4. Le passé des jumeaux

13 minutes de lecture

Estelle, 16 ans
Dresseuse indignée

Nous sommes à l’extérieur du Centre Pokémon. Poussifeu et Carapuce sont en train de se faire soigner à l’intérieur. Je suis appuyée contre un mur de briques et Scottie survole des images de son smartphone avant de m’afficher ce qu’il souhaitait me montrer. Je vois une photo de sa sœur en train d’embrasser une demoiselle qui me ressemble beaucoup mis à part le style vestimentaire.

Je crois avoir compris ce qu’il essaie de me dire, malgré le fait qu’il soit très gêné. Je prends une gorgée du soda alors qu’il fait de son mieux pour expliquer.

— La fille que tu vois sur cette photo avec ma sœur, c’est Victoria Dulac alias Vicky, m’explique-t-il. Elle est morte il y a un an dans un incendie. Ma sœur ne s’est même pas rendue à son enterrement et je crois que ça l’a grandement affectée…

— Ah. C’était sa petite amie ?

— Elles étaient fiancées. Depuis l’accident, Kylie est beaucoup plus agressive et refuse d’en parler. Je ne l’ai jamais vu pleurer la mort de Vicky. Depuis, elle a une fixation sur des demoiselles blondes comme toi, j’imagine qu’elle essaie de faire le transfert de Vicky à d’autres filles… Mais tu sais tout comme moi que c’est impossible de remplacer quelqu’un d’aussi important. La vérité, c'est que Kylie souffre beaucoup de l’intérieur et qu’elle a de la difficulté à se faire des amis. Vicky était sa partenaire depuis plusieurs années, c’était une chanteuse et ma sœur jouait de la batterie dans leur groupe punk rock. Lorsque l’accident est arrivé, la bande s’est dissoute et ma sœur et moi, on a commencé à faire les démarches pour déménager à Kanto.

— Elle aurait quand même pu lui faire ses adieux, je dis alors que je regarde dans le vide. La mort… ce n’est pas… rien.

— C’est aussi ce que je pense. Elle a refusé de consulter un psy. Elle est toujours dans la phase du déni. Nous vivions seuls avec notre mère, notre père ne s’est jamais pointé après notre naissance, donc nous ne le connaissons pas. Je crois que ç'a beaucoup affecté la croissance de ma sœur…

— De mon côté, ma mère est morte dans un accident de voiture quand je n’étais qu’un bébé. C’est mon père qui a pris soin de moi.

— Mes condoléances, dit-il avec tristesse.

Un silence étrange s’ensuit. Je comprends plus ou moins maintenant un peu mieux les jumeaux. Cela n’excuse pas l’arrogance de Kylie. Puis, je me souviens brièvement des crises de colère de mon père lorsque j’étais plus jeune. Il s’assurait toujours que je n’étais pas dans la même salle que lui lorsqu’il pleurait et détruisait plusieurs objets… mais je l’entendais toujours. Cela a duré quelques années, je crois. Même si Maman et lui n’étaient pas amoureux, elle était sa meilleure amie et il s’en voulait terriblement qu’elle soit morte. Du moins, c’est ce que j’ai compris à travers les nombreuses conversations que j’ai eues avec les domestiques.

Puisqu’il remarque que je ne réponds pas, Scottie décide de poursuivre :

— Comme Maman comptait se remarier et qu’elle s’occupait des enfants de son futur mari, on s’est dit que c’était le bon moment pour nous deux de repartir à l’aventure et de nous créer de nouveaux souvenirs… Le seul hic, c’est que ma sœur est malade et qu’elle refuse de se faire soigner… Donc… ouais… je suis dans la merde.

— Prend-elle des substances illicites ou boit-elle ?

— Pas à ma connaissance. C’est comme si elle vit dans un autre monde depuis un an. J’ai promis à maman de prendre soin d’elle, mais que veux-tu que je te dise ? Je ne suis pas équipé pour prendre soin de ma sœur. Même notre tante à Lavanville ne pouvait rien faire pour elle et c’est la tante préférée de Kylie. Bref, je nous ai trouvé du travail au Bourg Pallet et voilà où nous en sommes. Je souhaitais quand même te présenter mes excuses pour le comportement horrible de ma sœur.

Je prends une autre gorgée. Il a ouvert sa propre bouteille et la regarde en silence. Il faut croire qu’on a tous nos fardeaux. Lui, c’est sa sœur. Moi, c’est mon incertitude face à tous ces choix qui s’offrent à moi. J’ignore où se trouve Kylie en ce moment. Je n’ai pas envie de la voir, mais je comprends maintenant pourquoi elle agit ainsi.

