8 (V2)

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Avec Ellie, nous avons pris le pli de nous retrouver à chaque pause. Lydia est parfois avec nous, elle a émis l’idée de m’intégrer à leur groupe d’amis. Pour nous simplifier la vie, selon elle, mais nous hésitons. Et si on découvrait notre vraie relation ? Nous avons déjà ses parents à gérer, plus de personnes seraient bien trop compliquées. Ellie est encore fragile. En supporterait-elle davantage ? Pas sûre. Je sais le mal que ça fait de perdre ses amis, je ne veux pas qu’elle le vive. Ne prenons pas de risque inutile.

Pour le moment, nous nous occupons de samedi. Aujourd’hui est le grand jour, sa famille face à la mienne. C’est étrange, le stress se mélange à de l’excitation. La journée passe extrêmement vite, j’aide mes parents au maximum. Vers dix-huit heures, je pars me préparer. Je reste devant mon armoire ouverte pendant plusieurs minutes. Comment dois-je m’habiller ? Porter des vêtements classiques ou me faire belle pour Ellie ?

J’opte pour un mix des deux, une jupe qui s’arrête juste au-dessus de mes genoux et un haut très classique qui ne dévoile absolument rien à part mes bras. Et pour la coiffure, je laisse mes cheveux lâchés avec deux tresses remontées sur les côtés pour dégager mon visage. Je retrouve ensuite ma mère dans la cuisine qui me sourit en me voyant.

— Tu es très jolie, ma puce, je suis sûre que cela plaira à Ellie. Comment tu te sens ? Pas trop stressée ?

— Non, non, ça va. Et puis, j’ai pas eu le temps de réellement penser à ce soir. J’espère juste que tout va bien se passer, que la situation va s’arranger pour Ellie.

— Ne t’inquiètes pas pour ça, on va tout faire pour et puis, si ses parents pensent réellement à son bien, ils comprendront que ce n’est pas de cette façon qu’elle sera heureuse. On a déjà gagné le premier point lorsqu’ils ont accepté de venir diner.

Je la prends dans mes bras puis je vais voir si mon père a besoin d’aide pour finaliser la table. Nous sommes prêts quand la sonnette retentit. Je laisse ma mère gérer, me mettant légèrement à l’écart. Ses parents entrent en premier, Ellie me rejoint, la mine grave. Je m’inquiète.

— Ça va ?

— Oui, oui, j’ai juste eu droit à une leçon de morale sur le trajet. C’est rien, je commence à avoir l’habitude.

S’en suivent les présentations, sa mère me lance un regard noir et m’adresse à peine la parole. Oui, je suis la fautive, la dégénérée qui pousse votre fille à être anormale. Il est clair que la soirée ne va pas être de tout repos. Surtout que mes parents ont fait un plan de table. Nous sommes toutes les deux au bout, l’une à côté de l’autre, à sa droite, ses parents, à ma gauche, les miens. Ils se font face et nous, nous nous retrouvons au milieu de ce duel, on ne pipe mot durant le repas. Nous laissons les adultes discuter et débattre de la gestion de nos vies. Nos mains se rejoignent régulièrement sous la table, nous échangeons quelques regards du coin de l’œil, l’avenir de notre relation est en train de se jouer et nous en sommes de simples spectatrices.

Chacun donne son avis, mes parents ne parlent que des conséquences négatives engendrées quand on ne fait pas attention à la santé mentale de son enfant. Ils sont bien placés pour le savoir, je baisse les yeux, honteuse en me remémorant ce que j’ai fait à l’époque. Paul semble le plus touché, il est très attentif et donne régulièrement des coups d’œil vers sa fille. Je ne sais quoi penser de sa femme par contre, son visage est tellement hermétique. Elle donne ses arguments sur un ton monocorde, comme si elle récitait un texte appris par cœur. La mère de ma belle est une énigme pour moi, mais je découvre que le problème vient surtout d’elle et de ses à priori. Elle juge notre relation, elle me juge sans même me connaître. Je plains mes parents, ils vont avoir du boulot pour la faire changer d’avis.

Ellie se crispe de plus en plus, je tente de l’aider à garder son calme. Mon pouce caresse le dessus de sa main. Le plat fini, ma mère qui l’a remarqué propose une pause avant le dessert. Elle invite Paul et sa femme à visiter le jardin, à prendre un peu l’air. Nous nous retrouvons seules, je lui prends la main et nous filons dans ma chambre. Nous laissons la porte ouverte et nous nous asseyons sur le lit, tête baissée. Malgré l’impression de ne plus rien contrôler, je m’efforce de rester forte et la réconforte du mieux possible.

