CHAPITRE 1 - Le Mur Écarlate

19 minutes de lecture

Les majestueuses colonnes luminescentes éclairaient les galeries froides et silencieuses lorsque Prompto s’arrêta pour admirer les fresques antiques qui longeaient les parois de la grotte. Même après deux ans à explorer de multiples donjons, il se surprenait de découvrir encore des trésors jamais dévoilés.

Il leva l’objectif de son vieil appareil photo et un bref flash éclaira les environs tandis qu’il captura les gravures décolorées du mur rocheux. Malgré certaines parties effacées par la corrosion ou tapissées de calcaires, les reliefs retraçaient à merveille les légendes d’Eos. Les peintures offraient tant de détails qu’ils lui procuraient la troublante impression d’être témoin d’une lointaine période chaotique et sanglante. Prompto pouvait presque entendre les rugissements effroyables d’Ifrit alors qu’il se lançait à corps perdu dans la bataille et sentir le souffle de ses flammes vengeresses brûler sa peau.

À l’école, chaque enfant apprenait que le dieu du feu, mécontent de la civilisation du Solheim, avait provoqué la Grande Guerre Divine en décimant la quasi-entièreté de l’humanité avant d’être lui-même exécuté par les autres Astres. Pourtant, ces dessins semblaient dépeindre une version toute différente : bouffis d’orgueil devant leur prodigieuse avancée technologique, les Hommes avaient retourné leurs armes contre le bienfaiteur qui les avait tant gâtés. Cette infâme trahison avait plongé Ifrit dans une telle rage qu’il avait voulu embraser ces mortels ingrats dans un océan de lave. Les autres dieux avaient alors été contraints de le combattre pour sauvegarder Eos. Cependant, malgré les maintes tentatives de réconciliation, les conflits n’avaient fait qu’empirer.

Prompto souhaitait connaître la suite, mais plus le récit se développait, plus il était dévoré par l’usure du temps. Désireux de se plonger davantage dans les scènes intenses qui défilaient devant ses yeux bleu lapis, il accéléra le pas. Avec un peu de chance, la fresque serait peut-être moins dégradée un peu plus loin.

Un sifflement douloureux le ramena abruptement au présent alors qu’il allait percuter de peu son ami devant lui.

— C’était mon pied, nota Ignis sur un ton de reproche.

— Oh ! J’suis vraiment désolé !

Penaud, Prompto reprit une distance respectable entre eux, puis ajusta son lourd sac à dos sur ses épaules. Se souvenir de l’endroit où ils se trouvaient le fit racler la gorge d’inconfort. C’était en effet plus judicieux qu’il reste attentif à son environnement. Sa négligence aurait pu lui coûter la vie dans différentes circonstances.

Ignis et lui – mais aussi trois autres camarades : Gladiolus, Cor et Talcott – étaient profondément enfoncés dans les souterrains de Nortlecov. Un gigantesque labyrinthe antique construit au sein d’une large montagne isolée au nord-est du Lucis. À l’exception de quelques rencontres infortunes avec des bêtes agressives, de s’être égaré à plusieurs reprises dans les méandres des innombrables couloirs, ou d’avoir frôlé la mort en manquant de peu de tomber dans un précipice, la traversée s’était déroulée sans trop d’encombres. Finalement, après trois jours d’exploration, ils découvrirent enfin les premières pistes de la Démone de l’Aurore.

Prompto empoigna son épais manteau pour calmer les palpitations de son cœur et l’ardeur des émotions qui le submergeaient à la pensée qu’ils touchaient au but.

Depuis que la nuit éternelle avait étendu son voile de ténèbres sur Eos, tout était devenu une question de survie. La disparition du soleil avait amené la désolation sur un monde déjà détruit par la violente guerre entre le royaume du Lucis et l’empire du Niflheim. Cette obscurité, fruit d’un fléau épidémique, avait non seulement apporté d’inlassables vagues d’attaques de dæmons et la peste sur les villes et les villages, mais avait aussi bouleverser l’intégralité de l’écosystème. La nourriture se faisait encore plus rare malgré la mise en place de plusieurs structures sécurisées et l’eau pure était devenue très précieuse. La situation se dégradait à tel point que, s'ils ne trouvaient pas une solution rapidement, la famine finirait par avoir raison sur tout avant que les dæmons puissent s’en charger eux-mêmes.

