PROLOGUE - Le Réveil

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L'obscurité. Une pénombre fraîche et confortable que seuls les rais de lumière parvenaient à percer régnait sur son trône. Et derrière cette incisive nuance de clarté, une grande salle se révéla peu à peu à ses yeux mi-clos.

La pièce était fidèle à ses derniers souvenirs... Quoique davantage délabrée, maintenant qu'elle y prêtait mieux attention. Outre les ouvertures plus larges du plafond, il était difficile d'ignorer le pan de mur écroulé sur une bonne partie du côté gauche. L'odeur sucrée de nouveaux végétaux s'était ajouté aux parfums boisés des autres buissons et ronces. Trois piliers manquaient encore parmi les deux rangs de colonnes fissurées. Dans la profondeur de la salle, elle pouvait entendre les cris plaintifs s'élever d'un nid d'hirondelle installé dans les gonds d'une des portes ruinées. Au sol, la terre arrosée par la rosée avait davantage mangé le carrelage sombre de l'allée, et la mousse diamantée de gouttes d'eau continuait de propager sa verdure avec avidité ; un peu de la même façon que le lierre, dont les branches sinueuses et rugueuses s'étaient faufilées sous elle, la piégeait des pieds à la terre.

Plusieurs décennies s'étaient de nouveau écoulées depuis son dernier réveil. Cela la laissait de marbre, autant que le parangon froid du siège sur lequel se reposaient ses cuisses fuselées et sa queue duveteuse. La vie qu'elle menait depuis trop longtemps n'avait plus aucun intérêt. Puisque son rôle de monarque était réduit à néant, les rares fois qu'elle sortait de son état hibernal ne lui apportaient qu'ennuis et solitude. Déambuler comme une âme en peine sur les chemins tortueux de son royaume était la meilleure solution pour la replonger dans la folie. Il restait sans nul doute préférable pour tout le monde qu'elle retourne dans son repos sans rêve.

Elle ferma ses yeux vert-de-gris dans l'intention de se rendormir, lorsque ses longues oreilles se dressèrent au son soudain d'un battement d'ailes. De toute évidence, une petite furie venait d'entrer dans la salle du trône, annonçant ainsi l'heure du repas aux oisillons qui, animés par une énergie nouvelle, redoublèrent d'intensité leurs pépiements.

Un soupir las s'échappa de ses lèvres fines. Il était impossible de retrouver les bras de Morphée avec ce vacarne ; d'autant que son corps, ce traître, s'étirait maintenant de tout son long. Sa prison de tiges sèches et de tissus trop vieux s'effrita sur sa peau claire et provoqua un nuage de poussière qu'elle fuit sous une quinte de toux. Soucieuse de se défaire de tous ces résidus rapidement, elle céda au plaisir simple de se secouer dans un mouvement purement canin.

  • Voilà qui est mieux ! souffla-t-elle de soulagement, non sans se débarrasser des dernières couches de saleté sur son corps à présent nu et des quelques brindilles toujours coincées dans sa crinière fauve.

« Je ne voulais pas t'arracher à ta méditation, ma chère Felicis, mais nous avons de la visite. »

Felicis se figea ; la surprise d'entendre cette voix profonde qu'elle ne connait que trop lui fit manquer un battement de cœur.

Lorsqu'elle se retouna, le fantôme d'un homme s'accrocha un bref instant au trône jumaux. Ce fut assez pour qu'elle puisse contempler son roi.

Vêtu de son habituel manteau de velours sur ses robes aux ornements dorés, il était assis de manière décontratée mêlée à sa prestance naturelle, et son visage placide se reposait nonchalamment sur son poing. Oui, c'était avec ce sourire doux, un brin malicieux, et ces yeux pétillants de couleur ambre que son compagnon avait coutume de l'accueillir. Il avait toujours eu ce don, cette éloquence attractive qui, même pendant les disputes les plus aigres, brisait ses résistances et lui suscitait l'envie de s'abandonner à ses étreintes.

Cette illusion issue d'un hypothétique reste de somnolence transperça Felicis avec une incroyable cruauté. Alors qu'elle scrutait le trône désormais innoccupé, sa main se leva pour se loger contre sa poitrine ; cette inlassable absence creusait en elle un vide insupportable. Elle voulait pleurer, mais les larmes s'étaient taries depuis longtemps. Sa gorge, cependant, n'était qu'une douleur nouée et son estomac, contracté par l'angoisse et les spasmes, lui donnait l'impression d'avoir avalé un bloc de pierre.

