51. La veillée d'Estelle

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Estelle, 16 ans
Romantiquement confuse

Deux heures du matin… Je n’arrive pas à dormir.

À mes pieds, Braségali est assis en position du lotus et dort paisiblement.

Nous sommes seuls dans ma chambre et je fixe le plafond. Je suis toujours sous le choc après ce qui s’est passé dans la piscine.

J’ai brossé quelques-uns de mes Pokémon avant de m’allonger sur mon lit afin de me changer les idées, puis j’ai fini par fermer les lumières en essayant de compter les Wattouat dans ma tête.

Papa est venu me parler un peu plus tôt. Même s’il était encore vexé pour l’incident de la piscine, il m’a gentiment demandé si tout allait bien ; parce qu’il a vu Kylie passer en coup de vent devant le salon, un peu plus tôt, et elle n’était pas de bonne humeur. J’ai fait semblant que tout allait bien, puis il m’a embrassé sur le front avant d’aller rejoindre Gabriel dans sa chambre. Je ne suis pas vraiment une bonne menteuse, mais pour ce soir, je n’ai pas envie de parler de mes états d’âmes avec lui.

J’ignore si Kylie est partie se coucher, mais j’ai besoin de savoir comment elle va. C’est pourquoi je n’arrive pas à dormir.

J’enfile donc mes pantoufles, puis je sors de ma chambre en fermant la porte délicatement derrière moi. L’aile ouest n’est pas si loin, en fait. La chambre de Kylie se trouve à plusieurs mètres de la mienne, celle de Scottie se situe entre la mienne et la sienne. La bibliothèque de mon père se situe devant l’ouverture qui nous permet de voir le rez-de-chaussée, avec les deux escaliers qui descendent à gauche et à droite.

La pièce que je viens de quitter se trouve évidemment dans l’aile est de l’étage. En passant devant la porte du jumeau, j’entends celui-ci lâcher un ronflement. Au moins un d’entre nous qui a été capable de fermer l’œil, cette nuit. Je m’arrête enfin devant la porte de Kylie. Il y a de la lumière dans la salle. Elle ne dort pas. Je cogne.

— Mouais ? j’entends de l’autre côté.

— C’est moi, je dis en ouvrant la porte.

— Ah… Qu’est-ce que tu veux ?

— Je… Je voulais te présenter mes excuses.

— Pourquoi ? Tu n’as rien fait de mal.

— Enfin… Je ne sais pas comment te dire ça, mais tu vaux beaucoup à mes yeux et je n’ai pas envie de perdre ton amitié simplement parce que je suis confuse avec mes hormones et tout ça. Je comprendrai que tu veuilles partir…

— Tu n’as pas à t’en faire. J’ai compris que tu préfères Jake de toute façon. Je ne vais pas me mettre dans votre chemin.

— En es-tu certaine ? Est-ce vraiment ce que tu veux ? Je risque de regretter mon choix…

Jake ne m’aimera jamais comme je l’aime. Je ne peux pas rester là, les bras croisés, à attendre qu’il m’aime un jour. Il me l’a dit plusieurs fois. Et encore, mon cœur fait un bond quand je pense à lui. Ma rupture avec lui me fait mal, mais je dois aller de l’avant. Il m’a bel et bien dit que je trouverai mieux. Il a raison… même s’il me manque. Tout ça me donne mal à la tête.

Kylie hausse les épaules, puis m’invite à venir s’asseoir à côté d’elle sur le lit. Je ferme la porte derrière moi, et vais m’installer sur son drap, en pyjama et avec des pantoufles de Grodoudou.

Kylie ne porte qu’un tee-shirt noir avec un pantalon de nuit.

— D’après moi, t’es bisexuelle ou pansexuelle, dit Kylie. C’est pas vraiment la fin du monde. Ça arrive que des gens qui se croient hétéros et réalisent après un bail qu’ils sont attirés par un certain pourcentage des gens du même sexe. Si c’est le cas, ce n’est pas un drame hein ?

Je hoche la tête en l’écoutant. Elle a raison. Ce n’est pas un drame. Mais je n’ai pas envie de lui briser le cœur parce que je ressens déjà quelque chose pour Jake… un mec qui ne m’aime pas. Il faut que ça me rentre dans le crâne. Il faut que je l’oublie.

— Ça se peut aussi que je sois simplement stupide et que Jake me manque… je dis en haussant les épaules. Mais c’est vrai que je te trouve très belle et qu’il y a quelque chose en toi qui me plaît beaucoup… Le truc, c’est qu’on partage déjà une très belle amitié toi et moi et je n’ai pas envie qu’on se casse la tête avec tout ça. On risque de se faire du mal et de ne plus se parler si jamais on finit par rompre. Tu ne penses pas ?

