65. Les inquiétudes de Flint

21 minutes de lecture

Estelle, 16 ans
Passe une bonne journée

— Je n’en reviens pas… je dis après avoir refermé le téléphone de Scottie.

— Quoi ? demande celui-ci.

— Yuki a tenté de s’enlever la vie.

— Hein !? Comment ça ?

Je prends une grande respiration après avoir déposé le smartphone sur le comptoir, puis je retourne mon regard vers Jake qui est en train d’essuyer les assiettes. Je vais l’aider. Je suis quand même capable de faire deux choses en même temps. L’eau dans la bouilloire est déjà en train de bouillir. Il essuie ses mains et s’éloigne dans la chambre des invités afin d’aller chercher des pochettes de thés.

— Akira m’a expliqué qu’elle s’est senti coupable pour tout ce qui se passe à ses parents et a voulu en finir, j’explique à Scottie. Ce n’est pas tout. Il semblerait que dans le fond, elle a vraiment été agressée par son fiancé… et ce, à plusieurs reprises.

— C’est dégueulasse…

— Elle a toujours refusé d’en parler à son père parce qu’elle était aussi victime de chantage.

— Ça rendrait n’importe qui détraqué, tout ça, soupire Scottie.

— Écoute, je suis sceptique et une partie de moi ne veut pas croire à cette histoire, mais elle s’est quand même passé une ceinture au cou… et j’ai bien vu l’article de la gazette. La famille Okami est dans le pétrin. Akira m’a dit que cette information a fuité à cause de Shin Morinoko, le type qui devait épouser Yuki.

Il se prend la nuque par réflexe et tremble de peur à cette idée.

J’attends un court moment avant de reprendre :

— Akira a fini notre conversation pour me dire que je ne suis pas obligée de reprendre contact avec elle, seulement, elle m’envoie ses excuses par lui puisqu’elle n’arrive pas à parler. J’ai entendu des sons drôlement rauques derrière lui, elle essayait de dire quelque chose. Il a aussi dit qu’elle s’en allait vraiment à Kalos cette fois et qu’elle a décidé de suivre une thérapie afin de passer à travers son traumatisme.

— Ses parents plongent en plein divorce, ça ne risque pas d’être facile, commente Jake en revenant de la chambre des invités.

— Et vous savez quoi ? Ça ne me donne quand même pas envie de redevenir amie avec elle, dis-je avant de placer une assiette lourdement sur le comptoir.

— Euh, évite de casser la porcelaine de ton père, hein ? remarque Scottie.

— Non mais… Elle a le culot de venir me déranger même quand je suis en vacances ! Elle aurait dû crever, cette maudite… espèce… de… face… de mes… deux… Ah puis flûte !

Je pousse un grognement sonore et me croise les bras en me penchant vers le coin qui relie le comptoir à l’évier de la cuisine. Je suis hors de moi, mais je sais que ÇA NE SE FAIT PAS de souhaiter la mort d’une personne en détresse. Je dois me calmer.

— Elle va recevoir du charbon dans son chausson de Noël, je grogne. C’est moi qui vous le dis ! Fichue Yuki… Me faire de la peine comme ça…

J’agrippe un raisin dans le bol qui se trouve près de moi, sur le comptoir, et l’avale après trois bouchées afin de me changer les idées.

— Je crois que ce serait une bonne idée d’aller prendre un peu d’air, me propose Scottie en pointant la porte de sortie d’un signe de tête. Laisse-moi m’occuper de ranger le reste de la cuisine…

Je hoche la tête rapidement et me dirige vers la sortie. En passant près de la table de la cuisine, je remarque que Braségali était profondément endormi sur le plancher. Autant ne pas le réveiller, je n’ai pas envie de le mettre de mauvais… poil ? Il n’a pas de poil, je ne peux pas dire mauvais poil. Tant pis. Faites comme si je n’avais rien dit !

Une fois à l’extérieur, le soleil m’aveugle un peu, mais me réchauffe déjà. Les odeurs de l’île me chatouillent les narines alors que je vois Kylie passer devant moi, toute essoufflée.

— Dis donc, combien de fois as-tu fait le tour de la maison !? je demande, surprise

— J’ai arrêté de compter au bout de dix-sept… déclare-t-elle, les yeux écarquillés.