À chaque réveil, son esprit subissait un leitmotiv obsédant qui la plongeait tour à tour dans une spirale de tourmentes indicibles : chagrin, colère, regret, puis hésitation et résignation ; toujours dans cet ordre. Ce coup-ci ne faisait, hélas, pas exception.

Un rictus tordit la commissure de ses lèvres face à tant d'ironie. La morsure d'Azylum, la Chimérienne, le fauve de Ravatog : des noms que l'on prononçait avec effroi avant de périr de sa main. Elle avait remporté bien des batailles, ses ennemis ployaient devant elle et son peuple chantait ses louanges. Et pourtant, cette même reine était aujourd'hui prisonnière de sa propre couronne à travers des promesses qu'elle ne pouvait rompre et tremblait à l'unique pensée de perdre son bien-aimé à jamais. Elle échouait à trouver une solution au dilemme de cette situation en apparence si simple, incapable de choisir entre la survie de ses sujets et celle de son compagnon. Bahamut devait sans doute rire devant son impuissance. À ce rythme, le royaume d'Azylum s'éteindrait bientôt sans qu'il ait à lever une griffe.

« Laissez-nous vous aider à retrouver le roi, votre Grâce, » assura une voix doucereuse et arrogante derrière elle.

Felicis détourna son regard mélancolique des trônes et fut peu surprise de voir apparaître un autre fantôme du passé. Cet étranger l'avait marquée pour ses cheveux de sable qui lui remémoraient les étés les plus arides et ses yeux dont le bleu n'avait rien à envier aux mordants glaciers de Shiva. Ces traits fins et harmonieux semblables aux siens étaient ce qui l'avait davantage perturbée.

L'Homme avait été créé à l'image des dieux. Il n'était donc pas rare d'apercevoir une ressemblance toute relative chez certains individus. Le savoir ne lui avait pourtant pas épargné le choc d'une première audience avec un de ses similis. Sentiment intensifié par une analogie aussi frappante. Encore à cet instant, Felicis sentait la sueur froide descendre le long de sa nuque.

Lui et un attroupement d'hommes revêtus d'armures étranges s'étaient invités dans ses souterrains pour proposer au couple royal une alliance entre leurs deux patries. Felicis restait une sage : elle avait remarqué que son réveil leur avait coûté l'occasion de prendre d'assaut le territoire. Venus en conquérants, ils n'avaient sans doute pas prévu qu'il subsiste quelqu'un pour le défendre – encore moins qu'il s'agisse d'une légende toujours vivante. Ils ressemblaient à des enfants saisis la main dans le sac et elle s'était attendue à les voir déguerpir au moment où ils réalisaient qui se dressait devant eux. Néanmoins, malgré la crainte à peine dissimulée sur leur visage, ils s'étaient montrés bons joueurs et sous l'ordre de leur chef, ils avaient rendu tous les biens.

Felicis ignorait toujours ce qui leur avait permis de poser le pied sur ses terres. Avant leur arrivée, personne ne s'était introduit ici depuis que les portes avaient été scellées. L'homme, qui s'était présenté sous le nom sinistre de “Verstael Besithia”, semblait en particulier bien renseigné et peu choqué de constater l'absence du roi.

Il avait profité de ce détail pour lui proposer un marché : en échange de son aide pour renverser le royaume du Lucis et d'un soutien politique et militaire, l'empire du Niflheim offrait à Azylum une amitié profonde fondée sur la restitution de leurs territoires légitimes, la reconstitution de l'histoire et laver la réputation du couple suzerain aux yeux du monde.

Ce jeune homme n'avait absolument rien laissé au hasard, car il avait également émis de possibles échanges ; notamment basé sur les recherches scientifiques et médicales afin de combattre les dæmons qui menaçaient Eos en permanence et développer un traitement pour soigner la Peste de l'Étoile de manière définitive. Retrouver le roi et lui permettre de revenir sur son trône était la première promesse de cette éventuelle alliance.

Felicis se frottait le bras avec inquiétude. Apprendre que cette horrible épidémie sévissait toujours avait été un choc. Elle n'était pas prête à oublier que son époux l'avait quittée pour détruire ce fléau pour de bon. La pensée qu'il ait pu échouer était inconcevable. Pourtant, fort était de constater que Besithia disait la vérité sur ce point.

Néanmoins, aussi alléchante que leur proposition semblât être, il en fallait beaucoup plus pour tromper l'éternelle reine. Elle devait admettre que les mots de ce haut militaire étaient habiles et convaincants, mais Felicis ne se serait jamais laissée duper par ces viles manigances ; il n'était certainement pas le premier manipulateur qui aurait essayé de la séduire.