Elle hausse les épaules, puis répond tout simplement :

— On ne saura pas tant qu’on n’aura pas essayé… Mais tu marques un point. Nous sommes bonnes copines… Si ça va trop loin, on risque d’avoir du mal à se séparer toi et moi et ce serait bizarre de rester amis après ça.

— Tu proposes quoi dans ce cas ? Qu’on prétend que rien ne se soit passé et qu’on continue notre voyage pour ne plus en reparler ?

— C’est pas un peu dramatique, ça ?

— Bah… Tu as l’air de mieux le prendre que moi…

— Oh écoute, je suis une grande fille. J’ai l’esprit de Vicky qui veille sur moi. Je finirais bien par trouver quelqu’un d’autre qui voudra bien d’une folle dans mon genre.

Elle se donne un léger coup sur le front avec son poing, puis me tire vers elle du même bras. Ensuite, elle m’ébouriffe les cheveux comme si je suis sa sœur.

— En plus, dit-elle. On a une sacrée relation platonique depuis des mois ! Donc ce n’est pas comme si je perdais une petite amie, mais comme si je gagnais un nouveau membre dans ma famille.

Je commence à pleurer et souris. Je serre Kylie contre moi.

— Tu as raison Ky’, on est aussi comme des sœurs. Des sœurs bizarroïdes avec une drôle d’attirance, mais certes, on a une belle… relation.

— Y’a aussi le fait que tu ressembles trop à Vicky qui me perturbe… On dirait que vous êtes jumelles, mais en même temps, elle était plus âgée que toi. À croire que vous avez un vrai lien de parenté…

— C’est vraiment dommage qu’elle ne soit plus des nôtres. Je suis certaine que vous auriez faites d’excellentes épouses, l’une pour l’autre.

Kylie ricane et m’embrasse sur le front.

— Je t’adore, petite puce, dit-elle.

— Moi aussi, grande folle.

Elle s’esclaffe, alors que nous attendons des bruits contre notre mur. La servante qui dort à côté de cette chambre va nous gronder dans pas long, je le sens. Je dis donc au revoir à Kylie et lui rend son baiser sur le front avant de retourner dans le couloir.

Lorsque je suis sur le point de retourner dans ma chambre, je vois Gabriel descendre au rez-de-chaussée. Je décide de le suivre tranquillement alors qu’il se rend dans la cuisine. Je lui dis de m’attendre. Il sursaute, car il ne m’a pas vu sortir de la chambre de Kylie, ni entendu descendre derrière lui. Il place une main sur son cœur. Un instant plus tard, nous entrons dans la pièce en question, où il se sert un verre d’eau. J’en profite pour faire la même chose. Il est en camisole blanche et porte un short aux motifs de Chelours autour de ses épaisses cuisses.

— Ça va ? je demande alors que nous nous sommes assis à table. T’as l’air tout perdu.

Il expire, puis se passe une main dans la barbe.

— Je n’arrête pas à repenser au moment où ton amie a crié de peur pendant que nous étions au sous-sol, dit-il. Suis-je si laid que ça ?

— Mais non, tu t’imagines des choses…

— Bah… Je suis énorme…

— Et alors ? Le seul avis qui compte vraiment, c’est le tien… et un peu celui de Papa, quand on y pense.

Il rougit un peu, puis perd son regard dans son verre d’eau.

— Mais toi… Est-ce que ça t’a choquée de me voir comme ça ? me demande-t-il.

— Ce n’est qu’un corps, Gabriel. J’en vois des milliers dans les défilés de mode qui sont parfois pires que ça. Je t’assure, tu n’es pas laid.

— Mais il est ingrat et prend trop de place, grogne-t-il. J’ai beau me répéter que plusieurs hommes gays, comme ton père, aiment les gros comme moi… Et je n’arrête pas de me demander si mon tour de taille ne fait pas fuir quelques clients…

— Ne dit pas de bêtises. Tu es l’homme le plus doux et le plus chaleureux que je connaisse après Papa et ça fait peu de temps que t’es dans ma vie. Lui t’a connu bien avant, maintenant que j’y pense…

Je me lève de mon banc après avoir terminé mon verre d’eau et m’en vais le poser dans la machine à lessive. Je me tourne vers lui pour aller l’embrasser sur la joue. Il glousse, puis me serre contre lui. Il pique un peu le front avec sa barbe et se met à rire.

— Si tu savais comme j’ai attendu ce moment, dit-il, en souriant.