Une lueur d’espoir avait néanmoins brisé leur impuissance lorsque, deux semaines plus tôt, un membre des Lames Royales avait récupéré une quantité non négligeable de livres de la citadelle Insomnia en ruine. Parmi eux, il était possible de compter quelques ouvrages sur les légendes du Lucis rédigé par le grand-père de Talcott.

Jared Hester avait fidèlement servi la maison Amicitia en tant que majordome avant de se faire tuer par un amiral impérial. De son vivant, lorsqu’il ne travaillait pas pour la famille de Gladiolus, il se passionnait pour l’archéologie et les mythes du Lucis. Talcott avait fondu en larme en retrouvant ce précieux héritage et avait consacré la semaine suivante à parcourir scrupuleusement chacun de ses carnets de notes. À la découverte du fameux passage narrant la légende de la Démone de l’Aurore, il s’était précipité dans la tente du Maréchal.

En dépit de l’agacement engendré par l’irruption de l’enfant pendant sa réunion stratégique, Cor Leonis avait accepté d’écouter ce qu’il avait à dire. Après tout, ce n’était pas dans les habitudes de Talcott de s’enflammer sans raison. Si au début, Prompto et les deux autres liges du roi Noctis s’étaient sentis sceptiques, au fur et à mesure qu’il leur exposait ses arguments, il devenait difficile d’ignorer cette histoire d’éden luxuriant interdit aux Hommes. Avec l’état critique des vivres, même Gladiolus ne pouvait se permettre d’émettre la moindre réserve devant l’idée d’aller enquêter de plus près. Comme l’avait si bien souligné Ignis : si le donjon était ce qu’il semblait être, passer à côté de cette chance inespérée était une pure stupidité, voire… de la folie.

La décision ne s’était pas fait attendre et une mission d’exploration avait été mise en place. La semaine d’après, ils étaient tous les cinq devant les imposantes portes sculptées de Nortlecov.

Prompto leva les yeux devant lui. En tête, le maréchal avançait d’un pas prudent. Alerte à la moindre menace, il tenait en permanence le pommeau de son katana dans son poing. Derrière lui, Gladiolus replaça plus confortablement Talcott sur son dos massif dans un grognement d’effort, puis reposa son regard chocolat sur les fresques.

— Ah, soupira-t-il de sa voix grave, j’espère qu’on n’est plus très loin d’un sanctuaire. Le temps est franchement long.

— Ce serait en effet une bonne idée de trouver un endroit pour camper, souffla Ignis non loin de lui.

Comme pour accompagner les lamentations de ses compagnons, le ventre de Prompto gronda.

— C’est quand qu’on arrive ? gémit-il dramatiquement. Il commence sérieusement à se faire faim, là !

— Arrêtez de geindre comme des bébés et avancez, sermonna sombrement Cor.

Les trois amis manquèrent de peu de rire aux éclats, trop heureux de constater qu’ils n’avaient pas perdu certaines habitudes datant de l’époque où ils voyageaient avec Noctis à bord de la Regalia. Prompto sentit les larmes lui monter soudainement aux yeux. Mince, rien que de penser à ces moments nostalgiques le rendait terriblement émotif.

Il se frotta les joues avant qu'ils s’aperçoivent de son élan sentimental. Il vit du coin de l’œil le jeune Talcott sagement installé sur le dos de Gladiolus tournait la tête de l’autre côté de la cavité. Il ne lui accorda d’abord que peu d’attention – chaque partie de la grotte devait être une nouveauté pour lui – jusqu’à ce qu’il s’exclame brusquement :

— Hey, là ! Regardez !

L’enfant sauta tout d’un coup pour se précipiter au loin avant même que l’un d’eux ne réagisse. Chacun de ses pas éclaboussait l’eau lumineuse qui recouvrait le sol en un voile turquoise.

— Oh Talcott, part pas comme ça ! gronda Gladiolus, le suivant de près. T’aurais fait quoi si une stalactite chutait au-dessus de toi ou qu’un monstre s’était caché derrière un pilier ? Les donjons ne sont pas des terrains de jeu, c’est dangereux ici.