— Non, mais repose-toi, banane !

Kylie m’obéit et s’écrase, tête première, dans le gazon.

Je m’assois sur les marches de l’escalier qui mènent sur la deuxième véranda de notre maisonnette, puis je regarde mon amie qui se tourne sur le dos, respirant un bon coup.

Les récents évènements me font penser à travers quoi Jake a dû passer durant les derniers mois, afin d’en arriver à prendre cet emploi à Alola. On se souviendra de son ami Sam qui est mort d’un caillot de sang ; puis de notre dispute bizarre dans l’ascenseur, suivi du baiser… et ces tensions entre Kylie, lui et moi… en plus de la Team Rocket qui l’a torturé… Jake pouvait bien ressentir le besoin de changer d’air. Pauvre chou… Ça doit expliquer pourquoi il n’a pas hésité à prendre l’offre du Professeur Euphorbe. Il avait envie de se sentir utile.

Plus ça va et plus, je me rends compte à quel point mes trois amis ont tous des personnalités complexes. Ils sont tous si charmants et si attachants que je n’imagine plus ma vie sans eux. Savoir que Jake compte rester ici quelque temps me chagrine.

Puis, il y a Yuki… Je suis très en colère contre elle, mais je ne peux m’empêcher de ressentir de la pitié. Quand je pense qu’elle aurait pu finir comme le grand-oncle que je n’ai jamais connu… Je réalise avec ironie que son histoire ressemble beaucoup à celle de Yuki. Tous deux avaient un agresseur qui a tourmenté leur existence pendant des années. La seule différence est que mon grand-oncle a tué mon arrière-grand-père adoptif et Yuki n’est pas une meurtrière. Et elle est vivante…

Yuki m’a déjà dit au téléphone, un jour :

Nous ne sommes pas si différentes toi et moi… On ferait tout pour protéger notre famille des gens qui nous veulent du mal.

Sur le coup, je n’ai pas fait attention. C’était un appel à l’aide qu’elle dissimulait dans une simple conversation sur nos parents.

J’enfouis mon visage dans mes mains, me rapprochant de mes jambes recroquevillées. Je grogne de frustration.

— Qu’est-ce que t’as ? demande Kylie. C’est Jake, n’est-ce pas ?

— Oui et non… Ton frère a reçu un coup de fil de la part d’Akira. Tu savais que Yuki a essayé de se tuer ? Parce qu’elle récupère présentement à l’hôpital de Parmanie.

— T’es sérieuse ? La pouffe aux nattes roses a fait une tentative de suicide… ?

Elle s’est assise sur le gazon et me regarde comme si elle n’en revient pas.

Je lui explique donc en détails comment elle s’est fait malmener durant plus de cinq ans par l’homme qu’elle devait marier. Elle se faisait abuser depuis l’âge de neuf ans et elle a été victime du chantage de Shin Morinoko. Tous les mensonges, toute la manipulation qu’elle a faite par la suite, c’était que pour protéger son père et sa famille. Je lui ai aussi expliqué que les nouvelles dans la gazette l’ont poussé à bout. Aussi, qu’elle ne pouvait pas risquer que son père apprenne que sa fille s’est fait abuser ainsi par le fils d’un ami de leur famille.

C’est très dur à digérer tout ça, mais plus je répète le tout dans ma tête, plus ça commence à peindre un tableau épouvantable… Le même tableau d’où vient cette Coordinatrice si colorée… cette adolescente qui a tant essayé d’apporter un peu de joie durant les compétitions, à ses fans, en chantant puis en dansant avec ses Pokémon. Shuriyuki Okami a vécu un calvaire en silence et tout ça à cause de son code d’honneur. Son entêtement à vouloir protéger son père lui a causé tant de problèmes. Il m’est impossible d’ignorer tout ça. Elle a été brave… mais en même temps, si faible.

Et si la situation avait été inverse… aurais-je fait la même chose ?

Monsieur Okami est loin d’être un saint, mais j’espère pour lui qu’il réalisera que sa fille ne voulait que son bonheur, ce pourquoi elle s’est tue.

Lorsque j’ai terminé d’expliquer l’histoire à Kylie, elle bout de rage et pleure en silence.

— Je ne l’ai sûrement pas aidé en ayant été si froide envers elle, dit-elle.