Il me parle de façon si nostalgique que je me demande bien pourquoi. Toutes ces questions se bousculent dans ma tête. J’essaie de faire le lien entre lui, mon père et ma mère.

— Mes parents et toi… vous étiez proches, n’est-ce pas ?

Il hoche la tête. Il ne veut pas en dire plus, je comprends. Leur parler de tout ça rouvre de vieilles blessures.

— Pourquoi tu me parles comme ça ? je demande. Je ressens beaucoup de peine dans ta voix, ces derniers temps…

— C’est parce qu’il y a des choses que j’aimerais te dire… J’ai peur que tout ça te fasse beaucoup de peine… C’est pour ça que ton père et moi, nous avons décidé de ne rien dire…

— Il s’agit de Maman… pas vraie ? Elle a fait quelque chose de mal ?

Il secoue la tête et prend mes petites mains dans les siennes avant de me regarder tendrement.

— Es-tu certaine que c’est ce que tu veux entendre, ma chérie ? me demande-t-il. Parce que ce que je vais te révéler pourrait te choquer.

J’ai encaissé la mort d’Arbok et plusieurs agressions physiques, cette année. Je peux bien accepter d’apprendre quelque chose sur le passé de ma famille. Je hoche la tête deux fois.

— S’il te plaît, Gabriel… Je veux savoir d’où je viens.

Il soupire, ferme les yeux un moment avant de les rouvrir. Il décide de tout me dire.

— Ta mère t’aime plus que tout au monde, Estelle, me déclare celui-ci. Elle n’est pas morte. Elle ne l’a jamais été. Elle n’avait juste pas le droit de te voir, ni de te parler. Parce que sa famille l’en a empêché après qu’elle a accouché. Elle n’avait que seize ans. Son père était strict et cruel. Ils ont déménagé après l’accouchement et Flint s’est ramassé avec toi sur les bras…

— M… ma mère est vivante… ?

— Oui… mais ce n’est la femme que ton père t’a montrée sur les photos. Ta mère n’a jamais été chanteuse. Ce ne sont que des images qu’on t’a montrées pour te cacher la vérité. En vérité… ta mère se tient tout juste… devant toi…

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je suis… sous le choc. Je me dégage rapidement de ses mains et recule d’un pas.

— Mais non, voyons ! je déclare, confuse. Tu es un homme !

— Un homme… trans, formule Gabriel. Je suis… ton autre père. Celui qui t’a porté… et celui qui t’a mise au monde, à seize ans.

Je tremble… Non. C’est impossible… Il me ment. Il ne peut pas être mon deuxième père. Pourquoi Papa m’aurait caché un tel détail ?! Il recouvre son visage et pleure à chaudes larmes. Non… il ne ment pas. Gabriel ne ment pas. Pourquoi mentirait-il ?

— Alors… c’est pour toi qu’il a versé toutes ces larmes, je dis en comprenant enfin les nombreuses crises de mon père.

— Oui… Parce que nous nous étions perdus de vue. Flint ne savait pas ce que j’étais devenu au fil des années. Je n’étais pas sur les réseaux sociaux. Nous formions un couple quand nous étions adolescents. Il m’a tant manqué. Je me voyais vivre à ses côtés…

Il touche alors son ventre et soupir.

— Mais quand j’ai appris que j’étais enceint de toi… mon père ne l’a pas accepté. J’étais trop jeune pour avoir un enfant. Je voulais te garder, donc il m’a séquestré à l’autre bout du monde pour nous punir. Quand il est venu le temps pour moi d’accoucher, il m’a fait envoyer à Céladopole pour cette raison, puis m’a enlevé à ton père. Je n’ai jamais eu la chance de le contacter par la suite. Je n’avais pas le droit. Mon père avait menacé de poursuivre ta famille si jamais elle tentait de reprendre contact avec moi… Il a brisé notre famille…

Je suis sans voix. Je ne sais pas trop comment répondre à cette histoire.

— Mon père n’a jamais accepté le fait que sa fille était en fait un garçon trans en fait. Il m’a toujours morinommé et mégenré d’aussi loin que je me souvienne… Puis, le jour où il est mort… ce fut pour moi une délivrance. Tu sais… j’ai vraiment voulu te parler de toute cette histoire, à partir du moment où j’ai appris à quel point tu es formidable avec la petite fille Katia… Flint m’en a beaucoup parlé. Je me suis dit que tu comprendrais peut-être pourquoi… ton père t’a menti…

— Mais… tu es vivant… Pourquoi ne m’a-t-il rien dit ?