— Pardon, monsieur Gladiolus, regretta Talcott. Je sais que j’ai promis de me tenir tranquille, mais là, regardez : y a un mort.

En suivant le doigt qui pointait le pied d’une des larges colonnes lumineuses, Prompto put distinguer la silhouette d’un squelette à moitié recouvert de mousse et de plantes souterraines. Bien plus que le trou béant au milieu du front, c’était les restes de vêtements militaires qui lui provoquèrent un violent sursaut. Une vague d’effroi l’envahit entièrement.

— Merde ! jura-t-il. Le Niflheim ! Qu’est-ce qu’ils foutaient ici ?

— Ces salopards de fouineurs avaient vraiment le don de fourrer leur nez partout, grogna Gladiolus faisant reculer le gamin de cette vision.

— Vous croyez qu’ils sont venus pour les mêmes raisons que nous ? demanda Talcott en repoussant son bras.

— Ça m’étonnerait fort qu’ils se soient risqués jusqu’ici pour un quelconque souci de nourriture, Talcott, ironisa la voix râpeuse de Cor.

Le Maréchal s’avança rapidement et s’agenouilla près du corps pour l’examiner en détail. Derrière lui, Ignis repositionna ses lunettes amples et opaques qui ne cachaient en rien les larges cicatrices entourant ses yeux aveugles. Il tourna la tête vers le chemin sur lequel ils s’apprêtaient à se diriger.

— Je suis inquiet de ce que l’on pourrait découvrir ici.

— Moi aussi, avoua Gladiolus. À chaque fois que nous croisions le Niflheim près d’une ruine, il y avait forcément une histoire de dæmons là-dessous.

Prompto sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale à cette idée. En outre, il y avait quelque chose d’étrange dans ce tableau macabre. Contrairement au royaume du Lucis qui combattait depuis toujours les dæmons, l’empire déchu du Niflheim avait utilisé et engagé ces horribles créatures dans leur armée. Au lieu de faire des recherches pour endiguer la menace qu’elles représentaient, ils s’en étaient servi pour augmenter leur pouvoir et leur force militaire, produisant ainsi des monstres encore plus terrifiants et dévastateurs — ce fut d’ailleurs la cause principale de leur chute précipitée. Cependant, contre toute attente, Prompto et les autres n’avaient rencontré aucune de ces calamités depuis qu’ils s’étaient aventurés dans la grotte. Cette absence frappante était inexplicable et Prompto redouta soudainement de découvrir ce qui les attendait plus loin ?

— Je n’aime pas ça, gémit soucieusement Prompto. Ce donjon n’est pas… normal.

— Je comprends ce que tu veux dire par là, affirma Ignis, en fronçant ses fins sourcils. Il y a une ambiance que l’on ne retrouve pas dans ceux que nous avons déjà explorés.

— Même en apparence ça ne ressemble en rien aux autres donjons, notifia Gladiolus d’une voix rocailleuse, et l’absence de miasme a quelque chose de peu naturel. Plus ça va, plus je me dis que nous ne devrions pas être ici.

— Si je ne vous connaissais pas mieux, je penserais que vous vous dégonflez, piqua Cor sur un ton de reproche.

Toujours agenouillé près du cadavre, le maréchal lâcha froidement le pan de tissu qu’il était en train de frotter copieusement entre ses doigts.

— Ne vous laissez pas effrayer pour si peu, les jeunes, ajouta-t-il en levant doucement la mâchoire du mort pour étudier l’état de la carotide. Si vous vous concentrez trop sur ce qui vous attend potentiellement, vous négligerez les éléments qui sont sous votre nez et vous passerez inévitablement à côté d’un détail important.

— Vous avez découvert quelque chose, Monsieur Cor ? s’intéressa Talcott, plus par curiosité que par déduction.

Cor regarda longuement le garçon. Certainement était-il en train de peser le pour et le contre sur ce qu’il allait révéler en présence de l’enfant de neuf ans. Prompto comprenait sa réticence : Talcott n’aurait jamais dû se retrouver avec eux. Il était difficile de blâmer entièrement le petit de s’être subtilement dissimulé dans leur pick-up. Ils étaient aussi responsables d’avoir été trop confiants et d’avoir oublié de vérifier leur chargement. Il y avait de quoi avoir honte, vraiment. Hélas, au moment où le mal avait été découvert, il était trop tard pour faire demi-tour, et surtout trop risqué. Ils s’avaient donc convenu de le garder avec eux, malgré la dangerosité éventuelle de l’expédition.