— Scottie, je commente. Je…

Il baisse sa tête et la tourne vers moi.

— Mmm ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Que comptez-vous faire durant les prochaines semaines ?

— En fait, on pensait quitter le ranch d’ici à la fin du mois et nous rendre à Argenta. Kylie veut aussi participer à la Ligue Pokémon de Kanto et pour cela, nous devons ramasser des fonds pour financer notre aventure. Nous avons assez pour acheter des provisions et de quoi faire du camping sur la route.

— Le professeur a-t-il trouvé des remplaçants ?

— Oui, son petit-fils vient passer des vacances au Bourg Pallet. Apparemment, c’est le Champion d’arène de Jadielle.

— Ah, tu veux sûrement parler de Régis Chen… Je l’ai déjà croisé à l’une des soirées de mon père. Il était au centre culturel de Céladopole pour sa rénovation.

— Tu en connais des gens toi… Ton père travaille dans quoi, déjà ?

— Compagnie d’avions. Roucarnage Incorporé.

— Quoi !? T’es la fille de Flint Markios !?

— Ouep… Tu le connais ?

Il hoche de la tête ; il a l’air émerveillé.

— C’était un Champion d’arène spécialisé avec les Pokémon de type Normal, dit-il. J’ai passé de nombreuses heures à étudier tous les anciens Champions d’arènes et ceux qui existent encore à Kanto. Je souhaite un jour succéder à Morgane de Safrania.

— N’est-ce pas la dame spécialisée aux Pokémon Psy ?

— Oui… C’est elle qui m’a offert mon Qulbutoké quand il n’était qu’un Okéoké, il y a quelques mois. Elle est comme mon mentor.

Il se met ensuite à me parler à une vitesse folle, presque incompréhensible sur les exploits de Morgane et à quel point il l’admire. Il semblerait qu’il a fait sa rencontre alors qu’elle était de passage à Johto et c’est comme cela qu’il a reçu son tout premier Pokémon pour la région de Kanto. Ensuite, il mentionne la fois où il l’a prise en photo pendant un match entre un adversaire et elle, derrière un Centre Pokémon. Il n’arrête pas, il en rajoute encore et encore et encore. J’ai un peu le tournis.

Comment lui dire que son obsession me saoule déjà ? Malgré tout, j’ai été élevée pour être patiente alors, je hoche la tête poliment et je fais de mon mieux pour écouter les éloges de son idole. Un moment plus tard, les portes du Centre s’ouvrent à côté de nous. La punk paraît perdue dans ses pensées et sirote une bouteille de bière. J’en déduis qu’elle a l’âge légal de boire. Elle me voit moi et son frère en train de discuter et préfère ne pas s’approcher de nous.

Je n’ai pas envie de me mêler à leurs drames personnels. Pourquoi devrais-je me préoccuper de cette fille si je souhaite simplement voyager et explorer la région de Kanto ? Avec tout ça, je n’ai même pas pris de nouvelles de Gabriel et mon père à Céladopole. Je sors donc mon smartphone de mon sac et l’active pour consulter mes messages. Pendant ce temps, Scottie décide de rejoindre sa sœur. Celle-ci jette sa bouteille dans le bac à recyclage près de la poubelle de l’entrée, puis échange quelques mots inaudibles avec son frère.

Dans mes textos, je vois que mon père m’a envoyé des photos de Gabriel et lui, en train de faire le tour de la ville. Ludo, mon garde du corps habituel, a aussi été mis au courant de ma situation et me demande des nouvelles. Il souhaite savoir si j’ai besoin de ses services ou s’il doit assister les gardes de mon père. Je ne vois pas vraiment l’utilité d’avoir un protecteur avec moi si j’ai mes Pokémon pour me défendre. Je lui réponds donc qu’il peut continuer à servir Papa. J’observe ma montre et réalise que j’ai dû passer au moins une vingtaine de minutes à l’extérieur. Poussifeu et Carapuce doivent sûrement être soignés et m’attendre à l’heure qu’il est.

Au moment de rentrer, Kylie met une main devant la porte pour me barrer la route. Je fronce des sourcils et la toise froidement.

— Écoute… J’aimerais te présenter mes excuses, dit-elle. Je n’ai pas été correcte envers toi, je ne sais pas trop comment me racheter.

Il y a quelque chose d’étrange dans le ton de sa voix. Cette fois, je ne ressens aucune hostilité comme un peu plus tôt. Elle a l’air sincère. Cela ne change pas le dégoût que je ressens en sa présence, mais au moins, elle a été assez mâture pour reconnaître ses torts.