— Il ne savait pas comment, Estelle. Moi non plus, d’ailleurs. Toute notre vie a été contrôlée par nos avocats depuis notre adolescence. C’est uniquement par le plus grand des miracles que ton père m’a retrouvé à travers l’adoption de ton Braségali. Quand nous nous sommes enfin retrouvés… tu n’as pas idée à quel point j’ai voulu prendre de tes nouvelles… J’ai toujours… J’ai toujours voulu de toi…

Je suis perdue dans mes pensées. Je décide de m’asseoir. Il avait raison de croire que cela me choquerait. Je suis dans tous mes états. Je ne sais pas si je dois être fâchée ou soulagée d’enfin apprendre la nouvelle. J’ai envie de pleurer, mais aussi de rire, tellement je trouve cette situation absurde.

— Du coup, je t’appelle comment ? je soupire. Maman ?

— Non. Ce mot ne me convient pas. Je t’ai donné naissance, mais par la faute de mon père, je n’ai pas pu t’élever. Ton père, c’est Flint. Je n’ai pas encore mérité ce titre… même si j’aimerais vraiment l’être.

— De toute façon, vous allez vous marier. Il va bien falloir que je m’habitue à ta présence, d’une manière ou d’une autre.

— Donc… tu ne m’en veux pas ?

Je secoue la tête avant de lui répondre :

— Pour quelle raison ? Vous étiez jeunes et n’aviez aucun contrôle sur vos vies. Et ton père, c’était qui pour avoir autant d’influence sur les Markios ? Les parents de Papa auraient très bien l’aplatir en justice. Ils en avaient les moyens, que je sache…

— Randell Tabris, l’ancien vice-président de Kanto.

Mes yeux s’écarquillent un moment. J’ai déjà lu ce nom quelque part. Je me disais bien que le nom de Gabriel m’était familier. Il s’agissait de l’homme le plus riche de tout le continent. Bien plus riche que tous les Markios.

— À la mort de mon père, j’ai hérité de sa fortune, mais j’ai tout donné à des œuvres de charité soutenant les minorités comme ton père et moi. Je n’ai gardé que quelques milliers pour m’ouvrir des boutiques de gâteaux ici et là dans la région de Kalos, où j’ai vécu pour une dizaine d’années. Avec le temps, j’ai fini par oublier cette histoire avec ton père, j’ai refait ma vie, mais j’avais toujours ce regret de ne vous avoir jamais contacté après tout ce qui s’est passé… J’étais rongé par la honte…

— Oui, mais tu aurais pu appeler Papa, non ? Notre manoir a un numéro… Il est joignable pour tout le monde.

— J’ai essayé… il y a quelques années… Vous l’avez changé.

Je me tape le front. Il dit vrai. On a dû le modifier quelques fois parce que Papa se faisait souvent harceler par les presses à scandales et des fans étranges, du temps où il était encore le Champion de Céladopole.

— Mais quelle situation horrible ! je m’exprime. Pas étonnant que vous soyez si soudés, Papa et toi. Je comprends mieux votre attirance, votre désir de passer beaucoup de temps ensemble… et moi qui pensais que vous agissiez comme des ados depuis des semaines…

Gabriel essuie ses larmes et hoche la tête.

— Mon père a volé notre jeunesse et nos rêves. Mais il n’a jamais réussi à détruire l’amour que j’ai toujours ressenti pour Flint et le désir de te retrouver. Je suis sincère Estelle… je voulais vous retrouver. Je n’avais pas le courage de le faire tout seul. Je ne sais pas comment c’est arrivé, ni pourquoi ; mais Arceus a un jour répondu à mes prières quand le Professeur Seko m’a contacté pour me dire qu’un certain Flint Markios voulait adopter le bébé Poussifeu de Loki et Carmen…

— Quelle histoire, quand même…

Il hoche la tête.

Je suis furieuse, c’est vrai… mais pas envers lui. Gabriel a vécu une vie loin de nous, de son mieux. Je ne peux pas lui en vouloir. Il avait la loi qui l’empêchait de contacter mon père, quand Randell Tabris était toujours vivant. Et après, les choses ont empiré pour lui. C’est mon grand-père le responsable, dans le fond. C’est lui qui m’a privé de ma mère… non… de l’homme qui m’a mis au monde.

— Tu veux dire que pendant tout ce temps, j’aurai pu grandir avec deux Papas au lieu d’un ? je continue.

Encore une fois, il hoche la tête. Il est à court de mots. Il a sûrement crû que j’allais vouloir prendre la fuite ou bien le rayer de ma vie. Je ne suis pas comme ça. Je ne ressens pas ce genre de sentiment.

— Papa… ? je répète en le regardant droit dans les yeux.

