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Sous les yeux médusés de Maryse et Philou je racontais mes dernières péripéties et mes rencontres malheureuses avec de mauvaises femmes (pléonasme).

— Bah mon copain ! s’exclama Philou complètement estomaqué, les yeux rêveurs, tentant de se figurer mes récits.

— Mais t’es pas mort finalement ? s’enquit la Maryse, non parce que quatre fois… C’est trop garçon, c’est trop !

— Putain, quatre fois, commenta Philou rêveur, putain Lorenzo quand je pense…

— Mais de quoi tu parles Philibert ? grogna Maryse. Bois ta chopine et ne commence pas à dire des conneries !

— Non mais quand même…

— Alors, écoute-moi bien Philibert, tu sais que je t’aime, tu es mon mari, mais même pas en rêve !

— Oui mais…

— Ne l’envie pas, regarde-le, il n’est pas heureux cet homme, alors que toi… Pfff !

— C’est pas faux… fit-il, dubitatif.

— Moi, je suis malheureux ?

— Bah, c’est évident mon pauvre Lorenzo. Un homme heureux n’a pas besoin de culbuter toutes les femmes. D’ailleurs un homme heureux n’a point besoin de sexe, l’amour lui suffit et le comble, c’est ainsi qu’il devient apaisé et productif.

— Maryse, tu peux pas dire ça… commença timidement Philou.

— Tais-toi donc. Laisse-moi expliquer à ce pauvre Lorenzo !

— Nan, mais je culbute pas ! On m’a agressé sauvagement !

— C’est parce que tu traînes avec de mauvaises femmes ! Des femmes perdues que des hommes méchants ont perverties.

— Des hommes méchants ?

— Oui, car en définitive, l’homme viole toujours la femme. C’est la triste vérité.

— Même si elle est consentante ?

— La femme qui consent est sous emprise, manipulée, harcelée moralement, conditionnée par le système, l’éducation. D’ailleurs quand elle y repense, longtemps après…

Maryse s’interrompit, pensive.

— Hé bé, quoi ? s’impatienta Philou.

— Elle porte plainte pour viol. Obligé !

— Ma femme est folle ! s’indigna Philou.

— Mon Philou, tu vas finir en ‘zon.

— Ne te moque pas, mon copain ! Mais enfin, Maryse ! Tu lis trop ces cochonneries de magazines féminins !

— C’est la vérité ! Mais évidemment, tu ne veux pas la voir !

— Non, c’est du BRIN !

— Philibert, ne commence pas à crier !

— Je ne commence pas à… Tiens, je suis tellement contrarié que tu ferais bien de sortir la prune.

— Tu as raison, poussin. Ça nous fera du bien. On parle, on parle et on s’assèche le gosier. Ah, Lorenzo, on peut dire que tes histoires nous ont remués. Mon pauvre, quelle vie de chien, mais quelle vie !

— Ah ça oui, alors ! Goûte cette prune de derrière les fagots, mon copain, tu m’en diras des nouvelles.

J’humectais mes lèvres de cette liqueur étrange, tirant sur le vert émeraude avec des reflets de pisse. Aussitôt un spasme agonique me saisit et ne me lâcha plus : je tombai de ma chaise.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette merde !

— C’est relevé à l’échalote et au jus d’ail.

— C’est du déboucheur à chiotte !

— Il est taquin ! C’est ça les Français, commenta Maryse en faisant claquer sa langue sur son palais.

— Oh putain, je vais crever!

— Lorenzo, t’es tout rouge ! Finis donc ton verre !

— Appelle les secours, connard !

Il me fallut de longues minutes pour digérer la goutte qui avait franchi la barrière de mes dents, comme le dit Homère. J’en sortis détruit et ma flore digestive était anéantie. Cela amusa beaucoup Maryse et Philibert qui se resservirent et trinquèrent en mon honneur.

— Tu vois Lorenzo, ne le prend pas mal, mais tu n’es point Belge.

— C’est sûr ?

— Tu supportes pas la prune de Wallonie.

— C’est vrai ça mon copain. Mais c’est pas grave, on t’aime bien, hein, la mère ?

— C’est vrai. Même qu’on a de la peine pour toi.

— Pourquoi ?

— Bah, t’es pas heureux dans ta vie.

— Moi ?

— Oui. C’est évident. Tu vois dans la vie, il n’y a que l’amour qui compte et toi, tu n’es pas aimé… Ces femmes que tu rencontres profitent de toi, c’est tout. En réalité, elles ne te donnent rien.

— J’ai une femme et deux gosses !

— Oui, enfin… Remarque, je l’aime bien Liliane, elle a du mérite, mais quand même…

— Dis pas ça Maryse. Elle a changé depuis qu’elle est avec Lorenzo !

— Le pauvre.