Finalement, le maréchal soupira et reposa ses yeux sur le cadavre.

— Je n’ai pas vu ce genre de costume depuis au moins trente ans, dit-il. Si ma mémoire est bonne, il s’agit d’un capitaine… ou d’un sous-amiral. M’enfin, quoiqu’en soit son statut, ça ne l’a visiblement pas protégé : c’était une exécution simple et efficace.

— Il a été trahi par les siens ? demanda Ignis.

— Oui, acquiesça Cor en opinant du chef.

Il leur démontra que le trou au milieu du front qui avait explosé l’arrière du crâne était dû à un tir à bout portant et expliqua qu’il était monnaie courante d’observer autant de perfidie dans les rangs de l’ancien empire. Le Niflheim avait été autrefois un régime militaire très puissant contre qui le royaume du Lucis avait lutté pendant plus d’un siècle. Cependant, au sein de sa propre armée, il y avait de nombreuses et violentes distorsions, une guerre interne pour le pouvoir. Était-ce si surprenant de voir ce pays rongé par la folie et les ténèbres s’éteindre d’elle-même ; s’effondrait de l’intérieur comme un vulgaire château de cartes ?

— Il y a des marques de lutte, cela dit, ajouta Cor. L’état de son armure et de ses vêtements en dit long sur ce qu’il a vécu.

Il prit le bras du squelette par la manche et écarta les plis du tissu bruni par le sang.

— Des griffures, larges, profondes, quoique petit pour venir d’un coeurl. Peut-être s’agit-il d’un jeune fauve. Et au vu de la traînée sur sa tunique, la bête en question l’a grièvement attaqué au visage ou à la gorge.

Prompto s’accroupit près de lui pour avoir une meilleure visibilité.

— Je vois aussi pas mal de brûlures, dit-il, mais ça ne ressemble pas à ce que donneraient des attaques de foudre d’un coeurl.

— C’est vrai, admit Cor. C’est davantage des brûlures dues au feu. Sa cape a été consumée en grande partie. Des bosses sur le plastron me laissent penser à une attaque de dæmons. Il s’est manifestement pris la masse d’un géant de fer.

— Oui, maintenant que vous le dites, déglutit Prompto, j’arrive à en voir la forme.

Ignis leva sa main vers son menton pour une posture songeuse.

— J’imagine que le groupe de l’empire s’est débarrassé d’un poids mort. De ce que vous en décrivez, il avait l’air particulièrement mal en point.

— Pourquoi ils lui ont pas donné une potion ? demanda Talcott. Ils en avaient plus ?

— Bonne question Talcott, félicita Gladiolus. Soit ça, soit ce type avait fait quelque chose qui n’a pas plu à ces “camarades”, soit ils n’avaient ni l’intérêt ni le temps de le soigner.

— Ce qui signifie qu’ils étaient sur le chemin du retour et fuyaient quelque chose, conclut Ignis.

Gladiolus grogna, se grattant l’arrière du crâne avec anxiété.

— Ça confirme ce que nous craignons, constata-t-il.

— Ça ne confirme seulement qu’il a été confronté à des dæmons, nuança Ignis. Il aurait pu être attaqué n’importe quand et n’importe où. Il est possible que la raison de leur fuite puisse être d’une tout autre nature.

— Peu importe, grogna Cor en se relevant. Maintenant que nous savons, nous avons de réelles raisons de redoubler notre vigilance. Nous ne sommes que quatre, avec un enfant inexpérimenté qui plus est.

Prompto émit un rire nerveux devant le regard perforant de Cor sur Talcott. Le garçon se renfrogna en réponse.

— Je propose que l’on rebrousse chemin et que l’on contacte Libertus pour qu’il nous rassemble une équipe de Lames Royales.