— Oui… ma puce ? me dit-il.

— Tu promets de rester, hein ?

Gabriel opine du chef. Je m’approche de lui et l’enlace. Sans m’en rendre compte, j’ai commencé à pleurer. Son récit m’a touché. Comment peut-on maltraiter un homme tel que lui ? Son père ne l’a jamais accepté et a fait de sa vie un enfer. Et cet homme, celui qui se tient devant moi, je suis sa chair et son sang. Je suis sa fille !

— Je veux être ton Papa… dit-il me passant un bras par-dessus mon épaule. Je ne veux plus jamais vous perdre…

— Dans ce cas, t’as intérêt à bien prendre soin de Papa Flint, je dis en pointant un doigt dans son bedon. Et va falloir que tu fasses attention à ta ligne et ton cœur, parce que je ne pourrais pas te pardonner si on te perd d’une crise cardiaque. Tu m’entends ?

— Ooooh méchante, boude celui-ci avant de rire.

— Je te taquine, va.

Je lui fais une caresse dans les cheveux. Il sent la cannelle et la vanille. J’aime ces odeurs. Sous le coup de l’émotion, il se lève et me soulève dans les airs, dans ses bras. Il me serre contre lui et pleure de joie.

— Ouf ! Tu es plus fort que je ne le pensais… je remarque étourdie.

— Pas mal, hein ? On peut remercier mes traitements à la testostérone.

— Ah, parce que t’en vantes en plus ?

Il s’esclaffe avant de me reposer par terre. Il m’embrasse sur le front.

— Ouais, mais bon, bougonne-t-il. Je fais aussi de la muscu’ pour garder la forme. Ton père aime ça…

Il me fait un clin d’œil et glousse.

— J’espère qu’on aura davantage d’occasions pour discuter, rien que nous deux, je déclare. Je t’apprécie beaucoup, tu sais ? Ça ne devait pas être évident pour toi de tout garder pour toi…

Il secoue la tête avant de me répondre :

— Évidemment. Je ne dis à personne que je suis trans. Sauf les spécialistes de la santé. J’ai passé toute ma vie à suivre les traitements et à fréquenter les psychologues pour contrôler ma fichue dysphorie du genre. Après de nombreuses chirurgies, je suis finalement bien dans ma peau.

— Et mon autre Papa… il en pense quoi de tout ça ?

— Il sortait avec moi au début de ma transition, tu sais ? Il m’a rencontré bien avant que je commence à prendre les hormones, dès l’âge adulte.

Je rougis et hoche la tête.

— Oui, c’est vrai. Pardon.

— Même à l’époque, il me traitait comme un garçon. Parce que je ne voulais pas être reconnu autrement. C’est lui qui m’a donné mon prénom. C’est pour ça que j’ai choisi de le changer officiellement à Gabriel quand je me suis émancipé de mon père.

— Ah… ah ouais ?! Eh bah ça alors…

Je retourne chercher ma chaise, la tire vers lui et m’assoit près de lui. Nous discutons ensuite pendant quelques minutes.

Je me remets tranquillement de mes émotions et lui aussi. Je sens que Papa ne sera pas content d’apprendre qu’on a eu cette discussion sans lui. Je veux dire, Papa Flint. Ouah, je sens que ça va vite devenir compliqué pour les différencier, maintenant que j’ai accepté Gabriel comme deuxième figure paternelle. Mais quand même… ça explique beaucoup de choses, tout ça. Je comprends enfin pourquoi mon père… blond se comportait bizarrement durant toutes ces années.

Je comprends aussi pourquoi je me sentais si bien en présence de Gabriel. J’ai des papillons dans le ventre quand je remarque que certains traits de son visage ressemblent un peu aux miens. J’ai ses lèvres et la forme de ses yeux, maintenant que j’y pense. Pour le reste, j’ai hérité du côté des Markios.

— Que penses-tu de Daddy ? me suggère Gabriel.

Il a choisi un petit nom pour lui, comme ça, au hasard.

— Ah ouais ! Ça fonctionne. Je n’appelle jamais Papa comme ça.

J’ai l’impression d’aller un peu vite en affaires… Mais le grand homme qui se tient devant moi veut tellement me plaire que je n’ai pas envie de le décevoir. Et dire que plusieurs semaines plus tôt, j’apprenais que Katia de Longpré était, elle aussi, comme lui. Mon entourage est vraiment particulier…

Est-ce le fruit du hasard ?

— Estelle… je suis heureux d’avoir fait ta rencontre, me dit Gabriel. Tu es tout ce dont j’ai espéré… et même plus.

