15 (V2)

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Nous voilà garées devant la maison d’Ellie en ce début d’après-midi. Quand on sort de la voiture, un jeune homme vient à notre rencontre. Je le reconnais dans la foulée : Mathieu. Mon sang ne fait qu’un tour, je m’interpose et lui assène un coup de poing en pleine face. Mon corps a agi tout seul, il finit au sol, le nez en sang.


— Ne t’approche plus jamais d’elle ! Sinon, la prochaine fois, ce s’ra pas ton nez !


Il se relève en m’insultant, s’éloigne de nous. Ma mère me fait la morale, frapper et menacer quelqu’un, où ai-je la tête ? Un mauvais point pour moi, ne pas faire de vagues est déjà bien loin. Je m’excuse de mon geste sous le regard amusé d’Ellie. Au moins, ça l’a détendue un peu, ma maman beaucoup moins.


— Solène, ma puce, je pense que ce serait mieux si tu nous attendais dans la voiture.


— Oui, ça serait mieux… Désolée…


— Ah la la, tu ressembles vraiment trop à ton père. Pourquoi vous ne pouvez pas réfléchir avant d’agir ?


Je baisse la tête, donne un coup d’œil en direction de ma petite amie. Je lui souris avant de remonter dans le véhicule. Je m’assois côté passager, ma mère me laisse les clefs. J’en profite pour baisser la vitre et allumer le poste radio, un peu de musique m’aidera à passer le temps. Je m’accoude à la portière, ferme les yeux, je stresse pour Ellie. J’espère que tout va bien se passer, et si c’est bon, je lui proposerai de m’accompagner durant les vacances. Je nous imagine déjà profitant de la plage. J’ai hâte de lui présenter ma cousine, la personne dont je suis la plus proche. Nées à deux jours d’intervalle, on est comme des sœurs, on se dit tout. Je lui ai déjà parlé d’Ellie, envoyé des photos, elle l’a trouvée mignonne. Si elle savait comment elle l’est encore plus en vrai !

Je rêvasse quand, soudain, je perds l’équilibre. On a ouvert la portière, une main agrippe mon épaule et m’éjecte de l’habitacle. Je me retrouve au sol, je ne comprends pas ce qu’il se passe. La seule chose que je vois, c’est quatre pieds. On m’attrape, me force à me relever et je découvre un de mes agresseurs, ce connard de Mathieu. Merde, il a appelé un pote !

Mes bras sont bloqués dans mon dos, il en profite pour me mettre son poing dans la figure. Un goût de fer dans la bouche, dents contre lèvre inférieure ne fait pas bon ménage. Ma joue droite est en feu. Je devrais avoir peur, mais non, la colère monte. Mon pied rencontre son entrejambe, il s’écroule. Un bon coup de tête en arrière et je suis libre de mes mouvements. Moi, deux, nez, zéro. Je saute sur cet abruti de Mathieu et déverse ma rage sur son visage. Son pote chope mes cheveux et me tire en arrière, il me jette au sol. Un coup de pied dans le ventre, j’ai le souffle coupé. Un deuxième puis un troisième. Je tente de me protéger, me recroqueville le plus possible. Ma vie défile quand je vois sa basket revenir, visant ma tête.

Il est poussé par ma sauveuse, Ellie. J’entends ma mère crier mon nom, les deux courageux prennent la fuite tandis qu’elle me rejoint. Je suis sonnée, j’ai du mal à reprendre mon souffle. Je tente de me relever, mais elle m’en empêche, elle ne veut pas que je bouge. Je reste assise au milieu du trottoir jusqu’à l’arrivée des pompiers, Ellie a mes côtés, à genoux. J’ai de la peine en voyant son regard inquiet.


À l’hôpital, j’ai droit à plusieurs examens, on me recoud la lèvre. Finalement, je m’en sors avec juste des hématomes et des antidouleurs. Même si, pour l’instant, avec l’anesthésie, je ne sens plus ma bouche. Même ma mâchoire semble avoir disparu. Ellie me prend en photo : je découvre ma tête. Une horreur ! Je suis presque défigurée. Maman me demande toutes les cinq minutes si je vais bien. Aucune idée, j’ai l’impression d’être là sans être là.

Elle veut que je porte plainte, elle oublie juste que ça a dégénéré par ma faute. Le premier coup est à mon actif. Pas sûre que ça ne me retombe pas dessus, je la laisse juge de la situation. Elle est mieux placée que moi dans cette histoire pour savoir ce qu’il est possible de faire. Et puis, je ne suis pas celle qui s’en est pris le plus. Je souris, enfin je crois sourire. Impossible de savoir si mes lèvres bougent tellement elles sont endormies ! Mais, en repensant à la tronche défoncée de ce pauvre type, je suis fière de moi. J’ai su me défendre et pas qu’un peu !