— Tu es sûr qu’elles sont prêtes ? s’inquiéta Gladiolus sans prêter attention au regard effaré de l’enfant face à cette éventualité. Les gars n’ont pour la majorité jamais été dans un donjon. Les chasseurs sont plus expérimentés pour ce genre de mission. On devrait peut-être faire appel au clan Meldacio, plutôt, non ?

— Nan, Maréchal, s’il vous plaît ! supplia Talcott. Nous sommes si proches du but ! On peut pas faire demi-tour comme ça !

— Je doute que l’on puisse se permettre une telle chose, appréhenda Ignis. Organiser une nouvelle expédition va nous demander du temps et beaucoup de matériel. Je ne veux pas être défaitiste, mais si nous ne trouvons rien dans ce donjon qui pourrait nous sortir de cette situation, nous aurions gaspillé beaucoup de ressources inutilement.

Pendant que ses amis et le maréchal débattaient d’une décision à prendre, Prompto posa de nouveau ses yeux sur le cadavre. L’empire avait nombre de défauts, mais s’il y avait bien une chose que personne ne pouvait leur retirer, c’était leur incommensurable soif de connaissance et de conquête. S’ils étaient venus ici pour repartir la queue entre les jambes, cela voulait dire qu’il y avait bien quelque chose dans ses souterrains. Quelque chose qui les avait suffisamment peur pour ne pas revenir.

Sans trop savoir ce qu’il cherchait, Prompto entreprit de fouiller les poches du cadavre. La déception et la frustration le pincèrent quand il s’aperçut rapidement qu’il avait déjà été dépouillé de ses biens, mais son instinct lui disait d’approfondir sa prospection. Il réussit tant bien que mal à retenir un haut-le-cœur au moment où il plongea la main à l’intérieur du mort recouverte de mousse. Deux ans plus tôt, il n’aurait jamais eu l’audace de faire une chose aussi ragoutante, mais être témoin de tant d’atrocité lui avait forgé le caractère.

Ses sourcils tressaillirent à l’instant où ses doigts palpèrent une forme rectangulaire et ferme sous la doublure de l’armure. Les soldats avaient sans doute raté ce détail à l’époque à cause de la corpulence de l’homme et de la déformation du métal. Mais à présent qu’il n’y avait plus de chaires et de muscles pour empêcher l’accès à cette cachette, l’objet pendait dans le vide de la cage thoracique de façon beaucoup plus évidente.

Il s’agissait d’un petit carnet à la toile rigide recouvert d’un résistant cuir de wyverne. Au fur et à mesure qu’il tournait les pages jaunies remplies de notes et de croquis, ses mains se mirent à trembler. À quel point sa chance pouvait-elle être cruelle et insolente ?

Il se releva lentement.

— Les gars, appela-t-il d’une voix un peu rauque.

Le reste du groupe arrêta sa discussion. Prompto, sous le choc, les rejoignit d’un pas chancelant, n’entendant plus les voix de ces camarades assourdies par les battements frénétiques de son cœur dans ses oreilles. Dans ses dernières lignes, celui qui avait été le capitaine Rigidus racontait que l’empire avait autorisé à l’équipe scientifique une seconde infiltration dans le territoire du Lucis pour trouver une créature nommée “Adagium” afin de la rapatrier au centre de recherche magitech. Il avait été désigné par l’empereur lui-même pour veiller sur la protection du docteur…

Verstael Besithia.

Son cœur se figea et un étau se referma autour de son esprit. Ce… ce type était venu ici.

Il avala difficilement. Il se sentait tout d’un coup si fébrile.

Pourquoi ? Depuis qu’il avait découvert son existence dans l’usine de Graela, cet être diabolique ne cessait de le hanter. Il lui était impossible d’oublier ce visage tordu par la folie et en partie déformé par la mutation en dæmon, ni ses yeux noircis le dévorer, lui, sa progéniture, sa chose, avec délectation. Prompto fixait le carnet sans le voir. Un sifflement aigu lui perçait les tympans.

Qu’était-ce que “Adagium” ? Un autre dæmon ? Et si c’était un nom de code pour ce pour quoi ils étaient venus ici ? Et si Besithia était venu pour les richesses que ce donjon cachait en son cœur ?