Il a le regard larmoyant. Ses lèvres tremblent. Merde… je pleure encore. Il me passe une main sur le dos et m’enlace.

— Ton père est un brave jeune homme, ajoute-t-il. Je savais qu’il ne t’abandonnerait pas. Il ne m’a jamais laissé tomber, même si j’aurai tout fais pour qu’on soit ensemble, tous les trois…

— C’était pas un peu déstabilisant pour toi d’être enceint ?

Il secoue la tête, alors que j’essuie la larme qui coule en bas de ma joue. Il me sourit et me répond :

— Au départ, si. Mais ton père a fini par me convaincre que ce corps m’appartient et que je suis libre d’en faire ce que je veux. Ainsi, j'ai décidé d’accepter ce côté de ma personne. Pour le reste… bah, tu vois ce qui m’est arrivé au fil des années. Je n’ai plus rien de féminin.

Il dit vrai. Son corps est recouvert de poils, ses traits faciaux ressemblent beaucoup plus à ceux d’un homme et sa voix est virile. Se pique-t-il encore à la testostérone ? Je n’ai pas remarqué de cicatrices nulle part. Celles de sa poitrine doivent être bien cachées, si ça se trouve. Je n’ose pas imaginer toute la souffrance qu’il a dû endurer quand il était jeune et que son corps devenait celui d’une jeune femme…

— On voulait avoir plusieurs enfants, en fait… dit Gabriel. Et c’est encore le cas. Ça, c’est une autre chose qu’on n’a pas encore eu le temps de te dévoiler…

Il se frotte le ventre et baisse son regard.

— T… tu attends un bébé… ? je couine.

Il me sourit et m’affiche un regard attendrissant.

— J’en suis à mon deuxième mois de grossesse.

J’ai la bouche grande ouverte. Je ne sais pas comment prendre cette nouvelle. Dans un élan, je tombe en bas de ma chaise.

Je me relève alors, toute déboussolée. Je secoue la tête.

— Je vais être grande sœur !? je demande.

— Hé hé hé… oui…

Je soupire et je me prends le front, avant de lever mon regard vers le plafond. Flint Markios, mais qu’est-ce qui t’as pris de me cacher tout ça pendant plus de deux mois !? En même temps, ça ne m’étonne pas de lui. Il a toujours été du genre à me faire des surprises.

Que je le veuille ou non, désormais Gabriel fera partie de ma vie. Et je vais bientôt avoir un petit frère ou une petite sœur… Mais qu'est-ce que cette famille !? Je cligne des yeux et je respire un bon coup. Tout va bien. Tout ira bien. Il n’y a pas le feu.

— Estelle… ? me demande le nounours près de moi, avec une expression triste. Est-ce que tu m’en veux ?

— Mais non… je dis. J’ai surtout envie d’en coller une à Papa Flint ! Quel cachottier celui-là ! Et puis mince… ça ne m’étonne vraiment pas de lui.

Gabriel est soulagé de cette réponse.

Je commence à avoir sommeil. Nous nous sommes assez parlés. Je lui souhaite bonne nuit avant de sortir de la cuisine. Quant à lui, il décide d’aller se coucher avec mon père… mon autre père.

En montant les escaliers pour me rendre au premier étage, je vois ma porte de chambre s’ouvrir et Braségali sortir en vitesse. Celui-ci vient de se réveiller et a remarqué mon absence. Il est inquiet et scrute partout pour voir si je ne suis pas dans le couloir. Il finit par me voir dans les escaliers, puis claque son bec en me fixant du regard. Il fait volte-face et retourne dans ma chambre en levant son pif en l’air. Son tempérament me rappelle celui de Yuki, que je n’ai pas revue depuis qu’elle a décidé de confronter sa famille.

J’entre dans ma chambre et ferme la porte derrière nous. Il retourne s’asseoir devant mon lit. Je décide de m’installer près de lui, pour ensuite lui mettre une main sur l’épaule. La chaleur de son corps me fait beaucoup de bien.

— Dommage que tu ne puisses pas parler, toi, je dis. Des fois, j’aimerais bien savoir ce qui trotte dans ton cerveau de gros poulet.

— Gali, dit mon Pokémon qui pousse un long soupire de ses narines.

— Est-ce que t’as aimé ta promenade nocturne ? je lui demande.

— Gali, gali.

Il hoche la tête, puis se tourne vers moi pour me lécher le bout du nez avec sa langue. Je ris. Son plumage et sa chaleur naturelle lui permettent de rester dehors plus longtemps que nous. Un peu plus tôt, dans la soirée, il est venu attendre à la porte de ma véranda jusqu’à ce que je l’ouvre pour lui. Il n’avait pas envie de rentrer par la porte principale. Drôle d’oiseau. Malgré cela, il est plutôt calme comme Pokémon… du moment que je ne m’éloigne pas trop.

