Prochain couronnement

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Dans les couloirs, les sujets du château s’agitaient avec ferveur. Valets et servantes se pressaient, argenteries rutilantes, bouquets de fleurs fraîches, guirlandes de perles ou tissus ornementaux, dans les mains. Les semelles usaient les dalles rouge et gris à force d'allers et retours continus. Leurs enjambées soutenues soulevaient de l’air qui filtraient les corridors alentours et froissaient les robes longues des courtisanes, au maintien irréprochable. Parées de leurs plus beaux joyaux et de leurs souliers cirés, elles se pressaient elles aussi dans les couloirs par groupe de trois ou quatre, imaginant devenir la maîtresse du futur roi.

Depuis une artère, trois femmes discutaient à voix basse et s’efforçaient de marcher à allure preste.

L’une d’elle, la plus corpulente et aussi la plus jolie, souffla dans ses mains comme pour y balayer un secret incrusté :

— Il paraît qu’il aime les formes et les visages doux. Peut-être aurais-je une chance d’être une de ces favorites.

Une autre, plus fine, avec de longs cheveux raides et ternes, poursuivit :

— Faut-il encore qu’il te regarde. On dit qu’il se moque du rang, de l’argent, du moment que la personne lui plaît.

La suivante, plus petite que ses voisines, murmura :

— J’ai entendu le prince dire qu’il n’était pas un homme d’apparence, mais de profondeur. Peu importe qu’on soit beau ou laid, du moment que notre cœur et que nos yeux ne voient que lui. Il accepte, qui lui donnera corps et âme.

— Est-ce que Rouge a vraiment dit ça ?

— Oui, je l’ai entendu parler avec notre reine.

— La reine ? s’étonna la plus ronde. Ne serait-ce tout de même pas dangereux de le convoiter ? Lui permettra-t-elle d’avoir des amantes ?

— Vous avez raison. Restons sur nos gardes, d’ailleurs Azur n’est pas encore roi. Ici, tout peut vite changer.

— Je doute que le mariage soit annulé. La reine ne procède pas de cette façon. Si elle n’est plus d’accord, elle le fera tuer.

— Vous, vous avez entendu le bruit qui court sur l’amant jeté aux chiens.

— Effectivement. Mais cessons ces bavardages. Pressons-nous, que nous ayons une place de choix pour le mariage de notre chère reine.

Toutes trois s’activèrent dans le couloir central, dépassant Rouge sans le voir. Rouge qui avait tout entendu de leur conversation et qui caressait sa hase, le regard remplit d’animosité.

— Tu vois comment sont les gens ici, ma chère Albas. Ils me font dire ce qu’ils veulent et en plus, ils colportent de fausses rumeurs. L’ancien amant de ma mère est mort, mais il s’est suicidé, un soir d’orage. Par ma fenêtre, je l'ai vu se jeter dans le vide, alors que la nouvelle du mariage de maman s’ébruitait dans toutes les oreilles.

L’animal leva son museau en direction du visage de Rouge et lécha les lèvres incarnates du prince.

Il lui sourit et soupira au passage de nouvelles personnes. Les racontars allaient bon train.

— Tu sais Albas, moi je l’aime bien, Azur. Je ne souhaite pas que ces femmes ou que n’importe qui d’autres le voient comme un objet trop tapageur. Il est sensible. Enfin, j’ai cette impression. C’est étrange, mais au fond de moi, j’aimerais le protéger. Le voler à ma mère et le garder, rien que pour moi. Mais ce serait bien égoïste de ma part. N’est-ce pas ?

Le garçon fourragea le poil blanc de son amie sans attendre de réponse. Albas l’écouta attentivement. Ces yeux rouges et ronds le fixaient comme si elle comprenait chaque mot qu’il employait. Elle tendit son cou, les deux pattes sur l’épaule du prince, et posa ses moustaches contre sa joue pour lui donnait une léchouille.

Le garçon se pencha vers elle, et accepta cette embrassade réconfortante.

— Toi, tu ne feras jamais semblant. Tu seras toujours sincère avec moi. Et tu sais combien j’en ai besoin. Azur ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Je ne pourrais plus l’ennuyer. Cela me rend triste de le perdre. Je sais qu’il ne s’occupera plus de moi, quand il sera roi. J’espère tout de même me tromper. Peut-être aurais-je dû le demander comme homme de confiance ?

Il soupira, encore une fois chagriner de sa pensée. Ses épaules s’affaissèrent et ses prunelles s’humidifièrent.

