La Mézière - été 1962 à septembre 1965 - 4ème partie

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 Heureusement, les week-ends, avec mes grands cousins, nous allions nous baigner à la rivière ; J’aimais beaucoup ces sorties avec Jacques et Yvonne et les observait du coin de l’œil lorsqu’ils s’embrassaient fougueusement. Étant complètement ignorante des choses de l’amour, je me disais en les voyant : « Pourquoi ils se mangent comme ça ? ». Je leur posai donc la question et ils se mirent à rire, encore une chose que je ne compris pas.
Mon oncle avait deux passions : le tiercé et la pêche. Autant ses canassons ne me passionnaient pas, mais j’attendais avec impatience les parties de pêche. Lorsqu’il y en avait une de prévue, mon oncle se levait tôt et prenait son petit déjeuner tout en écoutant les infos sur son petit transistor. Ensuite, il accrochait un miroir à la poignée de la fenêtre de la cuisine et se rasait avec son coupe chou (1), rinçant le savon à barbe dans l’évier de la cuisine tout proche. Puis, une fois la Simca 1000 chargée du matériel de pêche, du pique-nique et de la grande toile de tente, il partait avec Jacques. Ma tante, ma cousine Yvonne, Jacqueline et moi prenions la Micheline (2) à la gare de Fougères et les rejoignions au point de rendez-vous, à Châtillon en Vendelais. Même si je ne pêchais pas, je ne trouvais jamais le temps long. Le déjeuner terminé, nous respections les trois heures réglementaires et nécessaires à la digestion, mes cousins et moi. Puis, nous enfilions nos maillots de bain. Pas question d’être en culotte avec ma tante. C’était alors la baignade dans l’étang sous l’œil attentif des adultes. Nous rentrions fourbus mais contents de cette journée en plein air.
Ma tante était couturière et travaillait chez elle .Un été elle me dit: « Je vais avoir besoin de toi. Une cliente m’a commandé une robe pour sa fille, de ton âge et qui est partie en vacances. Tu vas l’essayer pour que je puisse la terminer. J’enfilais donc la robe en question en me disant qu'elle avait bien de la chance cette petite fille d’avoir cette belle robe chemisier couleur abricot. Quelle ne fût pas ma surprise lorsque, la robe terminée, elle me la tendit en me disant: « Tiens c’est pour toi. » Sous le coup de l’émotion, je fondis en larmes. Ma tante fût touchée et, par la suite, m’en fît une une tous les étés que je passai chez eux. J’appréciais énormément cette délicate attention car, même si maman essayait de nous acheter deux tenues neuves par an, je portais souvent les anciens vêtements de ma sœur qui n'étaient pas forcément adaptés à ma silhouette. Bien qu’ayant deux ans de moins qu’elle, nous faisions à peu près la même taille de vêtements. Ma sœur étant l’aînée, maman lui mettait les plus grands habits et je les récupérai l'année suivante alors qu'ils étaient déjà trop justes pour moi. J’eus honte de mes vêtements bien souvent et surtout d’une jupe plissée trop petite de ceinture. Maman avait demandé à Marie Joseph Delabarre, notre couturière, de l’agrandir un peu. Celle-ci se contenta de déplacer le bouton et l'ouverture en V ainsi formée laissait entrevoir ma culotte. Je n’osais pas bouger de peur que mon pull remonte et laisse entrevoir mes sous vêtements. Heureusement, je trouvais parfois mon bonheur dans les vêtements que papa allait chercher au secours catholique.
Si j’appréciais ma tante ,j’adorais mon oncle Pierre mais je ne le voyais pas beaucoup. Il travaillait dans une usine de chaussures, dans la quartier de l’abattoir, y effectuant ses 40 heures hebdomadaires (3). Il rentrait le midi pour un déjeuner vite expédié et repartait aussitôt. Une fin d’après midi où nous l’attendions, ma tante voyant qu’il tardait, dit à ma cousine: « Il a du encore aller voir sa poule (4) au café, rue de la forêt. Sur le moment, je ne compris pas à quelle poule elle faisait allusion. Il arriva enfin et nous passâmes à table. Le lendemain midi, alors que nous étions à table, ma tante lança quelques remarques à mon oncle sur son retard de la veille.