— Tu ne peux pas t’en vouloir Kylie, je dis. Tu ne pouvais pas savoir ce qu’elle ressentait au plus profond de son âme.

— Je sais… Mais si elle était morte, ce serait en partie ma faute. Je lui ai envoyé une longue lettre le soir où tu l’as bloquée pour l’insulter de la tête au pied.

— Oh, je ne pense pas qu’elle l’ait lu. Après que j’ai bloqué son numéro et celui de Martyr, Akira m’a dit qu’elle a cassé son téléphone.

— Bah j’espère pour elle qu’elle ne trouvera pas cette lettre, grogne Kylie.

— Tu peux toujours essayer de contacter Akira, il te passera Yuki afin que tu puisses faire tes excuses. Mais honnêtement, je crois qu’il serait mieux qu’on leur laisse du temps à récupérer et pour digérer toute cette histoire. Elle a quand même l’intention d’aller en thérapie.

— Vraiment ? Wow… Elle m’étonne.

Elle essuie ses larmes rapidement puis se relève. Elle a envie de continuer de marcher autour du chalet. Cela lui permettra de se changer les idées. Je décide de la suivre et nous commençons à parler de tout et de rien alors que son frère et mes parents nous observèrent un moment avant de rentrer.

Un moment plus tard, nous nous sommes installés sur la véranda sur laquelle se trouvaient les chaises, puis nous avons discuté de nos plans pour la veille de Noël. Kylie est toute aussi excitée que moi d’assister au banquet du Doyen Pectorius

¤*¤*¤

Flint, 32 ans
Désire une grosse famille

Je suis à l’intérieur du chalet et observe ma fille et son amie qui font le tour de l’immeuble. Scottie m’a expliqué pourquoi celles-ci semblent énervées. La jeune Okami a tenté de s’enlever la vie. Je trouve ça si triste d’apprendre que plusieurs de nos jeunes vont si mal dans leurs peaux qu’ils décident de se tuer. Je ne connais pas toute l’histoire de l’adolescente, mais elle a quand même réussi à affecter ma famille, ainsi que notre entourage.

Ainsi donc, ma fille a connu sa propre version de Troyd. Sauf qu’il y a encore de l’espoir pour Yuki. Mon oncle n’aura jamais cette chance de se racheter. Quand j’ai parlé de cet horrible secret de famille à Estelle, l’autre jour ; je ne m’étais pas attendu à ce qu’on apprenne que la fille qui la harcèle depuis un moment, voulait en réalité… faire la même chose que mon oncle. J’ai peine à y croire. Que doit-on faire pour protéger nos jeunes de toutes ces agressions ? J’ai tout l’argent dont j’ai besoin, mais il y a tant de personnes en ce monde qui ont besoin d’aide que je ne sais plus y mettre la tête. Heureusement, Estelle m’aide souvent à trouver les bonnes causes. Je travaille tant que j’en oublie parfois de me rendre aux galas de bienfaisances que j’apprécie.

Je viens de recevoir un texto de mon père. Ce dernier déborde de travail, mais il aimerait qu’on puisse faire un truc avec Estelle et maman, dès notre retour des vacances. Juste une petite soirée à leur appartement. Je doute que Scottie et Kylie soient invités, mais je ne pense pas qu’Estelle voudra rester au manoir trop longtemps. Elle compte quand même repartir pour l’aventure avec les jumeaux…

Gabriel a mal au ventre à force d’avoir trop mangé pour le dîner, puis s’est allongé sur le divan de notre salon. Il visionne la télé en buvant une tasse de thé. Jake et Scottie sont dans la chambre des invités et jouent à un jeu de société que je garde dans un tiroir. Je décide de m’installer à côté de mon fiancé et m’appuie la tête sur son bras alors que nous regardons les nouvelles sur la chaîne locale.

— Tu ne m’avais jamais dit que tu as eu des problèmes des drogues, dit Gabriel. J’aurais cru que tu me faisais assez confiance pour m’en parler…

Je tourne la tête vers lui, gêné. Il est un peu triste et déçu, mais il n’utilise pas un ton agressif. Ça m’est tout simplement sorti de la tête.