N’y avait-il pas là quelques sous-entendus perfides ? Cela me plongea dans une perplexité totale. M’étais-je fourvoyé toutes ces années ? Peut-on passer toute sa vie à côté de ses pompes ? La réponse semblait être l’affirmative. RLAAA !

— Non, mais… commença Philou compatissant.

— Tais-toi donc, imbécile ! fit Maryse se levant pour ranger sa cuisine.

Un silence gêné se fit. Le chien haletait, le regard brillant posé sur moi. La vieille pendule égrenait un temps inutile, les dernières secondes d’une année s’écoulaient en pure perte, car j’étais toujours aussi pauvre.

— Et sinon tu passes les fêtes avec ta « famille » ? demanda Philou.

— Elles sont cassées chez le père de la petiote. Suis seul.

— Sérieux ? Tu vas faire quoi ?

— J’ai le choix. Seppuku, échecs en ligne… ou…

— Ou ? firent les deux compères.

— Mater un porno.

— Ah non alors ! s’exclama la Maryse. Tu vas passer le réveillon avec nous. On a besoin d’un extra, tu te souviens Philibert ?

— Que oui ! C’est ta chance mon copain ! On peut dire que tu es verni toi !

— Hein ? Mais de quoi vous parlez ?

— La comtesse organise sa réception de fin d’année au manoir. On fait le service comme tous les ans. La Maryse fait la tambouille et je sers à table. Après le repas on se goinfre avec les restes de homard, caviar, foie gras et j’en passe. Le Bollinger coule à flot, mon copain ! On se ré-ga-le !

— Tu peux pas imaginer ! Elle commande dix fois trop ! On voit bien que l’argent lui coûte rien. Vers une heure du matin ces messieurs-dames s’en vont forniquer à la piscine et sniffer leur poudre blanche dégueulasse et on peut profiter du luxe et d’un repas de rois, expliqua Maryse des étoiles plein les yeux.

— Je comprends toujours pas.

— Bah, tu vas m’aider pour le service ! Tout seul, c’est la galère, mais à deux, ce sera peinard.

— Moi, larbin ? Mé nan !

— Tu vas pas faire le prétentieux ! s’indigna la Maryse. Et en plus c’est bien payé.

— Enfin… Pour toi, ce sera un prix sur un vélo… intervint Philibert.

— Ne sois pas radin, Philibert ! Il aura sa part ! C’est normal !

— Combien ?

— Bah… C’est selon… Mais en général, elle barguigne pas la comtesse, t’inquiète. C’est une bonne patronne, ça, y rien à redire. Et puis, tu vas voir le luxe… Mazette… C’est pas croyable.

Il y avait là une opportunité… Cela faisait longtemps que je lorgnais sur ce manoir cossu et les trésors qui devaient s’y ennuyer, oubliés du monde. J’avais eu l’occasion de faire quelques pas dans le parc magnifique, aperçu la piscine olympique couverte avec ses mosaïques et son sauna copulodrome, contemplé les cours de tennis et finalement, vomi devant la piste d’hélico. Oui, j’ai l’envie vomitive, je n’arrive pas à accepter d’être une créature rampante sur cette terre. Il y avait là un coup à faire et je pourrais toujours cracher dans les assiettes pour soulager ma frustration et ma honte.

— Alors, tu en es ? me demanda Philou, secouant mon bras.

— Laisse Philibert ! Môssieur ne veut pas s’abaisser aux tâches subalternes. Ce n’est pas un prolétaire comme nous-autres !

— J’en suis !

— Il faudra mettre le costume, tu vas voir, tu vas adorer, fit Philou, tout joyeux.

— Quoi ?

— En laquais… C’est… trop marrant !

— Mé nan…

— C’est trop cool ! J’te jure ! La perruque et les bas blancs.

— Tu vas adorer ! renchérit Maryse me tapant dans le dos.

— Jamais de la vie, je…

— La Maryse est en soubrette ! Avec les nichons qui bloblotent dans le décolleté !

— Philibert ! Tu m’agaces !

— Vous êtes complètement siphonnés !

— Sois pas chien !

— Il est Français, c’est tout.

— Je suis Belge, bordel !

— Un ch’ti canon, mon copain ! Pour la route. Cul sec.

Dans le feu de l’action, j’oubliai mon expérience désastreuse précédente, je gobai le liquide infâme et… filait aux toilettes refaire la peinture. Je n’étais désormais plus étanche.

Il faut parfois consentir à faire des sacrifices pour devenir Belge.

Je rentrai en proie à d’affreuses coliques avec une haleine de chacal (l’ail c’est tenace). Il me restait quelques heures pour me remettre avant de revenir pour la grande soirée de réveillon.

Bzzz ! Il faut que j’enfile le costume. Il y en a qui bossent !

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