La Mézière - été 1962 à septembre 1965 - 3ème partie

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 Comme tous les gamins, nous étions de nature assez curieuse et, avec ma sœur Françoise, nous étions intriguées par une malle en osier que nos parents avaient rangée sur notre armoire. Chacune y allait de sa proposition et nous finîmes par dire en rian t:

« C’est sûrement une réserve de caribous (1). »

S’entraidant toutes les deux, nous décidâmes de la descendre pour voir ce qu’il y avait dedans et nous regardâmes ce qu’elle contenait. Nous fûmes un peu déçues, car elle ne contenait que du tissu. Maman avait du penser qu’elle en ferait quelque chose avec sa machine à coudre à pédale Singer, et puis comme elle n’avait pas beaucoup de temps disponible, elle avait laisser ça de côté. Alors il nous fallut remettre la malle à sa place, et là ce fût une autre histoire. Dès que nous essayions de la soulever, nous éclations de rire nerveusement, si bien que cela nous était impossible de la hisser en haut de l'armoire. Après maint et maint essais nous finîmes par abandonner. Cela se termina une fois de plus par une engueulade qui resta moins mémorable que notre franche partie de rigolade.

 Papa avait pris goût à la voiture et en changeait régulièrement, engloutissant le peu d’économie de la famille. Notre situation financière ne s’arrangeait donc pas et les commerçants nous disaient de plus en plus souvent :

« Je marque sur votre compte mais il faudrait dire à ta maman de passer…... ».

Les disputes éclataient régulièrement. Les temps étaient vraiment durs et je me souviens en avoir pris conscience à partir d’un événement bien précis.

Un jour que j’étais seule à la maison, j’entendis quelqu’un frapper à la porte. Etant habituée à la visite des voisins ou amis, j’ouvris la porte sans méfiance et me trouvais nez à nez avec un homme que je ne connaissais pas. Il se présenta comme un employé de l’EDF et me demanda si mes parents étaient là. Je lui répondis que non, et il me dit alors :

« Tes parents n’ont pas payé leur électricité, je vais devoir couper au compteur. »

Paniquée, je lui dis alors :

« On va plus avoir de lumière alors ? »

Et je fondis en larmes. L’ employé ne sachant plus que faire me répondit :

« Ecoute ne pleure pas, tu dis à tes parents de régler leur facture, et moi je reviens aussitôt vous remettre le courant. »

Il fit donc son travail et je racontais tout à mes parents à leur retour. Maman et Papa ressortirent une lampe à pétrole et des bougies… Nous nous adaptâmes à cette situation le temps que papa «touche» sa paye et que nous puissions régler la facture.

Depuis le retour de maman de la maternité avec notre petit frère, Cathy lui avait laissé sa place dans la chambre des parents et elle nous avait rejoint dans la nôtre. Sa maladie avait repris et, après lui avoir gracieusement laissé quelques dixième de vue, s’attaquait maintenant à ses oreilles. Du pus s'en écoulait sans cesse recouvrant son oreiller et libérant une terrible odeur dans notre chambre. Il fallut encore de nombreux soins pour améliorer les choses.

 Avec les périodes de répit, l’ambiance familiale aurait dû s’améliorer, mais ce ne fût pas le cas. Françoise et moi trouvions Maman de plus en plus bizarre sans en comprendre la cause. Elle allait de plus en plus souvent chez les voisins et lorsqu’on lui proposait un café elle répondait invariablement : « Je préférerais un verre de vin. »

Elle était agressive en paroles envers Papa et souvent nous allions nous coucher la peur au ventre que les choses dégénèrent en bagarre et que l'un ou l'autre ne quitte la maison. Alors, avec ma grande sœur, nous avions mis un tour de garde de place. A l’aide d’une lampe de poche, nous nous empêchions de dormir à tour de rôle pour être à l’écoute de ce qui se passait. Puis arrivait le moment où, vaincues par le sommeil, nous nous endormions avec la lampe allumée...

Le matin, après un moment d’angoisse, nous retrouvions Maman, silencieuse et triste, en train de nous préparer le petit déjeuner. Ces matins là nous repartions pour une nouvelle journée en appréhendant le soir.

 Malgré tout , il y avait aussi de bons moments et les fêtes de famille étaient de ceux là. En mai 65 Françoise prépara sa communion solennelle (2).

Au printemps, Papa décida de refaire le jardin d’agrément situé devant la maison et délaissé depuis un moment faute de temps (3). En effet, ses connaissances en horticulture faisaient qu’il était souvent demandé par des particuliers pour tailler leurs arbres fruitiers ou réaménager leur jardin. C’est ainsi que j’accompagnai parfois Papa au château du Bois d'Orcan (4), situé à Noyal sur Vilaine. Sollicité par les membres de la famille Colleu, agriculteurs et habitants de ce domaine, pour tailler les poiriers.

