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Ainsi, finalement, je m’en retournais en Belgique. Tel Ulysse, après bien des avanies, je rentrais chez moi, en ma patrie bien-aimée, la version Belge d’Ithaque. Sauf que… je ne me sentais pas plus Belge que ça en réalité, je ne voyais pas de différence, comme si rien n’avait changé en passant la frontière.

Les gens avaient toujours l’air aussi cons, clones parfaits, la tête dans leur téléphone, pensant tous à la même chose au même moment. Pourquoi n’arrivais-je pas à être comme eux ? Pourquoi ?

Le problème c’est que je ne me sentais pas davantage Français. De toute façon, n’étant pas vax, j’étais de facto exclu du peuple supérieur aux autres, peuple des lumières et de l’intelligence. C’était la triste réalité, j’en aurais chialé.

Mais au fond qu’étais-je ? Je n’en savais rien, j’étais perdu. J’étais un apatride virtuel. Et les autres, pour eux, qu’étais-je ? Inexistant ? Un fantôme ? Je me perdais en conjectures.

Pour les Français, j’étais un odieux traître, voulant se soustraire à l’impôt bienveillant, ciment de la nation et à la pensée socialiste, seule pensée possible ; un égoïste, un ignoble populiste, en un mot comme en mille, un mécréant, un paria, un déviant.

Et pour les Belges ? Je n’étais qu’un immigré de plus, une pourriture Française pleine de prétention et d’à-priori qui se croit supérieure aux autres, qui ne parle pas la langue Belge, seule langue capable d’exprimer la subtilité de la chose Belge et son humour à nul autre pareil. Non, parce que sérieusement tu as déjà pu rire d’une blaguounette Belge ? Moi pas. Tu vas me dire que c’est à cause de la traduction en Français, que tu perds l’esprit… Je sais…

Et chez moi, en mon foyer chéri, qu’allais-je trouver ? D’ailleurs, ce n’était pas vraiment chez moi et cette famille n’était pas la mienne en réalité. Quoi ? C’est glauque ? Je sais, je sais… Ma faute ? Nan...

Je sombrais dans un océan de pensées pessimistes, probablement aussi parce que j’écoutais Arvo Pärt « quantus in memoriam ». Oui, la pisseuse de Taylor Swift ne me fait pas kiffer. Quand je te dis qu’il y a quelque chose de pourri dans ma cervelle !

Par-dessus tout, le fait de ne pas avoir été payé de ma dernière mission me minait le moral. J'en crevais.

Pouvais-je retirer quelque chose de positif des derniers rebondissements de ma vie ? En première approximation, je dirais non. Quelques coups vite faits, un chèque chiffonné et perforé de multiples trous d’agrafes. Avais-je été aimé ? Non. Rien n’allait.

J’arrivai en fin d’après-midi, dans la nuit Belge d’hiver, car la nuit en Belgique est différente. Elle n’est pas nuiteuse, elle est grise. Si, c’est la vérité. La Belgique est un pays pâle, on lui a volé ses couleurs. La Suisse manque d’oxygène, la Belgique manque de lumière, la France manque de liberté.

Les filles étaient affalées sur le canapé devant la télé, telles des poupées fondues, tordues, coulantes, avachies, molles, des personnages de Dali. À ma vue, elles se mirent en marche, la vie s’alluma dans leurs yeux et elle se précipitèrent sur moi, m’assaillant de questions, me bousculant, me harcelant. Un chaos indescriptible éclata dans la maison, des cris, des exclamations.

Liliane apparut vêtue d’une tenue étrange, sorte de soutane tibétaine, cheveux tirés en arrière, l’air grave d’une fêlés constipée. Les femmes ont toujours un problème, une maladie organique ou mentale, en un mot comme en mille, un truc qui déconne. Si tu connais une femme qui va bien, ne la lâche pas. C’est une rareté.

Les questions fusaient. En réalité tous pensaient ne jamais me revoir, que j’étais un salaud, une racaille Française, que je les avais oubliées et que j’avais refait ma vie avec la mère Chiffon.

Je m’indignais, arborant mon honneur bafoué comme une médaille. Mais elles s’en fichaient royalement. La réputation est une malédiction. On oublie le mec mais la réputation persiste.

Nous passâmes les fêtes de Noël en famille dans une niaiserie conventionnelle et des dépenses exorbitantes. Les filles regardaient les series sentimentales la larme à l’œil en bouffant des cochonneries qui leur donnaient un gros cul. Misère que cette vie. Il faut bien en convenir, je n’ai pas ma place en ce monde. Je suis étranger partout.

J’étais constamment appelé, interpellé serait plus approprié ; jamais en paix, point de repos et de calme.