La hase hocha la tête, d’un air sincère. Dans ces yeux, un éclat d’affection brilla. Je ne te quitterais pour rien au monde, mon ami, ma famille, murmura l’animal dans sa langue.

Rouge opina, sans le comprendre, et d’un pas assuré, mais feutré, il longea les murs tandis que les servants continuaient à traverser les couloirs à vive allure. Certains préparaient le festin du soir, d’autres la salle de fête, d’autres encore s’occupaient de la pièce de couronnement. C’était à peine si on remarquait le « prince blanc », comme il était surnommé par les domestiques. Il fila comme un fantôme, suivi de sa tresse couleur de neige, et se posta devant la porte d’Azur. Il avisa Albas, hésitant.

— Tu crois qu’il voudra bien que j’attende avec lui ?

La hase inspira, puis expira. Un doute se courbait sous ses pupilles.

Derrière eux, un homme à la peau foncé, aussi noire que celle des habitants du royaume de Monderient au sud de flammèche, les remarqua.

— Votre altesse royale, je vous cherche depuis près d’une heure ! Et je vous trouve encore ici.

L’homme à la voix grave, mais douce, soupira, tout en croisant ses bras, et prit un air faussement fâché.

— Gralbias ! se laissa surprendre Rouge.

— Oui, c’est moi. Votre très cher majordome qui vous attend du lever du soleil jusqu’à son couché.

— Pourquoi me cherchez-vous ?

— Pour changer votre costume. Celui que vous portez est trop petit. Je savais bien que vous le mettriez et que vous fileriez, sans m’en aviser. Dites-moi, que faites-vous encore ici ?

Gralbias s’inclina dans son pourpoint vert forêt. Ses yeux globuleux portaient l’expression d’un reproche. L’homme était le seul avec Azur à ne pas détourner le regard de Rouge. Jamais.

— C’est que... Je ... commença-t-il.

— C’est que vous alliez encore déranger votre futur beau-père. Il n’est pas encore marié à votre mère que vous le collez déjà. Laissez-le profiter de son jour, au lieu de toujours lui tourner autour.

— Mais, c’est qu’avec lui je ne me cache de rien. Je me sens, étonnement à l’aise. Je peux lui dire le fond de mes pensées et...

— Et ne croyez-vous pas qu’il serait temps de vous trouver des amis de votre âge, coupa l’homme grisonnant.

— Comment ? Alors qu’on me fuit comme une fée à crocs blancs.

— En souriant, mon petit. Regardez, Albas vous aime. Et avez-vous remarqué que lorsque vous souriez elle semble plus joyeuse ?

Le garçon tourna son regard sur l’animal qui agitait ses moustaches, puis le reporta sur Gralbias.

L’homme le héla de la main, avec un large sourire sur ses lèvres épaisses.

— Allez, venez, mon prince. Si vous voulez faire honneur au prochain roi, montrez-vous sur votre plus beau jour. Offrez votre sourire, même à ceux que vous n’appréciez guère.

— N’est-il pas trop précieux pour leur donner si facilement ?

— Je ne sais pas. Mais un jour, ce sera vous le roi. Il est bon de tisser des liens avec les gens qui vous entourent.

— La plupart sont cupides.

— Je le sais. Allez ! Trouvons une tenue de conséquence pour mettre votre joli visage en valeur. Votre mère vous souhaite beau et lumineux.

Le majordome se tourna vers le couloir. Rouge lui emboîta le pas et lança un dernier regard à la porte d’Azur, sous laquelle il crut voir une ombre. Est-ce que le prochain souverain avait senti leur présence ? Le prince s’en navra. Peut-être était-il trop collant.

Ils s’éloignèrent et disparurent dans un croisement, alors que la porte s’ouvrit sur Azur, vêtu d’une simple tunique. Avec lui, deux femmes qui peignaient ses abondants cheveux noirs.

— Ce gamin est de plus en plus collant, ma parole.

Il referma la porte, marcha dans sa vaste chambre et demanda aux domestiques de partir, qu’il finirait lui-même sa coiffure.

Elles le quittèrent avec moultes révérences.

Seul, il se posa devant le miroir où Frizure le contemplait d’un air vicieux.

— Vous ne craignez rien de lui, fit-elle en constatant une fine irritation dans ses yeux bleus.

— Je le sais. Mais je ne peux m’empêcher de penser que sa présence à le pouvoir de corrompre mon objectif. Il me met à l’aise. Il me fait parler. Il me fait ouvrit mon cœur. Ce qui devrait être de glace se réchauffe quand il est près de moi. Je ne peux pas l’avoir à mes côtés, si je veux tuer Elestac.