Cet empire avait visiblement beaucoup d'intérêts dans leur puissance divine et par la richesse de leur oasis. Azylum était un royaume épargné des ténèbres et de sa monstrueuse épidémie au sacrifice de son roi qui, en dépit de sa disparition, continuait de le protéger sous un dôme solide issu de ses pouvoirs. Elle soupçonnait que les motivations du Niflheim étaient animées par cette guerre en sommes toute cupide. Il paraissait évident qu'ils ne souhaitaient rien de plus que les soumettre et les exploiter jusqu'à leur dernière ressource. Il était inacceptable pour Felicis de leur céder quoique ce soit à un gouvernement louche dont elle ignorait tout. Azylum ne pouvait pas se permettre de s'engager dans quelque chose d'aussi risqué, même si cela signifiait de retrouver son suzerain. Ce n'est certainement pas ce qu'il aurait voulu.

Ainsi avait-elle décidé de rejeter leur offre et de leur demander de se retirer sans autre forme de discours.

Cependant, cela avait offusqué les compagnons de Besithia, convaincus qu'elle les avait insultés. Leur réaction excessive avait au moins confirmé ses doutes. Résultat de quoi, les restes de leur cadavre et de leurs armures gisaient dans la salle du trône, aujourd'hui à moitié ensevelis sur le sol. Seuls le blond et une poignée de ses soldats avaient pu sortir de son royaume en vie. Elle s'était attendue à des représailles et ça n'aurait pas été pour la déplaire. Au contraire, elle s'était fait une joie à l'idée de pouvoir tromper son ennui avec un peu de distraction. Toutefois, ce fut une surprise de réaliser que personne d'autre ne s'était aventuré ici après cela.

Quoique...

Le nez mutin de la souveraine se fronça tout d'un coup.

Si aucun humain n'avait pénétré son territoire depuis, pourquoi cette lointaine odeur salée et ferreuse persistait-elle dans l'air ?

Ses yeux s'étrécirent et ses iris se fendirent. Un sourire gourmand se dessina alors sur ses lèvres rosées, dévoilant un peu ses canines acérés. Comme pour affirmer ses soupçons, une forte détonation résonna au loin.

  • Ho ho... ? gloussa-t-elle avec intérêt.

Felicis avança jusqu'à une large ouverture de la salle et jeta un œil sur l'étendue de jungle. Cependant, ce qu'elle vit la rendit soudainement blême.

Bien au-delà des ruines de la cité d'Aeternalis, au pied des grandes portes de pierre d'Azylum, le dôme écarlate frémissait sous plusieurs vagues d'énergie.

Son cœur se contracta avec violence. Jamais auparavant la paroi du mur magique n'avait été aussi visible et palpable ! Elle ne comprenait aucunement comment cela pouvait être seulement possible.

Une autre secousse ébranla la barrière. Felicis n'en chercha pas la cause longtemps. Une immense et redoutable calamité essayait de la franchir à coups de battoir et ses tentatives provoquèrent un tel vacarme que les animaux environnants détalèrent dans un brouhaha de cris et de beuglements.

Felicis observa soucieusement la scène lointaine. Bien qu'elle ne fût nullement inquiète de l'efficacité du mur de son époux, la nature de la créature démoniaque lui était totalement inconnue et ne présageait que de bien mauvais augures.

En regardant un peu plus bas des escaliers de l'entrée, elle vit quatre humains armés chercher en vain d'empêcher la chose de les rejoindre. Felicis devina facilement que ces intrus avaient croisé le chemin du dæmon au détour d'un couloir dans son labyrinthe et l'avaient fui de toute leur force. Quelque part, c'était une chance qu'ils soient parvenus jusqu'ici... une chance insolente et admirable.

Un claquement de doigts plus tard la fit brièvement disparaître dans un tourbillon de flammes. Felicis réapparut lavée de toute souillure. Puis, virevoltant ses cheveux fauves fraîchement coupés et ses habits royaux, elle se détourna du panorama pour se diriger vers les portes de la salle du trône dans une marche ambitieuse et assurée. Et tandis qu'elle franchissait le seuil de l'immense pièce, Felicis, la Reine des Bêtes d'Azylum se volatilisa en un éclat cristallin.

  • Tu as raison, mon bien aimé roi, vibra l'écho de sa voix suave, il est temps d'accueillir nos nouveaux invités.

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