Il prît quelques jours de congé et il commença à bêcher les parterres bordant l’allée principale. Puis il désherba planta et sema, entre autre, des lupins blancs, voulant que le jardin soit parfait pour le jour de la communion de sa fille aînée. En rentrant de l’école, j’aperçus une grosse racine qui sortait du sol en plein milieu du parterre qui venait d’être nettoyé. Cela m’interpella et je finis par me dire que papa n’avait sans doute pas réussit à l’enlever. Appelant Françoise à la rescousse, nous tirâmes sur la fameuse racine et réussîmes à l’arracher. Je la laissai sur la terre pour que papa la voit bien en passant et qu’il soit content…

Malheureusement ce ne fût pas le cas. Papa rentra dans une fureur et demanda :

« Qui a arraché MON PIED DE VIGNE? »

Malgré cette initiative malheureuse, le jardin fût magnifique pour le jour dit et l’incident oublié.

Jean Claude, le parrain de Françoise, y assista avec sa toute nouvelle épouse Michèle Goupil (5) ainsi que Mémé, Nénenne Vacher, Tonton Pierre, Tante Henriette, Tonton Etienne, Tante Marie et les cousins. Ce fût un beau repas de famille auquel Jean Claude réussit à enlever un peu de solennité en offrant à sa filleule, âgée de 12 ans, des porte-jarretelles et des bas résilles.

 Puis l’été 9165 arriva et les grandes vacances avec. Même si j’adorais l’école, j’appréciais aussi les congés. C’est alors que, parfois, Mémé nous prenait quelques jours pour soulager Maman. De ces séjours à Fougères, chez ma grand-mère maternelle, je garde, entre autre, le souvenir de la retraite aux flambeaux.

Tous les 14 juillet était organisé ce défilé avec des lampions afin de célébrer la fête nationale. Mémé m’enveloppait dans un de ses châles et le maintenait fermé derrière avec une épingle nourrice. Nous marchions jusqu’à la rue Alexandre III,et elle me hissait sur le rebord d’une fenêtre. Je regardais le spectacle fascinée et n’en perdais pas une bouchée.

La journée, nous rendions visite à Tante Céline ou Tante Constance, deux sœurs de Mémé.

Parfois, nous allions aussi voir Mélanie et Riton dans leur jardin ouvrier. Nous partions avec le pique nique et la bouteille d’eau sucrée colorée de vin. Nous traversions « la pré à Merrienne (6) » et arrivions aux jardins où chacun avait une petite cabane. Une fois le repas terminé, Mémé s’installait avec nous sur la couverture qu’elle avait apportée et nous faisions une sieste en plein air à l’ombre d’un arbre.

Lorsqu’elle devait travailler, Mémé nous donnait notre petit déjeuner dans les belles tasses qu’elle avaient achetées pour nous, l’une verte à l’intérieur et l’autre jaune, et nous confiait souvent à Mademoiselle Coignard. C’était une «vieille fille» qui habitait tout près de chez elle et qui, lorsqu’elle nous avaient en garde, nous emmenait dans une prairie très pentue à proximité des lavoirs . Arrivées sur place, tandis que Mademoiselle Coignard sortait son tricot, Françoise et moi nous laissions rouler jusqu’en bas de la prairie. Puis, nous nous désaltérions au petit ruisseau qui coulait là et qui était alimenté par une source. Enfin, le goûter arrivait et après quelques galipettes de plus, nous rentrions bien fatiguées.

Mais Mémé prenait plus souvent Françoise toute seule car, étant plus grande, elle pouvait se «garder seule». Mémé la laissait alors jouer à la balle avec les autres enfants ou elle l’autorisait à aller voir une copine plus âgée Colette Tropé.

Dans ce cas, c’était souvent mon oncle Pierre et ma tante Henriette qui venaient me chercher. Ils arrivaient, avec la Simca 1000, qui avait succédée à leur 4L, en fin de matinée et ils passaient le reste de la journée avec nous . Après le repas du midi, nous partions tous ensemble faire une balade. C’est lors d’une de ces sorties que nous fîmes la connaissance d’un couple de bateliers.