Je sors mon Caninos de sa Poké Ball pour lui caresser la tête, alors qu’il se repose en boule près de moi. Ça fait un bail que je l’ai capturé, mais il commence à se montrer utile lors de mes combats. Je sais qu’il n’y a pas vraiment davantage d’avoir deux Pokémon Feu dans mon équipe, mais je le trouve très mignon. Il s’entend bien avec Braségali et a remporté quelques combats durant que je voyageais seule.

— Salut p’tite touffe, je dis en jouant avec son épaisse fourrure sur le crâne.

Il bâille, puis se couche auprès de moi. Pauvre petit. Je n’arrive pas à m’endormir. Je décide donc d’aller lire un peu sur mon fauteuil près de ma petite bibliothèque. Je ne sais plus quel livre j’ai choisi, parce que je finis par m’endormir avec ma lampe ouverte et ma tête appuyée sur le dossier de ma chaise en cuir.

À mon réveil, il fait encore sombre à l’extérieur, cependant le soleil est en train de se lever. Il est sept heures du matin sur ma montre. Caninos taquine Braségali en secouant son popotin. Il lance des petits jappements dans sa direction et veut jouer.

— Allons, cesse de japper, je marmonne. Tu vas réveiller tout le monde.

Le petit chien se retourne, puis penche la tête d’un côté en remuant sa queue. Je décide d’aller préparer mon petit déjeuner en cuisines. Notre cheffe est probablement en train de dormir en ce moment, mais ce n’est pas grave. J’aime cuisiner pour moi-même. Lorsque j’ouvre ma porte de chambre, je croise Papa qui sortait de la sienne.

— Ah, te voilà toi… dit-il en boudant. Tu sais que Gabriel est traumatisé à cause de ton amie ? T’aurais pu m’avertir que vous alliez vous baigner…

— Et toi, tu aurais pu me dire qu’il est ma mère.

Il sursaute et regarde de tous les côtés avant de me fixer droit dans les yeux. Je l’ai pris au dépourvu.

— J’ai parlé à Gabriel cette nuit. Il m’a tout dit.

— Merde ! Je voulais t’en parler avec lui…

— Oui, mais quand !?

— Je ne sais pas…

Je roule les yeux avant de soupirer.

— Je n’en reviens toujours pas que tes amis nous aient vus tous nus, commente-t-il.

— Et alors ? je dis. Kylie est lesbienne et Scottie est euh… Scottie.

— Je me fous un peu qu’ils soient homos, mais quand même ! Nous ne nous attendions pas à nous faire reluquer ainsi lorsqu'on voulait passer un moment intime, ensemble…

— La prochaine fois, je te le dirais, c’est tout.

— Et c’est quoi ces manières !? Elle n’est même pas chez elle et se déshabille complètement… dans ma piscine ?! Si c’était ma fille, je…

Il bout de rage, puis descend au rez-de-chaussé, tout en ronchonnant. Je me demande comment il réagira lorsque je lui dirai que je suis aussi au courant pour la grossesse de son fiancé. Je hausse les épaules pour aller réveiller Scottie dans sa chambre, par la suite Kylie. Tous deux sont encore fatigués, mais se réveillent parce qu’aujourd’hui, nous avons prévus de nous rendre à l’arène d’Érika.

Kylie doit collecter les badges qui lui manquent. Après, nous nous rendrons à Cramois’Île pour le sixième badge. Finalement, il ne nous restera plus qu’à affronter Morgane et Régis, respectivement.

J’ignore si nous aurons assez de temps pour nous rendre à Parmanie, mais je crois que nous ne partirons pas pour Alola avant deux autres semaines. Kylie sort de sa chambre, les yeux mi-clos et les cheveux emmêlés, alors que son frère tient à peine debout.

— Je vous préviens, mon père est grincheux, je leur explique. Prenons nos douches et évitons de le croiser, je vous propose de le laisser s’adoucir pendant que nous allons rendre visite à Érika.

Plusieurs domestiques dorment encore, mais nous pouvons nous servir des douches du sous-sol. Nous avons assez de serviettes dans les vestiaires pour nous permettre de nous essuyer. Je crois que je vais emmener les jumeaux manger aux Centre Pokémon. Ça sera mieux ainsi, car ça permettra à mon père de décompresser et nous n’aurons pas à l’affronter.