— Lorenzo, va faire les courses, c’est ton tour ! Et n’oublie pas de revenir !

— Poussin, sors la poubelle, tu seras gentil ! T’en fiche pas une, c’est un scandale !

— Lorenzo, bouge tes fesses ! Je ne suis pas ta bonne ! Aide-moi, bordel !

— Doudou, joues avec moi !

— Lorenzo Bueno, tu m’as piqué du fric ! Ne me mens pas ! Je te connais ! Tu es un voleur, c’est plus fort que toi ! Menteur, voleur, cavaleur, mais tu es…

— Maman, Lorenzo est méchant ! Il veut pas m’aider à faire mes maths !

— Lorenzo, c’est pas encore réparé ce truc ? Tu avais promis pour hier ! On ne peut pas compter sur toi. Mon ex, lui...

— Lorenzo, c’est la Police ! Qu’est-ce que tu as encore fait ?

— Lorenzo, emmène-moi à l’hôpital ! Et arrête de te foutre de ma gueule… Je te dis que j’ai mal, c’est que j’ai mal ! Si c’est possible ! Et je ne suis pas toujours malade ! C’est ta faute ! Je le sais !

— Je te hais ! Tu es le pire mec que j’ai connu… Ne dis pas un mot de plus, je te préviens… Je t’aurais prévenu !

— Non, je ne dépense pas trop ! Tu es radin ! Tu es un avare avaricieux ! Le pire défaut d’un mec !

— Salaud de pauvre ! Mais qu’est-ce qu’il m’a pris de t’aimer ? Quoi ? Personne ne veut de moi… Viens ici, je vais t’en coller une…

— Lorenzo, tu trouves que j’ai grossi ? Hein ? Tu me dis quoi ? Que je passe la porte en biais ? Tu trouves ça drôle ?

— Ma psy dit que tu me détruis psychologiquement… Hein ? Si, tu es un harceleur moral, voilà !

— Dis-moi quelque chose de gentil… Hein ? C’est gentil ça ? Je ne suis pas vieille, salopard !

— Lorenzo, c’est quoi ? Tu as foutu le feu ? Comment c’est pas toi ? Il n’y a que toi qui fait des conneries !

Ma vie était un enfer. Je songeais à ce que Delphine m’avait dit dans sa candeur « t’es pas heureux, là-bas »… C’était la triste réalité, j’étais fait pour souffrir.

Pour la fin d’année, mère et filles partirent chez le père d’ Ilana, un mec riche que j’imaginais être un mafieux Russe. Peut-être l’était-il vraiment mais je n’avais pas l’envie d’en savoir davantage sur lui. Évidemment, je n’étais pas du voyage.

— Lorenzo, tu comprends, hein ? Ce serait… comment dire… inconvenant. Et puis tu t’ennuierais, je te connais, tu ne tiens pas en place, ça finirait en cacahuète. De toute façon, on ne reste pas longtemps. Quelques jours. Tu ne t’en rendras pas compte. Le frigo est plein et madame Suza passe tous les jours.

— Ouais…

— Tu m’en veux ?

— Nan…

— T’es sûr ? Quand tu fais cette tête…

— C’est cool.

— Tu m’aimes ?

— Ouais…

— Tu sais à quel point je t’aime et que tu comptes beaucoup pour les filles… Lorenzo ? Tu m’écoutes ?

— Ouais…

Je me retrouvais seul dans la maison, en cette fin d’année triste comme la fin du monde. Il faisait pluie, gris, sombre, un temps idéal pour se suicider. Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe, comme le dit si bien la Fontaine ? Le monde actuel n’est point fait pour ceux qui pensent, parce que le monde pense pour vous vu que vous pensez de travers. Aussi, je décidai de ne plus penser.

Je me plongeais dans les échecs en ligne, cela allait achever de me casser le moral et me faire ressentir ma nullitude en me faisant défoncer le… comme d’habitude, parce que je tombe systématiquement sur plus fort que moi. À chaque fois, j’en sors détruit et je m’en veux atrocement. Pourtant, j’y retourne toujours avec le secret espoir de finalement gagner une partie. Je suis fait d’espoir, malgré les ratages, je ne désespère pas de gagner, un jour...

L’après-midi s’étirait lentement. Aigri et désespéré, je finis par prendre le vélo et partis faire une balade, roulant dans le quartier huppé de la bourgade bourgeoise. Les belles demeures défilaient, avec leurs allées impeccables, les autos rutilantes, le malinois de garde se dressant et aboyant à mon passage, certains m’apportant leur balle dans l’espoir d’un peu de distraction. Les rues étaient désertes, l’horizon bas limité par une brume légère et l’on entendait le pépiement d’oiseaux Belges. Les oiseaux Belges sont différents, je ne comprends rien à ce qu’ils racontent. En France, c’est clair, ça parle grève, Big M le bon roi des Francs et même parfois politique sociale. En Belgique, c’est comme s’ils avaient fumé le chichon, d’ailleurs ils volent de guingois, ils volettent et pff… ils s’écrasent plus qu’ils ne se posent.