Papa avait décidé de nous emmener à la Madeleine sur le site des onze écluses du côté de Hédé (7). Nous marchions le long du canal (8) lorsque nous vîmes arriver une péniche nommée La Lorraine. Il y en avait de moins en moins, car la concurrence de la route et du chemin de fer, tuait petit à petit le transport fluvial (9). Nous nous arrêtâmes pour regarder la manœuvre du passage de l’écluse. Les deux premières portes étaient ouvertes et le bateau se glissa en douceur dans le sas. Puis, les portes se refermèrent derrière lui actionnées par l’éclusier. Les vannes à l’avant furent ouvertes et le bateau commença à descendre. C’est alors que nous entendîmes un gros bruit et Claude, le batelier, cria :

« Stop, arrêtez tout!!!!!! »

Trop tard ! Au fur et à mesure que le bateau descendait , le safran, partie immergée du gouvernail, mal orienté, finit par se déboîter et tomba au fond de l’eau. Sans pouvoir se diriger, il était impossible de continuer la manœuvre. Claude aidé de son matelot, Roger Jérôme, plongea pour essayer de passer une corde autour de cette lourde pièce de bois, sans succès. Juliette, la femme du batelier et leur fils Jean Claude assistaient à la scène impuissants. Ils se rendirent vite à l’évidence qu’ils n’y arriveraient pas de cette manière et qu’il fallait faire appelle à un engin de levage. Papa se proposa donc de conduire le marinier dans une entreprise toute proche. Heureusement, le patron, habitant sur place, les reçus et le rendez vous fût pris pour le lendemain matin. Le bateau réparé, la famille repris sa route après un échange d’adresse avec mes parents.

Suite à cet incident, mes parents devinrent amis avec les bateliers et ne manquaient pas de les inviter à la maison chaque fois qu'ils passaient dans la région (10).

Après cette promenade, je partis plusieurs semaines en vacances chez mon oncle et ma tante. Cet été là, ma tante avait décidé que je dormirais dans la chambre de mon cousin Joël qui, lui, était absent. Je n'aimais pas du tout sa décoration. En effet, si les posters de Christine Caron (11) ne me gênaient pas,le poster de Belphégor me faisait particulièrement peur. (12) Peu importe où j’étais dans la pièce, j’avais l’impression qu’il me suivait de son regard inquiétant. Je n’osais pas le regarder et m’endormais difficilement.

Bien qu’Yvonne et Jacques se soient mariés dès le début de la grossesse, ils vivaient toujours chez Tonton Pierre et Tante Henriette. C’est donc avec joie que je les retrouvais ainsi que mes cousins et ma petite cousine Jacqueline. Avec eux vivait aussi la mère de tante Henriette que nous appelions Nénenne Gasnier. Cette vieille dame, dont l’occupation favorite était de recouvrir des boîtes avec de jolis papiers pour en faire des boîtes à bijoux entre autre, était sourde et très gourmande. Dès que nous étions dans les parages, elle était persuadée de nous entendre manger des bonbons sans lui en donner. Si je restais calme face à ces accusations infondées, ce qui m’agaçais le plus c’était qu’elle m’appelait Mirielle et pas Mireille . Un jour où ça m’insupportait particulièrement, je pris une feuille de papier où j’écrivis ABEILLE et lui fît lire. Elle me dit abeille. J’écrivis donc en dessous MIREILLE et soulignai la syllabe "eille" contenue dans les deux mots. Elle me redit abeille et Mirielle. J’abandonnai…..

(1) Caribous : bonbons des années 60 en forme de boules colorées

(2) Communion solennelle: profession de foi

(3) Il donnait priorité à ses taches rémunérées au détriment de son propre jardin.

(4) Le bois d'Orcan : château édifié aux 14eme et 15eme siècles par Julien Thierry, grand argentier d’Anne de Bretagne. Il est situé sur la commune de Noyal sur Vilaine a été restauré et est ouvert au public .

(5) Ils avaient pris un logement meublé rue de Châteaugiron et se déplaçaient avec la 2CV de Michèle. Jean Claude qui partait souvent en déplacement à cause de son travail trouva, lors de son retour, sa femme au lit avec un copain. Ils divorcèrent après un mariage très court.

(6) La pré à Merienne avait deux significations pour moi. Le pré de Monsieur Merienne et le pré ou nous faisions la sieste (ou faire merienne).

(7) Les onze écluses successives permettaient de rattraper une dénivellation de 27 mètres sur un peu plus de deux kilomètres.

(8) Le canal d’Ille et Rance fût construit à la demande Napoléon, de 1804 à 1832 pour relier Rennes à Saint-Malo et faciliter le transport fluvial.

(9) Le transport fluvial s’arrêta définitivement dans les années 70 laissant la place au bateaux de tourisme.

(10) C’est au cours d’une de leur visite qu’ils me proposèrent de descendre jusqu’à Saint-Malo à bord. Ce fût ma première ballade fluviale.

(11) Christine Caron dite Kiki Caron était l’idole de mon cousin depuis sa participation aux jeux olympiques en 1964.

(12) Belphégor ou le fantôme de l’opéra était un feuilleton diffusé par l’ORTF sur la première chaîne.

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