— J’étais jeune et stupide, dis-je. Et pour être franc avec toi, je n’ai pas autant fumé que ça, après ton départ. Au moins trois ou quatre fois durant ma dernière année de lycée et ma première année universitaire. Après ça, j’ai arrêté de faire autant la fête. Tu me manquais trop… Faire la fête sans toi, ça n’avait plus aucun sens.

— Je sais… Je suis désolé, chéri. J’ai vraiment tout fait pour essayer de convaincre mon père de rester à Kanto… Mais il ne voulait rien savoir.

— Je t’ai toujours aimé…

Je sens les larmes couler le long de mes joues, lorsque je revois Gabriel, adolescent, qui venait juste d’apprendre qu’il était enceint. Nous avons paniqué, puis on en a parlé à nos parents… Après, Randell Tabris a décidé de prendre son fils, qu’il voyait toujours comme sa fille, et l’a emmené à l’autre bout du monde ; en s’assurant de nous coller la justice au cul si jamais nous décidions de les retrouver.

Même quand ils sont revenus en l’espace d’une journée pour que mon petit ami accouche, je n’ai pas été mis au courant de leur retour ; sauf quand on m’a appelé au téléphone pour me dire qu’un bébé avait été abandonné à l’hôpital et qu’elle portait mon nom de famille. J’ai vite pris mes jambes à mon cou et j’ai filé en flèche à la recherche de cette fillette. Elle était mon seul espoir de retrouver Gabriel.

Hélas, quand je suis arrivé à l’hôpital, je savais déjà que je ne reverrais pas mon chéri. Un hélicoptère privé les avait déjà conduits à l’aéroport, son père et lui, pour qu’ils prennent ensuite un jet vers… je ne sais où.

Je me suis donc déplacé jusqu’à la pouponnière et c’est là que j’ai rencontré ma petite, pour la toute première fois. Elle était si belle…

Gabriel me caresse les cheveux après avoir posé sa tasse sur la petite table, près du divan.

— Je suis là, maintenant, me chuchote-t-il, avant de me faire des bisous sur la tête.

— Je sais, mon chou… C’est aussi grâce à toi si j’ai aujourd'hui une raison de me lever à chaque matin, même si je suis un aviateur qui a soif d’aventures. Tu m’as donné une fille que j’ai pu aimer et voir grandir… Et plus le temps passe, plus je la sens s’éloigner. C’est dur pour moi…

— Oh Flint…

— Bientôt, Estelle va complètement couper les ponts avec moi, si ça se trouve et je ne la reverrai plus jamais.

— Ne dit pas ça, chéri. Elle t’aime beaucoup.

— Je suis sûr que tous les parents pensent ainsi de toute manière. Nous avons tous peur que nos enfants nous quittent un jour ou l’autre.

— Elle ne t’abandonnera jamais…

Je tourne mon regard vers mon nounours humain, affligé par une profonde envie de pleurer davantage.

— Et nous dans tout ça… crois-tu qu’il est trop tard d’être de bons parents avec le prochain bébé qui s’en vient ? je demande.

— Mmm… fait mon fiancé. Ça te fait peur tant que ça de voir notre fille grandir ?

— J’ai toujours voulu avoir une grande famille…

— Je ne sais pas, dit-il en haussant les épaules. Je ne sais pas comment sera notre enfant quand il naîtra, mais je sais que je l’aimerai plus que tout l’or du monde. Plus rien ne me séparera de vous…

Je le regarde qui caresse son bedon alors qu’il s’adresse aussi à notre bébé. Il se retourne ensuite vers moi et me dit :

— Nous allons avoir un garçon.

— Un… un garçon ?! je couine presque. T’en es sûr ?

Gabriel hoche la tête et m’embrasse sur les lèvres avant de poursuivre :

— J’aimerais qu’on lui donne le prénom de mon grand-père, si ça ne te dérange pas. Grand-Papa Chris m’a toujours accepté tel quel. Il est mort bien avant mon père…

— Chris… ce sera un joli prénom pour notre bébé…

Gabriel hoche la tête. Il m’enlace et je lui rends son baiser.

Au bout d’un moment, alors que nous regardons la télé, je formule :

— Quand même, il est vrai que j’ai fait mon temps avec Estelle. Je ne sais pas si j’ai vraiment besoin de notre bébé pour combler ce vide ou si j’ai simplement besoin d’occuper mon esprit. J’ai souvent cette impression qu’elle est de plus en plus inaccessible, du coup, je m’ennuie d’elle.