Quoi ? C’est du délire ? Bah, regarde, cousin !

Au détour d’une grande courbe, se profila la propriété la plus luxueuse du coin, celle d’une parvenue qui se faisait appeler la comtesse, grande voleuse devant l’éternel. Soudain :

— Lorenzo, mon copain ! m’interpella un gaillard.

C’était Philibert, un expat Français, le gardien de la propriété somptueuse qui vivait dans la maisonnette jouxtant le portail monumental, avec sa femme, la Maryse, une Belge du cru qui s’était dévoyée avec un Français. Gros ventre, visage bouffi mais avenant, cheveux clairsemés, sourcils broussailleux, nez patate, regard vif et pétillant, voilà le Philou. Immenses lunettes carrées, visage grêlé de taches de rousseurs, cheveux paille, petite bouche, yeux doux comme ceux d’un cheval, c’était la Maryse. Ce couple de quadra sympathique, vivait là dans l’illusion du luxe, surveillant et entretenant le domaine, rêvant de la vie ce ceux qui voyagent dans l’existence en première classe. L’effet waouh du fric, c’est un truc incompréhensible. Personnellement, je le ressentais, mais cela ne me faisait pas rêver. Moi, j’avais une envie pressante d’y mettre le feu, mais je ne suis qu’un sociopathe, un révolutionnaire Français.

Comment avais-je connu le Philibert ? Il faut que j’explique ce phénomène inexplicable qui m’accable : il faut que les gens viennent me parler, c’est dingue, mais c’est comme ça. Je ne fais rien de spécial, je suis même plutôt renfrogné, mais c’est une constante, il se trouve toujours un mec ou une meuf ou même un animal qui ne peut s’empêcher de me parler, de me demander un truc et fatalement, cette personne se trouve à me raconter sa vie, ce dont je me fous royalement. Les animaux aussi !

C’est ainsi qu’un jour que je passai, faisant ma balade, je tombai sur Philibert qui s’extasia sur mon vélo rose.

Pourquoi rose ? Parce que c’est le vélo d’Océane, celui d’Ilana avec les fleurs cucues est trop petit pour moi, j’ai l’air d’un bouffon dessus !

Il faut savoir que le Philibert est un fana de vélos, trottinettes, motos… Il répare, améliore, entretient, revend, achète surtout… Toujours dans son garage avec un outil dans une main et une chopine dans l’autre, veillant sur le peu d’animation qui passe devant chez lui.

Tout heureux de me voir, il vint à ma rencontre.

— Lorenzo, j’ai un vélo pour toi, mon copain ! Une merveille avec un moteur et tout ! C’est une affaire !

— J’ai pas le rond !

— On s’arrange ! T’inquiète. À ce prix c’est un cadeau ! Viens boire le café et dire bonjour à la Maryse !

— Pas le temps… Je suis à la bourre. Faut que...

— Déconne pas ! Viens ! Tu vas pas aller te galérer dans la bidoule avec ce temps ! La Maryse, elle a fait la tarte aux prunes ! On va se ré-ga-ler. Je vas pas te laisser traîner avec ce vélo de tarlouze...

— Mé nan !

— Philibert, à qui que tu causes encore ? demanda une voix aiguë.

— C’est Lorenzo ! Viens-z-y voir !

— Le Français ?

— Il est Belge maintenant, tu sais bien !

— Peuh ! C’est pas parce qu’il a mangé une frite… Le prends pas mal Lorenzo, mais t’es trop Parigot pour être Belge. Même quand tu dis rien, tu te moques.

— Mé nan… T’as maigri la Maryse ? Comme t’y es belle !

— Tu vois Philibert, il se fout de moi !

Et voilà la Maryse qui me bisouta les joues. J’étais fait comme un rat, j’étais bon pour le café, le pousse café, la tarte, le chocolat Belge (le meilleur du monde, of course) et le mini-chien Titi, qui allait me coller, me renifler et me léchouiller la face.

— Raconte, mon copain, où que t’étais ? Queque t’as fait !

— On veut tout savoir ! renchérit la Maryse.

Est-ce que j’en pose des questions aux gens, moi ? Est-ce que leur vie m’intéresse ? Non. Je n'aime pas les gens en réalité. J'aime le fric, la baise, la liberté... Les gens me gonflent.

Seulement, je suis un conteur, alors…Il faut toujours que je parle... je parle... je parle...

Bzzzz !

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