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L’aube est à peine levée que je suis déjà debout. Je quitte la chambre avec mes sacs, bien décidée à partir. En bas, je me retrouve nez à nez avec Sylvia, je baisse la tête, penaude. Autant je ne veux plus voir Solène, autant je suis gênée de m’en aller alors que ses parents m’ont accueillie à bras ouverts, m’ont tellement aidée.


— Tu veux donc partir ?


— C’est mieux, non ?


— Et tu sais où tu vas aller ?


— Oui, j’irai chez Ian pendant quelques jours. Après, j’aviserai.


— Tu peux rester, tu sais.


— Pour m’inquiéter pour une meuf qui n’en rien à faire de moi ? Pour satisfaire l’égo de votre fille ? Je suis désolée, mais la bonne poire, c’est fini.


Elle soupire, me propose de déjeuner ensemble. Je m’assois sur un des tabourets près du plan de travail pendant qu’elle nous prépare des cafés.


— Je suis désolée que Solène soit comme ça. Elle a du mal à se livrer, je dois souvent la pousser à me parler quand elle va mal. Elle a toujours eu cette habitude, gérer ses problèmes toute seule. C’est certainement notre faute, nous n’étions pas toujours présents.


— Je ne sais pas comment vous faites pour supporter ça.


— Comme tu le fais aussi, on s’inquiète, on s’énerve et puis on la pousse pour la faire craquer.


— Sauf qu’elle ne craque pas avec moi, elle ne me parle pas. Elle n’a pas autant confiance en moi que j’ai en elle.


Elle pose une tasse devant moi, sa main s’attarde sur la mienne.


— Tu te trompes, Ellie. Elle a totalement confiance en toi, elle a juste du mal à trouver les mots justes. Avant que tu ne partes, prenez le temps d’en parler.


— Parler ? Je crois que vous ne comprenez pas, j’ai suffisamment parlé avec elle. Elle ne veut pas me dire ce qui la trouble, ce qui la réveille chaque nuit. Je suis juste bonne à être là pour qu’elle puisse assouvir ses besoins et ses désirs, c’est tout.


Sans réclamer une quelconque réponse de sa part, je finis ma boisson, récupère mes affaires et file jusqu’à la porte d’entrée. Solène est là, en bas des marches, surprise de me voir. Elle repère tout de suite mes sacs.


— Tu t’en vas quelque part ?


— Je te laisse tranquille, mes questions et mes inquiétudes ne te dérangeront plus.


Je passe sans lui prêter plus d’attention, je ne dois pas lui montrer ma peine. Je ne dois pas lui montrer mon hésitation. Elle attrape au vol mon poignet.


— Rien chez toi ne me dérange, je te l’ai dit, le problème vient de moi. Reste s’il te plaît…


Je me retourne, elle est en pleurs. Je dois prendre sur moi pour ne pas craquer, ne pas la prendre dans mes bras.


— Rien n’ira si tu ne me dis pas ce qui te rend comme ça. Tant que tu te tairas, je ne pourrai pas rester à tes côtés.


Je tente de la faire lâcher, elle serre plus fort.


— Solène…


— Non, je te laisserai pas partir comme ça.


Ses caprices commencent à m’énerver, je hausse le ton.


— Lâche-moi ! Si tu ne veux pas parler, laisse-moi partir ! Ça ne sert à rien qu’on continue si tu ne me fais pas confiance ! Les relations à sens unique, c’est pas pour moi !


Elle desserre sa poigne, ma vue s’embue. Merde, voilà que je craque. Moi qui voulais paraître forte, c’est foutu. Elle me prend dans ses bras, nous sommes toutes les deux en larmes.


— Ellie, tu es la personne en qui j’ai le plus confiance, tu es la personne que j’aime le plus au monde.


— Alors pourquoi tu ne m’expliques pas ?


— Je… C’est compliqué… J’ai peur de ta réaction…


— Dis-moi tout. Je te promets de ne rien dire, de te laisser parler.


Elle chuchote un petit « oui », je m’écarte, elle baisse la tête. Je ne l’ai jamais vu comme ça, j’ai un pincement au cœur. Je prends sur moi, lui propose d’aller dans sa chambre pour discuter en toute tranquillité. Je lui prends la main et l’entraîne à ma suite.

À peine dans la pièce, elle s’assoit sur le lit comme si elle n’avait plus d’énergie. Je m’installe à ses côtés, fixe le mur en face de moi.


— Je t’écoute.


Elle déglutit, ferme les yeux avant de prendre la parole.


— Depuis mon agression, je fais des cauchemars. Toujours le même rêve, je suis dans un couloir, il y a une porte, je l’ouvre.


Elle marque une pause interminable, je prends sur moi pour rester silencieuse, elle reprend enfin.


— Tu es là… Mathieu aussi…


Perplexe, je me tourne enfin vers elle. Elle ne va pas bien, a la chair de poule. Naturellement, je pose ma main sur la sienne. Mon autre main lui caresse la joue, je la réconforte, l’invite du regard à continuer. Je dois savoir sinon je ne pourrai pas l’aider.


— Il… Vous… À chaque fois, vous êtes en train de coucher. Jamais deux fois la même position. Je ne sais pas ce qui est le pire, votre coucherie ou le fait que tu prennes du plaisir…


J’ouvre grand les yeux, mais qu’est-ce qu’elle me raconte ? D’où ça lui vient ça ? Et là, je comprends.


— C’est pour ça qu’hier soir… ?


— Oui, les images me reviennent parfois quand on est toutes les deux.


— Tu sais que c’est impossible, que la seule avec qui j’ai envie de prendre mon pied, c’est toi ? Par contre, pourquoi, cette nuit, tu as réagi autant ?


— Je… Parce qu’il était différent, quand j’ai ouvert la porte, il ne te prenait pas. Il… Il te… Il te mangeait les entrailles. Il y avait du sang partout…


Ses larmes s’intensifient, malgré le choc, je l’enlace, la serre fort contre moi.


— Pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ?


— Parce que c’est n’importe quoi.


— Non, Solène, c’est pas n’importe quoi ! T’as vécu des choses graves, t’as eu peur pour moi, pour toi, pour ta vie. Tu peux pas continuer comme ça, il faut que t’en parles à tes parents. Je suis là, je ne te lâche pas.

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