Nous mangions... du poulet et mon oncle me demanda: « Quel morceau veux-tu ? - Je veux bien une cuisse, à la maison, je mange toujours une cuisse, lui répondis-je. - Hé bien, si tu étais toujours ici, une fois tu aurais la cuisse et une autre le cou, me rétorqua ma tante. » Je ne répondis rien, laissant mon oncle prendre ma défense. Ma tante énervée s’en prit à lui et une dispute éclata. Tonton Pierre s'emporta à son tour, lui jeta son verre de vin au visage et repartit travailler. C’est la seule fois où j’ai vu ma tante pleurer . L’ après midi se passa et en fin de journée ma cousine me dit: « Tu vas aller prendre ton bain. » Sentant l’ambiance pesante, je montai dans la salle de bain sans discuter . Je commençai par rincer la baignoire et m’apprêtai à me déshabiller lorsque j’entendis ma tante hurler: « Tu te laves dans un dé à coudre? - Ben non je rinçais juste la baignoire, lui répondis-je toute pénaude. - Ha bon, mais laves toi bien, conclut-elle en baissant le ton. »

 Lorsque j’arrivais en vacances chez eux, tante Henriette m’emmenait chez le coiffeur. En me faisant couper les cheveux, elle atténuait mon côté «sauvageonne campagnarde», pas trop en adéquation avec le côté urbain de la famille. Ensuite, elle se faisait coiffer elle aussi. Tout le temps de sa prestation, j’observai le savoir-faire du professionnel. De retour à la maison, je jouais à la coiffeuse et reproduisais les gestes observés sur Jacqueline, la fille d’ Yvonne. Après lui avoir fait un shampoing sec, je la coiffais avec mes doigts et faisais semblant de lui mettre des rouleaux. Ensuite, me servant de tasses de dînette en guise de caches oreilles, je lui mettais un filet à orange sur la tête pour maintenir les bigoudis imaginaires et les cache oreilles. Je ne manquais pas d'imiter le bruit du séchoir à cheveux. Jacqueline adorait ce jeu. Nous passions nos journées dehors à jouer. Le soir, j’avais le droit de regarder Bonne nuit les petits puis je m’endormais pour une nuit d'environ treize heures. La télévision était réservée la plupart du temps aux adultes. Les aventures de Pimprenelle et Nicolas était la seule émission que nous regardions en dehors du jour de la fête nationale. Mon cousin Pierre s’était engagé dans l’armée de l’air et cela avait réveillé le côté patriotique de la famille. Le défilé télévisé du 14 juillet était donc incontournable. Ce jour-là, ma tante nous autorisait, son fils Joël et moi, à regarder cet événement. Elle espérait secrètement susciter une vocation militaire chez son deuxième fils également.
 Il y avait un autre défilé tout à fait différent que nous avions le droit de regarder, en vrai cette fois. C’était celui de la fête des lutins. Chaque année à partir de 1961, et pendant 10 ans, le comité des fêtes de Fougères a organisé une grande fête inspirée de la fête du Queniau de Sablé sur Sarthe. Il s’agissait pour les huit quartiers de la ville de confectionner un char et des costumes, et de mettre en forme des danses sur de la musique en accord avec le thème choisi. Tante Henriette, en tant que couturière, était sollicitée pour la réalisation des costumes. La salle à manger du 24 Rue de la Roulais se transformait alors en caverne d’Ali Baba. Les tissus d’apparat côtoyaient les perles, rubans, plumes et autres merceries, dans un joyeux désordre coloré. Ces fêtes s’étalaient sur un week-end. Le vendredi était consacré à l’accueil des délégations venues des autres villes. Si le moment le plus attendu des jeunes était celui du bal populaire du samedi, le temps fort se déroulait le dimanche après midi. Vers 14 h, les dix-huit enfants sélectionnés dans les différentes écoles ouvraient la parade au son de la fanfare. Puis, sur un parcours de quatre kilomètres, et pendant près de trois heures, les badauds découvraient les chars et les costumes préparés en secret par les bénévoles. Le défilé était clôturé par le char de la reine des Lutins. La soirée débutait par un concert organisé sur le champ de foire (5) situé en face le Couvent des Urbanistes. On pouvait y voir de grandes vedettes nationales telles que Fernand Raynaud, Claude François, Charles Trenet ou Jacques Martin(6). Les festivités se terminaient par l’élection des trois fées et de la reine des Lutins. Un cortège lumineux clôturait l'évènement. Cette année là, j’attendais avec impatience le char du quartier Bonabry car je connaissais la personne qui était dessus. Mon cousin, petit Pierre, avait fait la connaissance d’une jeune fille d’ouvrier habitant Loncor, près du gué Pailloux. Je la connaissait car c’était une voisine de mémé, nommée Pierrette Lemat (7). Il en tomba amoureux, au grand dame de tante Henriette qui aurait souhaitée une rencontre plus noble. Mais faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle avait accepté de faire la robe de la dite copine. Elle y avait brodé un magnifique paon avec une multitudes de perles . Lorsque le char arriva, nous applaudîmes à tout va, mon oncle et moi, pendant que mon cousin, jouant le paparazzi, photographiait sa dulcinée, sous le regard agacé de tante Henriette.