— Laisse-moi juste du temps pour me remettre de mes émotions, je réplique. Ton frère m’a déjà expliqué plein de trucs. Quand je serai plus calme demain matin, on parlera tranquillement. Pour le moment, j’ai besoin de me reposer après cette longue journée passée à bord du jet de mon père.

Elle hoche la tête en silence, puis ôte sa main de mon chemin afin de me laisser passer et entrer à l’intérieur du Centre Pokémon. Mon cœur bat rapidement de colère, même si dans le fond, je me dis que je ne peux pas en vouloir à cette femme de s’ennuyer de sa petite amie et de trouver que je lui ressemble. Il faudrait toutefois qu’elle accepte la réalité un jour ou l’autre. Scottie est probablement sa seule chance de s’en sortir, donc je ne m’en mêlerai pas plus.

Une fois éloignée des jumeaux, je peux enfin respirer et me détendre un peu. Au comptoir, une infirmière m’attend avec Poussifeu et la Poké Ball de Carapuce dans un plateau. Je remercie celle-ci d’avoir pris soin de mes Pokémon et lui demande s’il m’est possible de louer une chambre pour la nuit. Elle m’offre alors une clé de dortoir et m’assigne verbalement son numéro. J’ai le droit de me servir de la douche commune si j’en ai envie et les repas sont facturés à la Ligue Pokémon de Kanto, si je m’enregistre avec mon Pokédex.

Si j’ai bien compris, je reçois hebdomadairement des pokédollars à travers la compagnie lorsque je combats d’autres Dresseurs et des Champions d’arènes. Les paiements retirent automatiquement mes dettes chaque fois que je reçois un nouveau chèque. J’ai donc intérêt à combattre souvent ou bien à cuisiner mes propres trucs pour éviter de me faire prendre au système. L’infirmière me dit de ne pas m’en faire. Parce que de toute façon, les membres hautement placés de la Ligue finissent toujours par couvrir la majorité des frais des Dresseurs, parce qu’ils sont super riches et que les cotes d’écoutes durant les enregistrements en direct leur permettent d’en mettre plein la vue à la télévision. J’ai bien hâte de voir ça, pour être honnête…

Lorsque je me retourne vers la sortie du centre, je vois les jumeaux en train de se quereller à travers les vitres. Je crois que ce que j’ai mentionné à Kylie n’a pas plus à cette dernière, alors elle doit demander à son frère de se mêler de ses affaires personnelles. Ce dernier hausse les épaules, puis entre finalement au Centre lorsque celle-ci s’en va se promener. Je suis presque soulagée de voir qu’il n’a rien. Il me sourit bêtement et retourne dans sa propre chambre.

Poussifeu déborde d’énergie, de son côté, et sautille autour de moi pour attirer mon attention. Je me penche vers lui pour le ramasser. J’ai quasiment oublié mon soda. Je vide son contenu et dépose la bouteille dans une boîte de recyclage. Je crois que je vais passer le reste de la soirée à me détendre, puis faire un peu plus connaissance avec Carapuce. Je n’ai pas eu la chance de le connaître tant que ça, puisque notre première expérience ensemble a été le duel contre la punk. Ma petite tortue a l’air de bien suivre les ordres, en tout cas. J’espère que je n’aurai pas trop de soucis avec lui.

J’entre dans ma chambre ; je crois qu’elle se trouve à deux ou trois pièces de celle des jumeaux. La mienne est grande et spacieuse et a de la place pour deux Dresseurs. Je vais prendre le lit de gauche, Poussifeu va dormir à mes pieds ou bien s’approprier celui de droite. Je sors Carapuce de sa Poké Ball, celui-ci bondit sur mon lit. Je me penche vers lui pour l’examiner de plus près, puis dépose mon sac à dos par terre.

— Salut toi, je lui dis d’un d’un ton rassurant. Tu sais que tu m’as impressionnée au combat, tantôt ?

— Cara, carapuce ! dit la tortue avant de passer une patte derrière la tête, visiblement flatté par le compliment.

— Je suis Estelle, enchantée de faire ta connaissance. Je suis ta nouvelle Dresseuse, comme tu as pu le constater. J’espère que nous pourrons compter sur toi pour nous aider dans nos prochains duels.

— Carapuce ! me répond celui-ci, d’un hochement de tête.

— Poussi… couine mon poussin, à côté de lui.