— Ça va aller, on va trouver un terrain d’entente, d’accord ?

— J’en sais rien, Solène, plus le temps passe et moins j’y crois. Si ça continue, je vais finir au couvent.

Je plonge mes yeux dans les siens, lui souris.

— Ce serait pas une mauvaise idée, tu serais loin de tes parents et je pourrais venir te kidnapper. On partirait loin de tout ça, vivre notre amour sans contrainte.

— Pff, t’es conne.

— J’aurais plutôt dit rêveuse…

Sa main se pose sur ma joue, amène mon visage vers le sien, nos lèvres se rejoignent en douceur. Le temps semble s’écouler au ralenti tellement nous profitons de ce moment de tendresse. Je m’installe confortablement sur le lit, l’invite à me rejoindre. Elle se couche face à moi et nous nous enlaçons, nous restons ainsi de longues minutes. Sa tête enfouie dans ma poitrine, ma main caressant ses cheveux, ma bouche déposant des baisers sur son front. Nous sommes dans notre bulle, détendues.

Du bruit, j’ouvre les yeux et découvre sa mère dans l’encart de la porte, le regard figé sur nous. Mince, on s’est endormie, je décolle mon visage de la tête d’Ellie, je ne sais comment réagir. Choquée, elle fait demi-tour et s’éloigne, je réveille en douceur ma belle.

— Ellie, ta mère…

Je la laisse retrouver ses esprits, me lève et quitte la chambre. Sa mère est là, assise sur la dernière marche. Je m’assieds à ses côtés, penaude, le regard dans le vide. J’ai complètement merdé, il faut que je rattrape le coup et vite.

— Je m’excuse, ce n’était pas prévu, je voulais juste la réconforter. Le repas a été dur pour elle…

Elle reste silencieuse, je ne sais même pas si elle m’écoute. Nous sommes rejointes par sa fille, je lui laisse ma place. Ça ne sert à rien que je m’efforce à lui expliquer les choses.

— Vous devez parler. Si besoin, je serai en bas.

Je file, ma mère me remarque et vient aux nouvelles, inquiète.

— Un problème ?

— On s’est endormie avec Ellie et, quand je me suis réveillée, sa mère était là. Elle n’a rien dit, je me suis excusée et là, elles parlent entre mère et fille.

Je ferme les yeux, dépitée.

— Enfin, je l’espère.

Elle pose sa main sur mon épaule.

— Aux moindres éclats de voix, j’irai voir, d’accord ?

Je la remercie, nous retournons côté salon où mon père est en grande conversation avec Paul. À les voir ainsi, on n’a pas l’impression que des tensions existent. S’ils étaient plus ouverts d’esprit, nous pourrions nous entendre à merveille. Un pincement au cœur, j’espère vraiment que les choses vont s’arranger. Je ne veux pas perdre ma belle Ellie.

Soudain, elle apparaît, m’interpelle et me fait signe de venir. Je la suis, sa mère nous attend dans la cuisine.

— Ellie m’a tout raconté, elle m’a expliqué que tu n’y étais pour rien, qu’elle est la seule fautive.

— Fautive de quoi ? De m’avoir dit que je lui plaisais ? D’avoir accepté mes sentiments pour elle ? Je ne comprends pas en quoi il y a une faute.

Elle soupire, se retient de m’en mettre une, son poing est serré. Je n’en peux plus de ces mots atroces, erreurs, fautes, dégénérés, ils n’ont que du négatif à la bouche. Je craque.

— Vous savez quoi ? L’erreur, c’est vous ! C’est votre faute à vous et vous seuls si nous en sommes là ! Vous nous faites souffrir parce que VOUS n’êtes emplis que de préjugés, vous dites que vous pensez au bien de votre fille. Laissez-moi rire ! Elle passe son temps à pleurer, à avoir peur de l’avenir, vous trouvez ça normal ? Moi, pas !

Ma voix porte et ameute tout le monde, Ellie tente de me calmer, sa main se pose sur mon bras, elle me chuchote des mots apaisants, mais rien n’y fait. Mon cerveau ne les comprend pas, ma colère m’en empêche. Ma mère nous demande ce qu’il se passe, je respire fort, n’arrive pas à redescendre. Je les repousse et quitte la maison en furie, j’ai besoin de changer d’air, de m’éloigner de ces gens immondes.

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