Les doigts agités de Prompto tournèrent frénétiquement les pages du carnet en quête de réponses. Il trouva rapidement une carte dessinée grossièrement.

Il déglutit difficilement.

Ce connard avait bel et bien trouvé ce qu’ils étaient venus chercher. La croix avec l’annotation “Adagium->Azylum” n’en laissait pas le moindre doute. Les pensées de Prompto se succédèrent à toute vitesse. Il fallait qu’ils aillent vérifier ça maintenant !

Alors qu’il leva la tête pour prévenir ses amis, il sentit une secousse et un souffle chaud déferler près de lui. Cependant, ce ne fut pas la rafale due à l’immense lame de feu qui le balaya, mais la poigne d’Ignis qui le projeta loin de l’attaque.

L’élan le fit rouler sur le sol et il percuta la paroi de la grotte. Tout d’un coup, les sons revenaient à lui. Le sifflement assourdissant était toujours là et il essaya de s’en débarrasser en secouant la tête. Les cris de ses amis ainsi qu’un long et déstabilisant rugissement s’élevèrent dans la caverne.

Il n’eut pas le temps de se relever qu’il sentit un bras s’enrouler autour de lui et l’emporter pour fuir le plus vite possible. Derrière Cor bondit pour tenter de sectionner le bras de l’immense colosse noir, cependant son katana ne put amputer le membre large et musculeux. Il profita néanmoins de la défaillance du daemon pour prendre le poignet d’Ignis pour lui échapper aussi.

Le cœur battant, Prompto tourna la tête pour voir l’expression anxieuse de Talcott qui s’agrippait tant qu’il le pouvait à l’autre épaule de Gladiolus. Un éclair de lucidité lui traversa l’esprit en sentant encore le carnet entre ses doigts.

— Gladio ! cria Prompto. Fais demi-tour !

— Quoi ? s’indigna ce dernier. Tu es tombé sur la tête, Prompto ! Ce géant de fer est…

— Fais-moi confiance ! On est pas loin d’Azylum ! Il faut qu’on l’atteigne, c’est notre seule chance de survie !

— Azylum ? demanda Gladiolus en haussant ses sourcils.

Derrière lui, Cor et Ignis rejoignirent les trois autres garçons, se demandant pourquoi Gladio s’était soudainement arrêté. Prompto remit les pieds à terre, sortit son revolver, le chargea d’un geste et visa la tête monstrueuse de la montagne de muscles. Une détonation plus tard, un éclat aveuglant explosa. Surpris, le daemon beugla, plaquant ses énormes mains contre ses yeux, et tituba de plusieurs pas.

Suivi de près par les autres, Prompto se faufila hâtivement entre les jambes titubantes du géant de fer. Dès qu’Ignis et Talcott passèrent à leur tour, Cor et Gladio en profitèrent pour frapper les chevilles avec leur arme respective. Bien qu’ils ne puissent percer la peau, ils réussirent à le renverser. Sans se retourner, ils se précipitèrent dans l’ouverture de la caverne.

Ils ne remarquèrent pas alors que la fente par laquelle ils venaient difficilement de se faufiler était creusée à même deux grandes portes de pierre semblables à l’entrée du donjon. Car, en face d’eux, se déployait un paysage à nul autre pareil.

— D’où provient cette lumière ? s’étonna Ignis en rejoignant Prompto.

Effectivement, l’éclat était si intense qu’il eut l’impression de retrouver le soleil qu’un jour d’été. Un soleil qu’il n’avait plus vu depuis trop longtemps. Malgré les yeux plissés à cause de la clarté trop vive, Prompto eut du mal à trouver les bons mots pour décrire à Ignis ce qui se dressait devant eux tant il n’y croyait pas.

Le couloir s’élargissait sur d'interminables escaliers descendants pour s’ouvrir sur un gigantesque horizon forestier. S’il n’avait pas remarqué les lointaines surfaces du plafond en pierre et les titanesques stalactites qui perforaient les nuages, il aurait été convaincu qu’ils étaient ressortis du donjon. Le panorama feuillu d’arbres et de lianes verdoyantes s’étendait à perte de vue. Le cri de bêtes et autres animaux s’élevant ici de là rendait ce tableau d’autant plus vivant et palpable.