Je tourne mon regard vers mon Pokémon Feu, ce dernier ne semble pas aimer qu’on lui vole la vedette. Je roule des yeux, puis je lui caresse la tête.

— Tâchez de bien vous entendre, tous les deux, je demande. Je n’aimerais pas devoir vous punir comme je l’ai fait avec la vilaine dame de tout à l’heure…

Ils comprennent aussitôt le message et hochent la tête en même temps. Je trouve ça étrange de jouer les baby-sitters avec ces Pokémon, mais d’un sens, je constate qu’ils sont encore tous jeunes. Je crois qu’ils n’ont que quelques mois à peine. Carapuce paraît plus âgé que mon Poussifeu et un peu plus expérimenté aux combats, donc je vais me concentrer sur l’entraînement du poussin en premier. Si Carapuce est assez intelligent pour comprendre mes ordres, je crois que je pourrai me servir de lui comme partenaire d’entraînement.

Je fouille dans mon sac pour des friandises ou bien de quoi mâchouiller en attendant mon repas. Je sors une boite de croquettes végétariennes pour Poussifeu, que j’ai préparé ce matin avec les domestiques. J’en offre une à celui-ci et il semble aimer cela. Carapuce est intrigué, alors je lui donne un morceau lui aussi. À ma grande surprise, il aime la saveur des légumes et des épices frits.

Je suis crevée par cette journée. Je prends mes vêtements de rechange, puis sort de la chambre pour aller prendre une douche. Je prends soin de verrouiller ma porte et laisse Poussifeu et Carapuce seuls pour un instant. Je dis à ceux-ci que je reviendrai d'ici à quelques minutes, alors mon poussin se couche en boule sur notre lit et Carapuce l’imite en entrant dans sa carapace. Une fois la porte fermée, je m’éloigne.

Les douches publiques sont vides lorsque j’entre dans la salle commune. Ce sont les toilettes pour dames, donc je n’ai pas vraiment peur de me faire surprendre par un homme. Je jette quand même un regard rapide vers l’un des miroirs. J’ai besoin d’un masque hydratant ou bien de retoucher mon maquillage, j’ai l’air d’un monstre avec cet air grincheux. Je blâme la punk pour avoir ruiné ma journée.

Cette pièce me rappelle ce qu’on voit dans les films ou bien les mangas. Je n’ai jamais mis les pieds dans les bains publics ; j’avais toujours à disposition une salle de bains personnelle où tout était équipé selon mes nécessités. Évidemment, je n’ai jamais eu besoin de partager quoi que ce soit dans mes appartements personnels… Cette expérience est, à la fois, nouvelle et étrange. Je sais qu’il y a des compartiments auxquels je peux me cacher et me couvrir, verrouiller des portières… J’ai quand même l’impression qu’on pourrait facilement m’observer à travers quelques fentes. J’imagine que les infirmières et les autres employés du Centre se servent aussi de cette salle de bain… Je ne dois pas m’en plaindre. J’ai voulu participer à cette aventure alors autant présumer que je ne serais plus gâtée comme une petite princesse… du moins, pour les douze prochains mois !

Je prends le compartiment le plus à droite et verrouille la porte derrière moi. Il y a des dispositifs de savon et de shampoings, un pain de savon, des serviettes supplémentaires pour les invitées et une petite table où mettre mes vêtements de rechange. Je vois un distributeur pour les besoins privés des dames… Vous voyez où je veux en venir, pas besoin d’en faire un dessin. Je trouve cette attention particulièrement touchante, bien que nécessaire.

Après un court moment à réfléchir dans le coin de ma case, je finis par me déshabiller et fais couler de l’eau chaude dans ma douche. Au contact de ma peau, je retrouve mon confort. Rien de mieux qu’une bonne douche pour me sentir mieux après avoir passé une partie de la journée à bord d’un jet privé…

J’entends des bruits qui viennent de l’extérieur, puis une porte de case se refermer un instant plus tard. Une Dresseuse a eu la même idée que moi et se met à chanter un air que je ne reconnais pas. Mais cette voix, je crois savoir qui c’est. Je cligne des yeux quelques fois avant de me rendre compte que celle-ci appartenait à la jumelle qui m’a causé du souci un peu plus tôt. Je ne savais pas qu’elle chante aussi bien. Son frère m’a mentionné qu’elle faisait partie d’un groupe punk rock où elle était la joueuse de batterie. Je dois reconnaître : la technique qu’elle utilise dans sa voix est étrange, mais je trouve les tonalités de cette dernière, presque charmantes. J’en suis toute secouée…

Annotations

Vous aimez lire TeddieSage ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0