— C’est normal, mon chou. Quasiment tous les parents passent par là lorsque leurs enfants quittent le cocon familial.

— Je pensais honnêtement que ces vacances allaient nous permettre de nous rapprocher un peu, mais elle est tellement occupée avec ses amis que je n’ai pas envie de l’interrompre. Je crois que je devrais être plus ferme avec elle et lui dire que j’ai envie de passer un peu plus de temps en sa compagnie. Mais je me demande bien où je pourrai l’emmener. Ce ne sont pas les endroits touristiques qui manquent sur cette île. En tout cas… T’en pense quoi, Gab… ?

Mon fiancé se gratte le menton en réfléchit un instant, dit :

— Pourquoi ne pas l’emmener regarder un film au ciné ? Ce soir, nous sommes libres et nous n’avons aucune activité de groupe. Il n’y a que demain où nous sommes invités chez Pectorius. Je m’occuperai de faire un truc avec Jake et les jumeaux.

— Mmm… Bonne idée. Elle aime les films d’humour et les romances. Je crois avoir vu le nouveau volet d’une série qu’elle aimait bien l’an dernier… Je ne me souviens plus du nom, mais je me souviens du visage des acteurs.

— C’est pas l’un de ces films de ces faux vampires qui tombent amoureux des humains, j’espère ? Les réalisateurs ne savent vraiment plus ce qu’ils font de nos jours ! Je ne me suis jamais autant ennuyé en voyant l’un de ces films avec ma nièce, alors que j’étais toujours à Kalos.

— Euh non. Elle trouve ce genre de truc ridicule.

— Bah, va lui proposer une sortie dans cas ?

J’opine du chef en caressant le gros bedon de mon futur mari. Qu’est-ce que je ferais sans lui et ses précieux conseils ? Je me demande même quand notre bébé commencera à donner des coups un peu plus forts dans son ventre. J’ai tellement hâte de rencontrer notre petit Chris…

Je prends quelques minutes avant de me décider à me lever, et je sors du chalet afin d’aller demander à ma fille si elle veut bien passer la soirée avec moi.

J’espère qu’elle me dira oui…

¤*¤*¤

Yuki, 16 ans
Ferait tout pour son père

Papa et Maman sont arrivés ce soir même et discutent avec Akira à l’extérieur de la chambre d’hôpital. Celui-ci s’est donné pour mission de servir d’intermédiaire puisque je n’ai toujours pas retrouvé la voix. Je n’ai plus aussi mal à la gorge, sauf que le docteur qui me voit depuis mon arrivée m’a prescrit du miel et des somnifères afin que je puisse passer à travers ce mal.

Cette matinée, j’ai eu droit de sortir de ma chambre afin d’aller me promener un peu à l’extérieur. Je suis toujours sous intraveineuses et je ne peux pratiquement rien avaler, mais je reprends graduellement l’envie de vivre et de me battre. J’ai déjà vu un thérapeute durant les derniers jours, deux fois même. Puisque je ne peux pas lui parler, je lui écris des mots et il me donne des conseils dans le but de m’aider à canaliser ma colère et de la transformer en quelque chose de positif. C’est pourquoi je me suis mise au dessin et j’ai même commencé à peinturer ce matin. C’est médiocre, mais je m’amuse. Akira croit qu’avec le temps, je pourrai m’améliorer.

Je vais commencer avec de la peinture à numéro, ai-je écrit sur un bout de papier. Et non, je ne pense pas que je serai un jour une experte…

Il a ri, puis m’a mis une main sur l’épaule alors que je continuais à faire un paysage indescriptible sur mon tableau. Ma mère sera probablement gênée de voir tout ça lorsqu’elle rentrera dans ma chambre, parce qu’elle vend occasionnellement des tableaux à des soirées de charité. Elle est reconnue dans ma ville natale comme une artiste professionnelle. Mon côté amateur va sûrement lui faire honte.

Au contraire… Lorsqu’elle entre dans ma chambre, sa première réaction quand elle voit mon tableau est de sourire. Je sais qu’il n’est pas terminé et que ça prend normalement du temps pour finir une œuvre, surtout avec de l’acrylique.