— Ce n’est pas moi qui vous contredirai. Il est vrai que vous devriez prendre vos distances avec lui.

— Comment veux-tu ? Même en lui offrant Albas, je n’ai pas réussi à l’éloigner de moi. Voit-il vraiment un père en moi ? Comment ? Je n’ai pas une grande différence d’âge avec lui. Je suis de huit ans son aîné. J’espère qu’à douze ans, il le réalisera ! se navra-t-il en posant sur ses épaules une lourde cape, cerclée d’or et de lumière. Je ne compte pas devenir son père.

— De quoi vous plaignez-vous ? C’est grâce à ce rapprochement qu’Élestac vous fera son époux et qu’elle n’a plus levé la main sur vous depuis une année. Oui. C’est grâce à cet enfant qu’à présent, elle vous proclamera roi, argumenta la fée noire, le génie du miroir.

— Sans doute.

Azur se plaça devant sa fenêtre, observa l’agitation dehors. La ville fêtait déjà son couronnement. La musique des violons, des flûtes et des lyres répercutait jusqu’à lui. Tout résonnait de sa réussite à avoir berné le monde. Même lui avait encore du mal à croire cet accomplissement. En l’espace de trois ans, il touchait presque à son but. Encore quelques heures et il serait roi.

Ému, il forma sur la vitre de sa fenêtre de visage de sa défunte mère, Grindya.

— C’est pour toi, maman. Pour ta mort et celle de notre tribu, de nos valeurs. Aujourd’hui, j’aimerais croire que les souffleurs de givre sont toujours dans les hauteurs du mont d’Andersouffle, mais une petite voix me dit qu’ils ont fui. Avant que le monde chute, que les Crocsangs arrivent, je veux te donner le cœur d’Élestac... Mais avant même cela, il faut que je devine un roi légitime. Un roi que l’on aime plus fort que la reine. Tu comprends ?

— Ta mère comprend, murmura Frizure, un sourire infiniment démoniaque sur les lèvres.

Azur était de plus en plus obnubilé par son envie de toute-puissance. Il voulait de la reconnaissance, une légitimité et le pouvoir. Ce qu’elle avait eu raison de l’ensorceler ce jour-là dans son gouffre maudit. Il lui était apparu comme une délivrance. N’étaient-ce pas les forces du Mal qui l’avait menées jusqu’à elle ? Un heureux hasard !

— À quelle heure doit-on venir vous chercher pour la cérémonie ?

— Encore deux heures. Lorsque le crépuscule s’annoncera.

Le jeune homme se détourna du portrait givré et trouva assise sur la chaise de sa coiffeuse. Il scruta son reflet, toucha ses joues, souligna les veines qui coloraient son visage nivéen et annonça :

— Bientôt, on respectera le moindre de mes caprices.

— Ne vous perdez pas là-dedans, mon seigneur. Il faut d’abord conquérir les cœurs.

— Faut-il tant de temps pour cela. Il suffit d’être beau et de déguiser ses intentions. Dans ce monde, tout est question de faux-semblant.

— Et que ferez-vous si on commence à douter de vous ?

— J’utiliserais mon ombre pour faire autre chose qu’enlaidir des beautés.

— Machiavélique idée. Tuer pour mieux régner.

Plus il utiliserait son ombre et les parchemins, plus il perdait la notion de l’amour, de l’affection, des sentiments. Quand il goûterait au pouvoir, il n’y aura plus de place pour un Rouge au cœur tendre ou pour une quelconque bienveillante. Il sera possédé par les sept péchés capitaux. Chaque année, l’un d’eux le tentera plus que le précédente. Le miasme destructeur de Frizure le recouvrera et l’entité aura, elle aussi, sa part du gâteau.

En attendant ce jour, elle disparut du miroir, tandis qu’Azur arrangeait ses cheveux et enfilait son costume d’apparat.

Deux heures, plus tard, on toqua à sa porte.

— Mon seigneur, il est temps. Votre mariage et votre couronne vous attendent, tout comme votre peuple patiente dehors afin de vous apercevoir par le balcon du château.

Azur se redressa de sa chaise, saisit l’anneau de fiançailles et le fit glisser à son annulaire, avant d’ouvrir la porte.

— Je suis prêt.

Oui. Il était prêt. Les événements s’accéléraient enfin, mais au fond, le souffleur de glace savait qu’Elestac vivrait encore quelques années de plus. Il serait bien sot de tout ficher par terre à cause de son impatience.

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