La conversation 2/3

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Ils déambulèrent tous deux au milieu de la foule, touchant des épaules, des mains, marchant sur un pied. L’ambiance était électrique mais bon enfant.

« Là-bas, tu la vois ? lui demanda sa mère. La Jeanne. Cette grosse femme en tablier sombre et sabots paillés. Trois enfants et son mari pas encore revenu du STO. Ou d’un camp, je ne sais plus. Comment faire pour nourrir sa famille ? Elle ne s’est pas vendue ; elle travaillait à l’hôtel réquisitionné et a fini par amener chez elle le linge des officiers, n’y voyant pas malice. Une femme courageuse. Tondue.

Et le Marcel qui applaudissait de tout son cœur quand les boches ont défilé en vainqueurs sur cette même place. Celui qui manie les ciseaux à tondre. Et la Henriette, qui applaudissait aussi. Elle a choisi son camp. C’est pas bien. Mais à part vendre son corps, elle n’a rien donné à l’ennemi. Elle a cru tous les mensonges de la propagande, c’est tout.

Et « la truie » ! Ils l’ont chopée. Elle, par contre, mérite la corde pour tout le mal qu’elle a fait. Elle a sur la conscience des amis fusillés. Regarde, elle rit, la maudite.

—Et les hommes, ils ne sont pas tondus, eux ? s'est-il inquiété.

—Non, ils sont bastonnés. Les cheveux sont un attribut féminin de séduction. Même chauve, un homme peut circuler la tête haute. Pas une femme. La tondeuse, c’est la vengeance de l’homme qui se sent péteux. Il assoit ainsi son autorité et reprend  la place qu’il pense lui être due. En toute bonne conscience. C’est contagieux, la bonne conscience. Tout le monde se laisse entraîner dès que le motif agrée à la majorité.

—Il faut faire quelque chose ! On ne peut pas les laisser faire !

—Non, non, non, ce serait vouloir arrêter un raz de marée avec une petite cuiller. Trop dangereux. Et impossible. Ils se déchaineraient contre nous qui sommes faibles. Une femme et en adolescent. Facile. Ce qui me dérange, ce n’est pas qu’elles soient tondues, les cheveux, ça repousse. Non, c’est qu’ils veulent une justice immédiate et pas un jugement au tribunal, plus tard, dont ils se méfient. Qui leur ôtera leur fête.

—Mais tout de même, elles l’ont bien mérité, non ?

—Bah, un petit pois comme cervelle… Peut-on punir un petit pois ? Et s’abaisser de cette façon ? Tu comprends ? Au fait, il n’y a rien qui te choque, en plus ?

—Elles sont toutes laides, mal fagotées. Elles ont l’air plouc.

—Ce sont des femmes simples. Mais sinon ? Allez, je te le dis, je ne viens de m’en rendre compte qu’à l’instant. Aucune bourgeoise dans le lot. Pas de notable. Aucune de celles qui dînaient à la table voisine de celle des officiers, au restaurant, ou dans la loge du théâtre. Dans leur cas, et celui de leur mari, on ne parle pas de coopération. Cela devient de la politique. Un acte noble. Un don de leur personne, comme le disait Pétain. On ne joue plus dans la même cour.


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