J’ai l’impression que ça fait une éternité que je suis en train de pleurer dans ma chambre quand mon père vient me chercher.

— Ma puce, on t’attend dans le salon.

Sa voix douce me réchauffe le cœur, j’essuie comme je peux mes larmes et je le suis jusqu’à l’étage inférieur. La tête baissée, je m’assois dans un des fauteuils. Ellie est installée sur le canapé aux côtés de ma mère, mon père prend place dans le second fauteuil, face à moi. Tous attendent que je prenne la parole. Je stresse, ne sais pas par où débuter. Je prends une grande inspiration et me focalise sur la personne qui compte le plus pour moi. D’une voix peu assurée, je me lance enfin.

— Je suis désolée pour ce que j’ai fait, mais on-on m’a forcé la main. Le… Le dernier dimanche où je suis venue chez toi… Ta mère m’a… Je… J’avais un ultimatum. J-je devais te quitter dans la semaine.

Le silence, je marque une pause, je n’arrive pas à enchaîner. Mon cœur s’affole, mes yeux me piquent. Je me fais violence pour reprendre.

— La veille où… Où je t’ai quittée, elle m’a chopée à l’arrêt de bus. Ils savent tout, Ellie.

Je regarde toute l’assemblée, j’hésite à parler de la suite. J’ai honte de ce que je vais dire, mais je dois le faire.

— Ils sont au courant qu’on se voyait tous les midis… Ils savent ce qu’on a fait dans les toilettes du lycée. J’avais jusqu’au mercredi soir pour te quitter sinon ils-ils t’envoyaient en pension à l’étranger.

Ma maman me lance un regard noir.

— Ne me dis pas que vous avez… Solène ! Ce n’est pas comme ça qu’on t’a éduquée ! Mais qu’est-ce qui vous a pris de faire ça dans des toilettes ?! Qu’est-ce qu’il se serait passé si quelqu’un vous avait découvertes ? Ça ne t’a pas suffi l’année passée ?! Tu veux que tout ça recommence ?!

— N-non ! Je m’excuse, j’ai pas réfléchi…

Ellie prend enfin la parole.

— ON n’a pas réfléchi… Je m’excuse, c’est entièrement de ma faute. J’ai passé tout le weekend à chauffer votre fille sans penser aux conséquences.

— Ce n’est pas de ta faute, vous étiez deux dans cette histoire.

Je ne dis plus rien, la tête baissée, les yeux dans le vide. J’attends mon châtiment, en pleurs. Mon papa me prend dans ses bras.

— C’est pour ça que tu ne nous as rien dit ?

— Oui… J’avais honte… J’avais peur que vous me jugiez… Et puis, j’ai été nulle, j’ai accepté leur chantage sans penser qu’Ellie en souffrirait.

— Mes parents voulaient m’envoyer à l’étranger ?... Impossible, ils n’en ont pas les moyens.

— Détrompe-toi ! Ta mère m’a montré les papiers, ils avaient réussi à trouver une solution pour t’y envoyer. Ils n’avaient plus qu’à poster le dossier.

Ellie reste quelques instants silencieuse.

— Et on fait quoi maintenant ? S’ils apprennent que je suis ici, c’est mort ! Je… Je peux pas retourner là-bas, c’est impossible ! Je ne veux pas y retourner.

Elle s’affole, se met aussi à pleurer. Ma mère passe son bras autour de ses épaules, la réconforte.

— Ne t’inquiète pas, Ellie. Tout va s’arranger, nous irons voir tes parents et nous ferons tout pour trouver un terrain d’entente. Tu n’es pas seule.

Elle jette un coup d’œil dans ma direction.

— Vous n’êtes plus seules. Bien, on va vous laisser, vous avez encore des choses à vous dire. Ellie, on discutera ensemble plus tard. De nombreuses possibilités s’offrent à toi, d’accord ?

Ellie acquiesce et la remercie timidement. Mon père nous invite à remonter jusqu’à ma chambre pour qu’on puisse se parler en toute tranquillité. Je la laisse passer devant, ferme la porte et m’assois à ses côtés sur le lit. La tension est palpable. Je n’ose pas parler, sa voix pleine d’aigreur se fait entendre.

— Pourquoi t’as accepté ?

— Parce que partir en pension, ça voulait dire que tu perdais tout. Ta vie ici, tes amis… Dans les deux cas, je te perdais. Je ne pouvais pas te faire perdre le reste.

— Oh, alors tu t’es dit que tu pouvais sortir de ma vie sans qu’il n’y ait aucune conséquence ? Que notre histoire était sans importance ?

— Non ! C’est pas ça, je savais que tu étais forte, que tu réussirais à surpasser cette épreuve.

— Et t’as pas pensé qu’il pouvait y avoir une autre solution ? Au lieu de m’abandonner, tu aurais dû m’en parler ! Ça me concernait aussi !

— Comment ? On parle de tes parents, Ellie ! Je ne pouvais pas foutre en l’air ta famille ! J’ai... pesé le pour et le contre... C’était la meilleure solution pour ton bien...

— Mon bien ? Foutaise ! C’était juste l’occasion pour toi de te barrer, de m’effacer de ta vie ! Pas une seule seconde, t’as pensé à moi dans cette histoire ! Pas une seule fois, tu t’es dit que j’en souffrirais ! Tu te rends compte de ce que tu as fait ? T’étais mon unique repère et tu t’es barrée, tu m’as abandonnée !

— C’est faux, je n’ai fait que penser à toi, justement. J’ai peut-être merdé, mais je ne pensais qu’à toi. J’ai même demandé à ton meilleur ami de te surveiller, de te protéger. Je ne voulais pas qu’il t’arrive quelque chose.

— Alors lui, je le retiens aussi. Un vrai traitre !

— Pas un traitre, un vrai ami.

— Ah ouais, t’as raison ! Les amis, ça continue de discuter avec les personnes qui font souffrir leurs potes, j’avais oublié.

— On ne se parlait pas.

— Alors, pourquoi il t’a appelée ?

— Parce qu’il ne savait plus comment faire, il était perdu. Hier soir, t’as totalement déconné, ok ? Si on n’était pas intervenu, tu te serais faite violer par deux mecs ! Alors, oui, Ian m’a appelée, mais, non, il ne t’a pas trahie ! Au contraire, il t’a sauvée, d’accord ?

Elle est sous le choc, les mots sont sortis tout seuls. C’est vrai qu’elle ne souvient pas de la soirée, elle était tellement dans les vapes qu’elle ne sait pas ce qu’il s’est passé. Instinctivement, je la prends dans mes bras et dépose un baiser sur son front. Sous son impulsion, nos lèvres se joignent.