La fée 3/3

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Il est là, somnolent, à se remémorer la journée d’hier. Le clapotis de l’eau le berce. Lorsqu’une fée traverse le jardin en courant, une pochette serrée sur son cœur.

L’apparition porte une robe gaie, des socquettes roulées sur ses chevilles adorables, aux pieds des sandales à semelles de bois. Ses cheveux collent au front, la sueur auréole ses aisselles. Elle se concentre, les yeux froncés et lui fait un signe de l’index sur ses lèvres ravissantes. Chut, tu ne m’as pas vue, je n’existe pas. Elle doit avoir à peine un an de plus que lui et déjà si femme.  Il ne s’est pas vu se mettre debout. Il lui répond d’un hochement de tête. Oui, je n’ai vu personne, d’accord. Il l’aime déjà. Il sait qu’elle fuit, ce sont des choses que l’on sent sans explications. Il sait qui elle fuit. Et pourquoi. Qu’importe. Une fée reste une fée, elle a le droit de tout oser.

Elle prend son élan pour franchir le ruisseau rachitique bordé de valérianes.

Un poignard la cloue en plein saut, le corps arqué,  la tête en arrière, les bras en croix, les jambes pendantes, son bassin offert au ciel par la poussée dans le dos du pal mortel. Le temps se fige.

Tout s’est déroulé si vite qu’il reste pétrifié, les yeux écarquillés, bouche bée, la fronde immobile au bout de son bras ballant. Il n’est pas de la race des guerriers. L’aurait-elle aimé malgré cela ? Dans un brouillard, il perçoit des cris, des gesticulations d’hommes chasseurs de sirènes. On l’a eue ! Regardez, elle avait sur elle une photo de son amant ! Pute à boches, va ! Un bourdonnement enfle dans sa tête, il se penche, vomit et s’évanouit.

Il dormit toute la nuit, et le jour suivant, et aussi la nuit d’après, en état de choc. Il cauchemarda. Etonnamment, il ne rêva pas d’elle. Il revit en films surréalistes et dans un parfait désordre la traque des juifs à Paris, leurs faux papiers, son père parti libérer les villes du mur de l’Atlantique, leur voyage en train jusqu’ici, un havre pour eux, catholiques de première génération et juifs par la mère, son teint pâle et ses yeux bleus, plus aryen tu meurs, contempler avec une infinie tristesse les colonnes de réfugiés ou celles des soldats prisonniers français, vaincus, sales et hagards,  les privations, les fusillades d’otages, une main fraîche sur son front brûlant, des couvertures remontées sur son corps tremblant de fièvre…

Il est temps de partir. Il regarde par la lunette arrière de la voiture  la maison disparaître. Une longue route les attend. Il y a laissé la mallette pleine de ses jouets devenus inutiles. Tous, y compris le lance-pierre.

Il est trop jeune pour savoir qui il est, mais il sait maintenant qui il ne veut pas être.


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