excuse

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Vêtu d’une robe de nuit bleue, Azur se blottit entre les draps. Les yeux grands ouverts, il fixait la porte secrète d’une commune habitude. Élestac ne mettrait plus longtemps à arriver. Elle apparaîtrait, l’air abattue, avec un plateau de pâtisseries qu’elle aurait fait apporter dans ses appartements pour lui montrer qu’elle l’aimait. Elle se faisait pardonner de la même façon à chaque fois. Elle redevenait câline, puis lorsque la folie lui chavirait l’esprit, elle recommençait, imperméable aux supplications.

Azur s’enfonça dans son oreiller. Le satin de sa couverture sentait encore l’odeur du prince. Un parfum chaud, sucré, fruité. Oui ! Il respirait des fruits sauvages. Comme ceux en bordures de forêt. Dans cette matinée, où les rayons du soleil se paraient de blanc et s’invitaient derrière les rideaux, le jeune homme pensait à Rouge, à la veille. Comment ce gosse pouvait être si doux, alors que son visage le condamnait à ressembler à une créature peu recommandable ? Certes belle, mais féroce.

Par quel miracle, quelle magie, Rouge distillait tant d’émotions dans son esprit d’amant violenté ? Ce qu’il l’enviait ! Ce qu’il désirait prendre sa place ! Être légitime ! Ne plus devoir subir, et acquérir un trône avec facilité, simplicité.

Azure s’enroula dans sa longue chevelure, observa la tenture de son lit, puis posa son regard las sur une peinture face à lui. Il se rehaussa légèrement, tira le drap jusqu’à son cou et s’envoûta avec son propre portrait. Élestac le lui avait offert pour son anniversaire. Anniversaire qu’elle avait choisi, alors qu’elle pensait Azur amnésique. Elle lui avait tendu cette toile au cadre doré, chargé de fleurs et de racines, et avait dit :

— Un cadeau pour le prince endormi qui a conquis mon cœur.

Azur l’avait pris, l’avait détaillé, comme il le faisait à l’instant. Son visage resplendissait d’une étrange lumière blanche, pareille à la neige. Ses lèvres esquissaient un sourire pareil à une ligne à peine onduleuse, rosée. Il y avait plus de couleurs sur ce visage. Plus de clarté. Il paraissait infiniment heureux. Comment se pouvait-il ? Qui avait apporté tant de mensonges sur cette toile ? Était-ce comme ça qu’Élestac l’imaginait, l’avait commandé ?

Il attrapa un miroir de poche sur lequel plusieurs pierres précieuses s’incrustaient entre des arabesques d’or. Il saisit son image, observa son reflet. Les deux visages étaient semblables, mais la copie restait bien plus éclatante que l’original. Et ça malgré la couleur bleutée qu’avait ajouté la reine sur ses pommettes osseuses. Par chance, elle n’avait pas maquillé ses yeux de ce vilain noir verdâtre. Ils avaient été épargnés pour cette fois. En revanche, des cernes sombres les soulignaient.

— Quelle affreuse mine ! se plaignit-il, quand la porte secrète s’ouvrit et dévoila la reine.

Une expression désolée peignait ses traits. Elle portait entre ses doigts chargés d’anneaux simplistes, un plateau où des gâteaux jouaient des coudes autour d’un vase qui portait une pivoine rouge.

Élestac se présenta à lui, comme un chiot rampe face à son maître après l’avoir mordu.

— Je te trouve toujours aussi beau, marmonna-t-elle, comme une excuse cachée dans un compliment.

Elle déposa avec précaution le plateau sur la table de chevet, alors qu’Azur maintenait ses tremblements de rage sous les draps. Comme il avait envie de lui ouvrir le crâne, de lui offrir tout le mal qu’elle lui avait donné, ce soir-là et toutes les autres fois. Ce qu’il souhaitait l’entendre le supplier, mais à quoi bon imaginer, la vengeance arriverait en temps voulu et jamais ses doigts ne frôleraient cette odieuse femme, bien qu’il en mourût d’envie.