— Pour une première impression, c’est gâché, dit Scottie. Kylie, on devrait aller présenter nos excuses, pour le bien d’Estelle.

— Mais pourquoi ? On n’a rien fait de mal… grogne-t-elle en bâillant.

— Kylie !

— Arf ! D’accord. J’avoue que j’ai été dure envers son petit ami.

— Bon… Maintenant, allons-nous laver. Après, on verra.

— Pas envie… gémit celle-ci alors qu’il la tire par la main.

— Gros bébé gâté…

En passant devant ma porte de chambre, je rappelle Caninos dans sa Poké Ball et laisse Braségali sortir par ma véranda afin d’aller à la chasse. J’ai déverrouillé la porte rien que pour lui, puisqu’il préfère sortir prendre de l’air que de rester enfermé au manoir. Il n’aura qu’à revenir par là, à notre retour au manoir.

Je prends mes vêtements de rechange et vais rejoindre les jumeaux au sous-sol. Ils savaient déjà que nous viendrions ici au réveil, puisque je leur avais fait cette suggestion avant de leur montrer la piscine pour la première fois.

Le plancher est froid, alors que je marche pieds-nu sur les tuiles en céramique qui mènent à notre salle de gym. J’ai cru voir Papa qui boudait dans le salon, tandis qu'il se réchauffait près du feu de la cheminée.

Une fois dans les vestiaires pour dames, je décide de ne pas m’approcher des douches avant que Kylie ait terminé. Je sors ma Pikachu de sa Poké Ball pour la brosser, alors que je suis installée près du lavabo.

Kylie chantonne pendant qu’elle se lave tandis que je m’occupe de mon Pokémon. Ma souris est en parfaite santé et a bien dormi cette nuit. Je crois que je vais la laisser sortir un peu, lorsque nous serons à l’arène. Je suis toute fière d’elle, car elle m’a aidée à gagner contre Koga, avec des attaques puissantes et précises.

— Pikaaa ! couine Pikachu alors que je lui caresse derrière les oreilles.

Kylie ferme la douche et commence à s’essuyer. Elle passe du côté des lavabos et des miroirs avec une serviette qui recouvre ses cheveux, puis une autre qui recouvre son corps. Elle se brosse les dents et me fait un signe de tête pour que j’aille me laver à mon tour. Ses douches ne durent jamais plus de cinq minutes, elle n’aime pas vraiment se laver longtemps.

— Ça ne te dérange pas de surveiller Pikachu, un peu ? je dis alors qu’elle s’observait dans la glace.

Elle hoche la tête et je me rends du côté des douches afin de me déshabiller tranquillement. Pendant un moment, j’entends le brossage de ses dents ralentir. J’ai l’impression qu’elle m’observe par curiosité, mais je racle ma gorge pour me faire entendre.

— Tu ne m’espionnes pas, hein ? je lance par-dessus mon épaule.

— Nooooon ? réplique Kylie d’un air innocent.

— C’est ça… et je suis une fausse blonde…

Une fois déshabillée, je mets mes vêtements à laver dans un sac en plastique, par simple habitude, alors que mes habits propres m’attendent près de la grande serviette que je viens de sortir d’un grand placard des vestiaires. Je prends au hasard un pain de savon et une bouteille de shampoing avant d’aller couler l’eau chaude.

— Belles fesses, commente Kylie avant qu’elle ne pouffe de rire.

— Ahem ! Je t’ai dit de ne pas regarder. Je suis mineure, ne l’oublie pas !

— Allons, je ne vais pas te toucher.

— C’est ça… Même pas dans tes rêves.

— Vilaine, boude-t-elle avant de rire.

— C’est bien beau tout ça, mais faut se dépêcher. Faut manger en vitesse, puis nous rendre à l’arène. Finis de te brosser les dents et va m’attendre à l’entrée du manoir.

— D’accord… répond cette dernière d’un ton las.

Elle retourne se brosser les dents, crache dans le lavabo, puis se rince la bouche avant de revenir de ce côté pour ramasser ses vêtements propres et crassés. Pendant ce temps, je glisse sous l’eau chaude de la douche et je frotte mes cheveux en vitesse, alors qu’elle s’éloigne rapidement. Je l’entends ordonner à Pikachu de la suivre, après, je rince ma tête.

Contrairement à Kylie, j’aime prendre mon temps lorsque je suis sous la douche, mais pour aujourd’hui, je n’ai pas trop le choix de me presser. Je me demande si elle est prête pour son combat contre Érika…

Seul le temps nous le dira, je crois. Aussi, il faut encore que je dise aux jumeaux ce que j’ai appris cette nuit. Ils risquent d’être choqués.

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