Lettre n°2

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Tu parles de mourir. Dans ton mot. Comme si tu savais que tu n’avais plus beaucoup de temps à passer parmi nous. Et pourtant, quand on te voyait, jamais personne n’aurait pu en dire autant. Tu m’as toujours semblé être une personne lointaine, inégalable et parfaite sur tous les points. Je savais, bien sûr, que tu n’étais pas parfaite. Personne ne l’est. Papa et Maman en faisaient juste des caisses. Les voisins en faisaient juste des caisses. Les professeurs du lycée en faisaient juste des caisses. L’épicier du coin en faisait juste des caisses. Ton copain en faisait juste des caisses. Les gens autour de nous en faisaient juste des caisses. Tu n’étais pas une déesse, une perfection incarnée.

Déjà, tu avais mauvais caractère. Tu n’as jamais voulu me prendre dans tes bras, m’accorder un regard plus long que quelques secondes. J’avais beau taper des mains sous tes yeux, crier en courant dans ta chambre, jeter tes affaires au sol, marcher sur tes vêtements propres et que tu venais juste de repasser, tu te contentais simplement de t’occuper de tes affaires, de ton travail. Tu me criais dessus, bien évidemment. Mais dans tous les cas, ton regard ne se posait que très rarement sur moi. Je ne devais pas être visible pour toi. J’avais le sentiment, et pendant longtemps, que je n’étais qu’un fantôme. Et surtout, que tu m’en voulais. De quelque chose. De quelque chose dont je n’avais pas conscience et qui même aujourd’hui m’est inconnu.

Alors pourquoi avoir glissé un mot dans tes livres, dis-moi ? Si tu me méprisais tant que ça, pourquoi ? Pourquoi espérais-tu que je puisse un jour tomber dessus, toi qui me répudiais, me fuyais comme si j’étais la peste en personne ? Et pourquoi dis-tu vouloir m’aider à m’affranchir, quand pendant longtemps, je n’ai été qu’un clone raté de ta personne aux yeux de tout le monde et que tu en avais conscience ? Quand pendant longtemps je ne devais vivre que sous ton ombre parce que c’était important de réussir tout ce que tu entreprenais avant de te retourner vers moi et de me narguer.

Ce que tu dis n’a pas de sens.

Papa et Maman ont continué de jouer la comédie, tu sais. Ils font encore mine de t’attendre. Pendant les repas, ils vont même jusqu’à regarder fixement la porte d’entrée, tout en mâchonnant de manière platonique. Ils ne parlent que très rarement et quand ils le font, c’est pour se plaindre. Sans arrêt. Le loyer coûte trop cher. Les primes ne sont pas nombreuses. Des clients mécontents se plaignent de leur travail. Maman se fait harceler par la gardienne de l’immeuble qui lui réclame une certaine somme. Papa nous sort régulièrement qu’il n’y a plus d’alcool dans les placards. Il y a de quoi devenir folle dans cette maison depuis que t’es partie. A croire que le monde ne tournait qu’autour de toi et que maintenant que tu ne te trouves plus à nos côtés, tout est perturbé.

Maman est la plus bizarre entre les deux. Elle touche son ventre toutes les cinq minutes, quand bien même je lui dis qu’elle ne peut plus faire d’enfant depuis un moment déjà, que son corps ne possède plus son capacité. J’ai essayé de nombreuses fois, de maintes manières. Elle se contente de me décocher un regard basé comme si je ne sortais que des inepties et qu’il vaudrait mieux que je pense à la fermer. Puis elle se remet à toucher son ventre, à le caresser en le couvant des yeux et en chantant des petites comptines. L’autre jour, alors que Papa partage mon avis, elle lui a demandé quel prénom il préférait pour une petite fille. Papa a regardé dans le vide pendant longtemps. J’ai croisé les doigts tandis que je m’arrêtais en plein milieu du salon pour les observer tous les deux. Je ne suis pas parvenue à quitter la pièce, comme si j’avais besoin moi aussi de savoir quel prénom il faudrait donner à ce gosse imaginaire. Et alors, il a dit ton prénom. Il a regardé Maman, et il a dit « Louise, c’est beau Louise ». Il n’a pas attendu davantage de temps avant de se replonger dans ses pensées et Maman, toute contente s’est mise à danser légèrement tout en répétant ton nom. Sa main posée sur son ventre, évidemment.

J’ai l’impression que ton absence a fait partir quelque chose en eux. Ils semblent constamment vivre dans un autre monde, et moi, je me sens perdue. Est-ce moi qui perds la boule ? Est-ce moi qui ne parviens pas à mettre le doigt sur un élément logique qu’eux comprennent ? Aujourd’hui, ils sont calmes. Maman fait la cuisine. Elle regarde quelque chose au niveau de sa jambe. Elle caresse le vide avec un tendre sourire. Elle a perdu la boule.

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