 L’été terminé, je rentrai à la maison. En arrivant, je sentis de l’orage dans l’air et compris rapidement pourquoi. Papa avait redemandé au propriétaire l'autorisation de construire son fameux garage et, malgré le refus catégorique de Monsieur Chausseblanche, avait mené à bien son projet par lui-même. Pendant l’été, il construisit un appentis à l’arrière de la maison pour mettre la voiture à l’abri. Le propriétaire, voyant ça, se mit en colère ce qui relança les hostilités.
Les choses s’arrangèrent naturellement le jour où Colette, la fille aînée des propriétaires, trouva un emploi à Rennes. Elle était vendeuse et trouva un poste aux nouvelles galeries. Elle fût rapidement confrontée au problème de transport. Mettant leur fierté dans leur poche, Monsieur et Madame Chausseblanche vinrent demander à Papa s'il pouvait la co-voiturer. Il accepta et le climat s’apaisa.
Si je jouais souvent avec Pierre, j’avais aussi des copines et j’allais souvent voir Jeanine Delaunay. Elle habitait une maison neuve dans le nouveau lotissement sur la route de La Mézière. J’aimais bien cette fille mais je faisais toujours en sorte de ne plus être là quand son père rentrait car je le savais violent avec ses enfants et craignais, par ma présence, de déclencher son courroux. Je fréquentais aussi Colette Boulanger, la fille du facteur. Elle habitait la dernière maison d’une lignée à l’entrée du bourg et, parfois, je passais la chercher pour aller à l’école. Raymonde Léone, quant à elle, était la fille du couvreur et habitait le même village que nous à Beauséjour. J’aimais bien me rendre chez elle et trouvais sa maman très gentille car elle me donnait toujours un goûter en même temps qu’à sa fille. Pendant les vacances, je jouais aussi avec Annie Crié, la petite fille de nos voisins, Monsieur et Madame Lemoine.

 Le week-end, parfois, il y avait aussi mon cousin Daniel Labbé, le fils cadet de mon oncle Etienne et de ma tante Marie. Ce garçon n’arrivait pas à trouver sa place entre son frère Jacky, qui avait son rôle d’aîné, et Jean-Pierre, le petit dernier, chouchou de ma tante. Son mal être se traduisit par de la violence et il fût envoyé en maison de correction, à la Motte aux ducs à Rennes. Mes parents, qui avaient l’autorisation de le sortir, le prenaient de temps en temps. C’est au cours de l'un de ses séjours que Cathy se fît une entorse. Comme Daniel était là, mes parents invitèrent Pierre à venir jouer avec nous. Après avoir demandé à maman l’autorisation d’aller faire une promenade, nous partîmes tous les quatre car, bien sûr, nous devions emmener Cathy. Nous partîmes sur la petite route de campagne conduisant à Melesse. Tout à coup mon cousin nous demanda: « C’est quoi dans ces arbres? » - Des pommes, répondit Pierre. - Elles sont bonnes ? Interrogea Daniel. - Ben, on sait pas, lui rétorquai-je.» Alors, ni une ni deux, Daniel franchit le talus qui le séparait du pommier et commença à en goûter les fruits. Nous le suivîmes, hissant Cathy comme nous le pûmes.Il y avait toute une rangée de pommiers et il fallut tous les tester pour essayer de trouver de bons fruits. Comme nous n’en trouvions aucun à notre goût, nous les jetions de toutes nos forces sur la route, en contrebas, après en avoir à peine croqué un morceau. Arrivés au bout de la rangée, nous redescendîmes du talus dans un grand saut. Cathy, plus petite que nous, essaya d’en faire autant, mais, arrivée en bas, elle se mit à hurler de douleur. Elle n’arrivait plus à marcher. Pierre, Daniel et moi la portâmes à tour de rôle sur notre dos jusqu’à la maison. Je sortis une couverture et nous nous installâmes sur la pelouse pour jouer avec elle. Mais lorsqu’il fût l’heure de passer à table Cathy était toujours incapable de marcher. Maman nous posa des questions et regarda sa cheville. Elle avait doublé de volume et lui faisait mal. Cela finit par une visite chez le docteur Brassier qui diagnostiqua une entorse, et par un bon savon pour nous.

(1) Coupe chou: rasoir en forme de couteau

(2) Micheline : autorail

(3) En 1936 le front populaire vota le passage aux 40h hebdomadaires. En1982, Pierre Mauroy fait voter les 39h et Lionel Jospin les 35h en 2000.

(4) Sa poule : sa maîtresse

(5) La place du champ de foire n’existe plus en tant que telle .On y a construit des immeubles.

(6) En 1963 Raymond Devos ne put pas venir car il tomba en panne de voiture à Alençon.

(7) Pierrette Lemat : je l’ai appelée un temps Pierrette Tomate mais elle sût me faire taire en me menaçant de le dire à Mémé.

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