— Oh, purée, inspira Gladiolus en passant ses mains dans ses cheveux bruns.

— Si je m’attendais à ça, ne put que dire Cor, tout aussi surpris.

— On a réussi ! sauta Talcott, enthousiaste. Ouais !

Une vague de reflet rougeâtre attira le regard admiratif de Prompto sur un dôme d’énergie qui recouvrait ce paradis miraculeux, ruisselant comme de l’eau, battant comme un cœur. Par réflexe, sa main empoigna sa veste épaisse. C’était une vision si nostalgique…

— Ignis, murmura Prompto, sans quitter la sphère écarlate des yeux. Corrige-moi si je me trompe, mais…

Intrigué, Ignis tourna sa tête vers son ami, tandis que celui-ci sortit son appareil pour prendre un cliché.

— Hum ?

— Seuls les rois du Lucis pouvaient dresser un mur d’énergie, pas vrai ?

Les trois autres adultes tressaillirent à sa question.

— Attends, Prompto, hésita Ignis. Es-tu en train de me dire que cette forêt est protégée par le Mur du Roi ?

— Il a raison, confirma Cor en posant sa main sur l’épaule du futur conseiller royal. Je n’aurais jamais imaginé voir une telle chose, mais il y a bien une barrière semblable à celle qu’était capable de maintenir le roi Regis.

Une nouvelle secousse derrière eux les fit sursauter. Prompto fit volteface, prenant la poignée de Talcott pour le mettre à l’abri dans son dos, son arme prête à tirer. Ignis sortit sa lance et commença à dévaler les escaliers.

— Jamais tranquille ! grogna Gladiolus.

— Il va falloir qu’on s’en débarrasse, avança Cor, son katana pointé vers le bras massif qui tentait d’élargir le passage. On ne peut pas le laisser entrer.

— Non, Maréchal, c’est inutile, refusa Ignis.

Cor jeta un léger regard au jeune aveugle.

— Qu’est-ce que tu proposes, alors ?

— C’est plus un constat, précisa Ignis. Nos attaques n’ont aucun effet sur ce dæmon, peu importe le nombre de fois, ou de quelle façon nous le frappons. À ce rythme, nous serons tous morts avant qu’un d’entre nous arrive à l’égratigner. C’est plus sûr de traverser le Mur. S’il s’agit du même genre qu’avaient maintenu les rois d’antan, il sera le seul à pouvoir l’empêcher d’aller plus loin et nous serons en sécurité.

Gladiolus frappa la main du daemon de toutes ses forces et fit un saut en arrière.

— C’est un pari risqué !

— Je n’ai malheureusement pas d’autre alternative en tête, s’irrita Ignis en encourageant Prompto et Talcott à descendre les marches. Si tu as des propositions, je t’en prie, n’hésite pas.

Cor tira la veste de Gladiolus qui grimaça de frustration.

— Hmf ! maugréa-t-il avant de se retourner finalement et dévaler les escaliers, son épée large sur les épaules. Tu as intérêt à avoir raison, Ignis, sinon, gare à toi !

— Comme si mon intuition nous avait déjà fait défaut, rétorqua Ignis.

Devant la barrière, Prompto commença à douter. Les vagues d’énergie de couleur rubis étaient encore plus impressionnantes, vues de près. Un rouge qui lui rappelait l’aura d’un autre homme dont il ne souhaitait plus affronter avant longtemps. Ignis et Gladio les rejoignirent.

— Si vous voulez entrer, pressa Cor plus en hauteur, c’est maintenant.

Une explosion indiqua que le daemon avait réussi à détruire les portes de pierre.

Ignis écarta Prompto.

— Je vais passer le premier, dit-il d’un sourire confiant. Tout ira bien.

Prompto ferma étroitement ses yeux, le doute encore présent. Cependant, il en avait assez. C’était toujours les autres qui assumaient les risques. Et lui ? Que faisait-il pour eux ? Il ne serait jamais à la hauteur du roi Noctis, s’il continuait à agir comme un lâche.

Prompto posa Talcott pour empoigner le bras de son ami. Ignis ne put que reculer et le jeune blond sauta dans le même élan à travers la barrière chaude et électrisante du Mur écarlate…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Hoshiro Ryuko ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0