Le voyant muet, Élestac s’approcha de lui. Elle agrippa les draps, les tira pour le découvrir et voir les dégâts qu’elle avait encore causé. Azur courba ses épaules, par réflexe, comme si son corps se tenait prêt pour un autre instant de violence. Physique ou verbale. Les débordements d’Élestac étaient subites.

Elle s’assit à son côté, caressa les pliures de sa robe de nuit bleu transparente, passa ses doigts sur les plaies dont le sang formait des croûtes. Son toucher dégoûta Azur. Il maintenait un visage fermé, autant par préméditation, que par vérité.

Élestac se sentit coupable, mal ou du moins, c’était ce qu’elle voulait lui faire croire.

— Je suis tellement désolée pour ça. Je ne voulais pas. Je n’aime pas quand je te fais ça. C’est plus fort que moi. Je ne suis plus moi-même. Juste une vague de rage. Je confonds tout.

Une seule larme coula sur sa joue. Les traits de son visage avaient beau se déformer, elle n’arrivait pas à faire paraître de nouvelles fausses larmes, alors elle s’en alla avec ses paroles habituelles.

— Tu sais que je t’aime ?

— Je le sais... répondit-il, froidement.

— Tu sais que je ferais tout pour te rendre heureux. Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai. Que veux-tu ?

Encore cette même phrase dont Azur avait répondu de mille façons, c’était le moment idéal pour lui de réclamer ce qu’il convoitait. Maintenant qu’il avait Rouge dans ses petits papiers, ce qu’il allait demander n’était pas un manque de respect, mais la preuve de son amour fou pour cette femme, ce bourreau.

Azur se pencha légèrement en avant, inclina la tête, regarda Élestac de dessous.

— Vraiment tout ?

— Tout ce que tu veux... Mon amour.

— Alors faites-moi roi. Je veux devenir votre roi. Je veux que chacun me voie en tant que votre époux et pas en tant que votre amant. J’en ai assez que l’on me regarde comme si je n’étais personne pour vous. Comme si notre amour n’était qu’une farce. J’en souffre. Je souffre que je ne puisse être qu’un jeu à vos yeux. Laissez-moi vous demander votre main, celle que je voudrais toujours sur mon cœur.

Il baissa la tête, le visage recouvert d’une émotion tragique. Quelques larmes s’échouèrent sur ses mains posées l’une sur l’autre.

— Un jeu ! Tu ne l’es pas. Regarde-moi ! argua-t-elle.

Elle le fit sursauter. Allait-elle de nouveau s’énerver et l’asséner d’un coup, sans qu’il n’en comprenne la cause.

Il frémit. Elle le remarqua et attrapa ses mains qu’elle tira vers elle.

— Je te fais peur ?

Azur leva les yeux.

— Oh ! Non ! Ne le croyait pas. Je concède en avoir trop demandé. J’ai eu peur des mots qui franchiraient vos lèvres.

— S’il ne faut que ça pour te rassurer et faire fuir ce qui te discrédite, je te ferais mon époux. Et si quelqu’un te regarde encore de travers, je lui ferai coudre les paupières, affirma-t-elle.

— Alors vous acceptez ? Vous voulez bien faire de moi, un roturier, votre époux ?

— Oui. Je sens qu’il le faut. Je sens que tu m’es dévoué. Que tu n’aimeras que moi ! Si je ne te mets pas la bague au doigt, qui sait si tu n’accepteras pas celle d’une courtisane ? Le ferais-tu ?

Sa voix changea de ton à cette question. Elle sonnait comme un reproche.

— Je ne le ferais pas. Jamais je n’aurai un regard pour une autre.

— Tu en es sûr.

— J’en suis convaincu. Je ne suis qu’à vous, assura-t-il, sachant que dans peu de temps Élestac le prendrait au mot.

— Prouve-le-moi dans un baiser. Dis-moi que tu m’aimes. Que tu me pardonnes pour hier et alors je te donnerai le titre de roi et l’or qui ira avec celui-ci.