— Oh Arceus ! Cela me rappelle mon adolescence, dit-elle en souriant. Je faisais le même genre de paysage et mon tuteur trouvait que j’avais beaucoup de potentiel… Ah, c’était le bon temps…

— Bon… soir… Maman, je murmure.

— Oh ça va Shuriyuki, dit-elle. Ton ami nous a déjà expliqué que tu ne dois pas parler. Ne te force pas trop, mon trésor.

— Où… est… Papa ?

— Oh, tu le connais… Il est parti se chercher une bière pour discuter avec Akira. Il y a beaucoup de choses que les hommes doivent se dire entre eux que nous les femmes, on ne peut pas tout le temps comprendre.

C’est un peu sexiste tout ça, mais elle marque un point. Des fois, il y a des nuances que nous ne comprenons pas des hommes, comme parfois ils ne nous comprennent pas.

Maman porte une robe bleu marine avec un sac à main sur l’épaule. Ses cheveux noirs sont attachés en chignon et je perçois une mèche grise qui tombe le long de son côté gauche. Elle est un peu ridée par endroits, mais elle est toujours si jolie.

— Le mariage est annulé, dit-elle en se tournant vers moi, alors qu’elle s’installe près sur mon lit. Nous avons reçu l’appel anonyme d’un membre de la famille Morinoko qui nous a révélé ce qu’il t’a fait pendant des années, suite au fiasco de ton père. Shin a été arrêté vingt-quatre heures plus tard et passera en cours après s’être livré lui-même à la police.

— Qui… a… dénon… cé… Shin… ?

— Je l’ignore, mon cœur… Mais nous sommes en conflits avec leur famille depuis ton départ de Kalos. Les affaires se sont effritées entre ton père et le sien. Celui-ci accusait à notre famille de ne pas remplir notre part du marché, puis ton père s’est énervé et lui a balancé des tonnes d’insultes au visage… C’était horrible.

— Je… pari… que… c’est… sa… mère…

— Madame Morinoko serait évidemment la seule qui oserait dénoncer son fils. Elle est après tout un agent de la paix. Pauvre dame, il fallait que ça tombe sur elle. J’ai bien peur qu’elle devra quitter son emploi pour avoir gardé ce secret si longtemps. Mais ne t’inquiète pas, ma fille, Shin paiera pour ce qu’il t’a fait. Nous avons appris tout ça durant la dernière semaine… Tu aurais dû voir la tête de ton père lorsqu’il l’a appris…

— Mais… votre… divorce… je marmonne.

— Nous sommes effectivement au milieu d’un divorce, mais je t’assure que cela n’a rien à voir avec la controverse que tu aurais pu lire dans les gazettes. Ton père et moi nous sommes rendu compte que nous avions commis une erreur en nous mariant si jeunes et nous désirons tous les deux tenter notre chance avec d’autres gens, pendant qu’il en est encore temps.

— Ah… Je vois…

— Mais nous sommes toujours de bons amis, même si nous ne nous aimons plus. J’étais déjà au courant de ses actions dans les bars. Je l’autorisais à s’amuser alors qu’il me laissait inviter des hommes à la maison.

— Oh… misère…

— Mais tu sais quoi ? Je suis heureuse d’une chose… Ce mariage sans amour nous a permis de te concevoir et toi, on t’aimera toujours sans condition.

— Je… ne… voulais… pas… mettre… la honte… sur notre… famille…

— Allons ! Qu’est-ce qui te fait dire une chose pareille ! Personne ne pouvait prévoir que Shin serait si monstrueux ! Un pédophile, par-dessus le marché, et un toiletteur d’enfant… Il me donne envie de vomir. Crois-moi ma fille, je ne t’abandonnerai pas. Il paiera pour ce qu’il t’a fait. Ton père est du même avis que moi.

Elle soupire et replace la mèche folle qui pend devant son visage, derrière son oreille. Elle lève son regard vers le plafond de ma chambre et réfléchit un moment. Elle semble se remémorer quelques souvenirs.

