cuisine, ainsi que Braségali qui semble avoir commencé une sieste sur le plancher. Je crois surtout qu’il nous espionne, car il ne peut pas tolérer que je sois seule dans la même pièce que notre ami guitariste.

— Je lave et tu essuies, ça te va ? demande-t-il.

— Très bien, je dis.

Je ramasse les assiettes et lui les verres et les ustensiles. Pendant les prochaines minutes, nous échangeons sur la pluie et le beau temps, rien qui ne vaille la peine d’être mentionné dans ces mémoires… Mais… Je me rends compte que plus le temps avance et plus je suis à mon aise de parler avec Jake de plusieurs choses.

Pour commencer, son passé avec la drogue… Je me sens beaucoup plus confortable de lui poser des questions et il me répond de son mieux. Il me dit qu’à l’époque, sa dépendance était tellement grande que cela a fait de lui un monstre. Ça explique aussi pourquoi il y a parfois certains jours où il est très irritable. Il se trouve que même aujourd’hui, il combat cette dépendance.

— L’envie de fumer t’est-elle revenue récemment ? je demande.

— Deux ou trois fois après m’être fait torturer, puis une autre fois hier soir. J’étais un peu stressé à cause de ma décision.

— Mais tu n’as rien consommé depuis ta conversion au thé…

— Justement, mais ça ne m’empêche pas d’en ressentir le besoin.

— Je te trouve vraiment courageux de résister, en tout cas.

— Pourrais-tu nous bouillir de l’eau ? Plus j’y pense et plus, j'ai envie de me doper

— Ah… Parce que l’envie de fumer te fait boire du thé ?

— Ouais… chaque fois que ma dépendance me dérange, certaines infusions de thé apaisent mon stress. Aussi, j’aime mieux boire ça que de me défoncer.

— Je vois. D’accord. Je vais préparer la bouilloire, mais occupe-toi de laver et d'essuyer le reste.

Jake accepte la proposition et je m’exécute en silence. Il ne m’a jamais dit à quel point il souffrait en silence à cause de cette envie de consommer. Il faut croire que cela le gênait. Je suis quand même heureuse de voir qu’il s’en sort bien avec cette thérapie de thé. C’est une habitude plus saine et surtout, plus sécuritaire pour sa santé.

Je suis tout de même sous le choc que Papa Flint, l’homme le plus lucide que je connaisse, ait déjà consommé des drogues de ce genre. En même temps, ça ne devrait pas me surprendre parce qu’au lycée, beaucoup d’élèves expérimentent avec la boisson ou une substance illicite, un jour ou l’autre. J’ai entendu dire que le MDMA – l’ecstasy – est de plus en plus populaire dans les soirées étudiantes et que ça commence très jeune… Ça ne m’intéresse pas du tout…

Je n’ose pas imaginer comment je pourrai agir avec ces pilules magiques. Deviendrais-je aussi folle que Kylie ? Aussi acerbe que Scottie ou aussi détendue que Jake ?

Je secoue la tête et essaie de chasser toutes ces idées farfelues.

C’est alors que Scottie rentre avec son smartphone entre les mains. Il hoche la tête en répondant des mots brefs et marche dans ma direction.

— Je vois… dit-il. Je ne sais pas si elle va accepter, mais je vais te la passer.

Il met alors sa main sur le récepteur et se tourne vers moi.

— C’est Akira, il aimerait te parler… C’est à propos de Yuki.

— Ai-je vraiment le choix ? je demande en fronçant les sourcils.

— C’est ta décision, mais ça semble important…

— Et merde… Autant en finir…

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