Voilà qui était bien dans son caractère que de manipuler les sentiments avec des richesses. Mais savait-elle qui manipulait l’autre ? Orgueilleuse et vaniteuse comme elle était, pouvait-elle imaginer qu’Azur était son maître et non le contraire ? Il avait la magie, la beauté, la jeunesse et un cœur plus sombre que le sien.

Sans réticence visible, le jeune homme donna un baiser sensuel à celle qui enfermait déjà sa taille entre ses bras massifs.

— Tu n’es qu’à moi ! affirma-t-elle, en plongeant sur lui. Dis que tu n’es qu’à moi.

— Je ne suis qu’à vous ma reine.

Azur agrippa mollement le dos d’Élestac qui embrassait son cou avec sauvagerie. Elle fit remonter le tissu bleu sur le ventre d’Azur.

Le jeune homme actionna mentalement son membre avec une formule magique dont Frizure lui avait dicté les mots. Après tout, comment pouvait-il donner satisfaction à Élestac s’il restait lui-même lors de leur acte charnel. Le regard levé au ciel, Azur se laissa dévêtir, tandis qu’une partie de son esprit, la plus sensible, sortait hors de son corps et se posait dans un coin de la pièce, dos à la scène et aux mouvements qui agitaient le lit.

Dans les draps, en sueur, l’âme féroce d’Azur gardait les yeux rivés sur celle qui le remerciait pour ses retrouvailles réconfortantes.

— Tu as été fougueux encore aujourd’hui. Je vois à quel point, tu m’aimes. D’ailleurs, Rouge t’apprécie beaucoup. Ce matin, avant de venir, il m’a surpris dans ma couche avec ce lapin. Il m’a dit combien tu étais un bon exemple pour lui. Tu feras un bon père, si tu veux toujours devenir mon roi.

— Pourquoi ne le voudrais-je plus ?

— Quand je te vois si fougueux, je me rappelle comme je suis vieille.

— Vous ? Vieille ? s’exclama-t-il presque théâtralement. Comment pouvez-vous y croire ? Vous êtes la mère d’un si jeune garçon. J’espère que vous serez mère d’autres enfants. Je me projette avec vous dans un avenir plus chaleureux. Vous, la mère, et moi, le père qui vous aimerait toujours plus follement, argumenta-t-il comme si les mots qui sortaient de sa bouche étaient sincères.

Bien évidemment, il mentait. Une fois couronné et déclaré roi, il chercherait dans ses parchemins la formule qui le rendrait indésirable à cette reine détestable. Il y avait du choix dans les sorts que Frizure proposait.

La bague au doigt et la couronne sur la tête, Azur serait définitivement lié au royaume de Verdoyon. Le soustraire à ce titre avant que le Prince ait atteint ses vingt-cinq ans serait un déshonneur sur les coutumes respectées par les Verdoyiens. Il s’assurerait une place de choix. D’ailleurs, les gens du château reconnaissaient sa beauté et son charme oratoire. Le peuple serait probablement curieux de lui. Quelques grands sourires, quelques révisions des zones à risques, des rues sombres et il empocherait la sympathie de tous. En deux ans, il n’avait pas chômé. Bien au contraire, il notait dans un carnet ce qui était à revoir sur le plan de la sécurité.

Il caressa la joue d’Élestac et murmura au creux de son oreille :

— Nous serons ensemble, un couple que tous jalouseront. Je ne voudrais être qu’avec vous.

Il attrapa sa nuque délicatement et posa la tête de la reine sur son épaule.

Élestac se laissa convaincre. Ce n’était pas bien difficile alors qu’elle avait toujours eu dans l’idée de le faire son époux. Elle aimait autant la beauté que la violence. Son défunt mari était la violence, son futur, serait la beauté.

Mais si elle savait ce qui l’attendait, serait-elle si décontractée et sûre d’elle ? Bien au contraire, elle ferait pendre Azur dans un des arbres-à-tête qui poussaient aux portes de la forêt sans âge.

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