De retour chez nous, mon père nous accueille. Il grimace en voyant mon visage et me glisse discrètement un « Bravo ma fille ! ». Pas suffisamment discret, ma mère lui fait la remarque qu’il ne doit pas cautionner mon comportement. On échange un regard, doux mélange de fierté et de solidarité. Entre impulsifs, on se comprend sans dire un mot.

Maintenant que le calme est revenu, j’ai envie de savoir comment ça s’est passé pour ma belle. Je tente d’articuler comme je peux. Je crois que j’ai réussi à me faire comprendre vu leur sourire. Je suis tellement stone que je remarque seulement qu’on est revenues avec deux sacs de voyage. Ellie me propose de la suivre jusqu’au divan pour m’expliquer. Je ressens une certaine tension de sa part.


— C’est vrai que… Que t’as… Qu’on a failli jamais se rencontrer ?


J’esquive son regard, ma mère a ramené sa fraise. Je suis gênée qu’elle soit au courant, je ne voulais pas qu’elle l’apprenne, qu’elle découvre cette période que je souhaite oublier.


— Ma mère en a parlé ?


— Dans les grandes lignes. Elle voulait faire comprendre à mes parents que je ne vais pas si bien que ça…


— Et elle a dit quoi ?


— Que j’avais le même regard que toi, avant que tu passes à l’acte. Qu’elle avait peur que je tente de me suicider si on continuait comme ça.


— Et elle a raison, tes parents ne se rendent pas compte comme cette situation peut pousser à bout quelqu’un. Que tu es en train d’atteindre tes limites. C’est... aussi pour ça que j’ai accepté leur chantage. On sait toutes les deux que, derrière ton sourire, tu n’étais pas bien. Je ne voulais pas empirer ton état... J’ai complètement merdé et je m’en excuse.


Je lui caresse la joue avant de continuer. Maintenant qu’elle sait, je me dois de tout lui expliquer.


— Fin de l’année dernière, j’étais totalement perdue, j’avais l’impression que personne ne m’écoutait, ne me comprenait. Quand j’ai cassé la figure d’un de mes harceleurs, ce n’était pas par rage ou par colère. Non, j’étais désespérée et j’ai cru que ça allait m’aider. Mais, au lieu de recevoir de l’aide, j’ai été virée du lycée. Je me suis sentie seule, sans aucun soutien. Le harcèlement a continué, j’ai craqué. Je… J’ai trouvé les somnifères de ma mère et j’ai pas réfléchi. j’en ai pris une poignée puis deux… Après, je me souviens de rien. Juste de m’être réveillée à l’hôpital. Mes parents en pleurs.


Je déglutis, ma gorge est sèche.


— Mon père m’a dit que c’est ma mère qui m’a trouvée. Depuis, elle me surprotège… Ellie, promets-moi de toujours tout me dire quand ça ne va pas !


Je lui prends la main. Elle plante ses magnifiques yeux noisettes dans les miens, j’y vois beaucoup de tendresse.


— Promis.


Ses lèvres se posent sur ma joue, je grimace. Elle s’affole et s’excuse. En même temps quelle idée de m’être installée à sa gauche !


— Et sinon, ça donne quoi ?


— Ta mère a super bien négocié, elle avait un super argument en même temps. Comme j’aurai mes dix-sept ans fin août, je pourrai demander mon émancipation. Ça leur a fait un choc que je sois pour. Comme elle leur a parlé aussi de toi, ils ont découvert qu’ils n’agissaient pas forcément de la meilleure façon. Bon, on a parlé des heures, mais ça a payé. Ils me laissent toutes les vacances pour leur prouver que je suis une personne responsable.


— Responsable ? T’es sûr que tu vas y arriver ?


— Bien sûr ! Déjà, il faut que je trouve un job d’été. Ensuite, pour le logement, j’ai déjà trouvé.


Un clin d’œil.


— Ta mère m’invite jusqu’à la rentrée scolaire.


Je laisse ma joie explosée et l’embrasse. Une nouvelle erreur, l’anesthésie ne fait plus effet depuis plusieurs minutes, je douille. Mon erreur la fait sourire, elle approche son visage pour me chuchoter sensuellement :


— Mmmh, je vais me faire un plaisir d’être ton infirmière personnelle.

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