— Tu sais, dit-elle. Je ne l’ai jamais dit à ton père, mais ton grand-père m’a harcelé sexuellement durant plusieurs années avant qu’il ne meure. C’était toujours une pincée de mes fesses par-ci ou l’une de ses mains baladeuses sur ma poitrine par là. J’étais furieuse et je ne pouvais rien faire, au péril de semer une controverse dans notre famille. J’étais très attachée à sa mère, ses frères et sa sœur. Mais tout le monde avait une si belle opinion de ton grand-père que je ne voulais pas causer d’ennuis à qui que ce soit. Finalement, je me suis tue jusqu’à sa mort, puis j’ai tout dévoilé à ta grand-mère. Celle-ci était déjà au courant… Car il a déjà agressé plusieurs femmes avant moi. Donc, je comprends un peu ce que tu vis. Toute cette honte…

— Maman… est-ce… la… véri… té ? je demande en penchant ma tête vers la gauche, essayant de voir son visage.

Elle se tourne vers moi et sourit malgré les larmes qui coulent le long de ses joues. Elle hoche la tête.

— Il faisait aussi la même chose à certaines de tes tantes et je l’ai apprise que quelques années après sa mort, dit-elle. Bien sûr, on pourrait dire que tous les hommes sont des monstres, ce serait tellement facile… Mais ce n’est pas le cas. On ne peut pas prédire qui sont les grosses brutes…

— Papi… vous… faisait… ça ?

— Eh oui…

Elle me serre alors une main et l’embrasse en silence.

— Ce que tu as vécu, je l’ai vécue. Mais je n’ai jamais eu la volonté de me passer la corde au cou. J’ai souvent pensé à le faire moi aussi, mais je ne voulais pas te briser le cœur, ni t’abandonner, dit-elle. C’est pourquoi cette thérapie, tu ne seras pas la seule à le faire. Je serais avec toi jusqu’à la fin. C’est une promesse.

Je suis choquée pour être franche avec vous…

Maman est si douce avec moi que je ne peux pas lui refuser cette demande. Je ne m’étais vraiment pas attendue à ce qu’elle m’annonce tout ça. Malgré tout, j’étais trop jeune pour me souvenir de mon grand-père lorsqu’il est décédé. Tout ce dont je me souviens de lui, c’est qu’il m’offrait des bonbons et… me touchait souvent un peu trop près de la cuisse… Oh merde… Au moins il n’est pas allé plus loin avec moi. J’aurais effectivement réussi à me tuer si c’était le cas.

Je suis dégoûtée rien que d’y penser.

— Ne laissons pas nos abuseurs nous intimider plus longtemps, dit-elle. T’as compris ma belle ? À partir de maintenant, nous arrêtons de fuir et nous affronterons la vérité en pleine face. Peu importe les conséquences, nous serons libérées de cette cage qui nous entoure lorsqu’on en aura fini avec ces horribles secrets !

Je hoche la tête en souriant. Je suis contente désormais que je sais que je ne serai pas seule vers la voie de la guérison. Je réalise aussi quelque chose d’important : demain, c’est la veille de Noël et je n’ai toujours rien trouvé à offrir à Akira. Oh merde alors ! Que vais-je faire ? Je prends mon bloc-note et j’écris un mot à ma mère. Elle le lit rapidement, puis opine du chef.

Quelques instants plus tard, elle s’éloigne vers la porte de sortie et revient avec un fauteuil roulant dans lequel je m’installe. Nous allons nous rendre à la boutique des souvenirs qui se trouve au rez-de-chaussée, car j’ai l’intention de dénicher un petit quelque chose à mon compagnon de voyage.

Maman semble amusée de voir que je sois tant attaché à Akira. Elle me taquine sans arrêt et me pose mille et unes questions sur lui.

— Alors, finit-elle par me demander. Est-ce que vous êtes en couple ?

Cette question me fait rougir tellement dans mon fauteuil que je finis par me couvrir le visage de honte. Elle comprend aussitôt que j’ai des sentiments pour lui, mais que ce n’est pas encore officiel entre lui et moi.

Je crois que je vais passer un drôle de quart d’heure avec elle…

Je n’ose pas non plus lui parler des nombreux gardes du corps que Papa n’a pas arrêté d’envoyer à mes trousses pendant tout ce temps… Je suis sûre qu’elle est déjà au courant, mais qu’elle n’a pas envie de me mettre plus que ça dans l’embarras.

Priez pour mon âme.

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