7 (V2)

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Quand je la regarde monter dans la voiture de son père, j’ai un pincement au cœur. Au moins, je sais qu’elle ne sera plus systématiquement seule, Lydia pourra la voir à notre place. Cette fille pourra la soutenir là où je ne pourrai plus, même si j’aurais préféré pouvoir le faire moi-même.

En arrivant à la maison, je découvre que ma mère est déjà rentrée, elle me demande des nouvelles. Il faut croire qu’elle aussi était très inquiète pour Ellie. Je lui parle de notre nouvelle alliée dans cette histoire, je ressens une tension, ses yeux s’affolent. Je la rassure du mieux que je peux, après tout je ne sais pas grand-chose, non plus, sur cette fille.

— Ne t’inquiète pas, elles se connaissent depuis le collège, Lydia soutenait Ian quand il a subi des brimades.

— Tu es sûre que c’est une personne de confiance ?

— Je pense oui, la seule chose sûre, c’est qu’Ellie lui fait confiance à cent pour cent. Alors moi aussi, je me dois de lui faire confiance.

Nous parlons des nouvelles règles que ma petite amie subit, dont la confiscation de son téléphone. Et puis, soudain, je craque nerveusement et m’effondre dans les bras de ma maman qui s’efforce de me réconforter. Je me mets à douter, suis-je capable de l’aider ? De la soutenir comme il se doit ? J’ai déjà tellement souffert, je ne sais pas si j’aurai les épaules suffisamment solides pour une autre personne. Ma mère comprend de suite mes doutes.

— Ma puce, vous n’êtes pas seules, ton père et moi, nous sommes là. Nous ferons tout pour vous aider, pour aider la petite Ellie.

Elle jette un coup d’œil à l’horloge, me sourit.

— Tu m’as dit que son père était venu la chercher, c’est ça ?

Je la regarde, interloquée.

— Oui… Pourquoi ?

— Je préviens ton père. On y va, ma puce. On va chez Ellie, on va tenter de raisonner ses parents.

Et, un quart d’heure plus tard, nous voilà devant sa maison. Ma mère me regarde une dernière fois, les yeux pleins d’assurance, avant de sonner. Son père nous ouvre, surpris, il est déconcerté en me voyant accompagnée. Elle prend les devants.

— Bonjour, monsieur, je suis Sylvia, la maman de Solène. Vous savez la jeune fille que vous avez virée de chez vous comme une malpropre hier. Pouvons-nous entrer pour discuter ?

Ma mère gère comme une pro. Il hésite, soupire puis nous laisse passer le pas de la porte. Il propose un café à ma mère, j’ai droit à un verre de jus de fruits, il nous invite à nous asseoir sur le canapé. Ellie sort de sa chambre, descend et s’arrête net en nous voyant, je lui fais un petit signe de la main, gênée par la situation.

Elle nous rejoint silencieusement, s’installe dans le fauteuil le plus proche de moi. Nous évitons le moindre geste, le moindre échange de regards, cette distance que nous mettons me fait mal. Mais nous ne pouvons pas agir comme d’habitude, nous devons nous tenir, ne pas risquer de nouvelles sanctions. J’aimerais tellement lui prendre la main, mais son père pourrait mal le prendre. Je ne peux que la soutenir par mes regards sincères et emplis d’amour.

Ma mère pose sa main sur la mienne et sourit à Ellie. Quand il nous sert nos boissons, nous le remercions, la joute verbale débute dans la foulée.

— Vous savez que nos filles se fréquentent, monsieur…

— Paul, vous pouvez m’appeler Paul, Sylvia, et fréquenter est un bien grand mot !

— Je ne comprends pas, Paul, pourquoi refusez-vous que votre fille aime ma fille ?

— Vous vous rendez compte de ce que cela implique ? Aimer est une chose, mais aimer une personne du même sexe, ce n’est pas normal. Vous imaginez ce que les voisins vont dire ? Ce que les autres en diront ? Comment cela sera perçu par les autres élèves ? Leurs professeurs ?

— Je ne vous demande pas comment elles devront gérer leur relation en public, mais juste VOUS, pourquoi ne pouvez-vous pas accepter que votre fille puisse être heureuse avec Solène ?

— Cette histoire n’est qu’une passade, quand Ellie se rendra compte de son erreur, votre fille ne deviendra qu’un souvenir avant de totalement disparaître de sa vie, de sa mémoire.

— Une erreur ? Vous considérez ma fille comme une erreur ?

Le ton monte, je donne un coup d’œil vers Ellie, son père ne connaît pas ma mère, il est en train de découvrir son caractère bien trempé. Sa fille se tourne vers moi, nous échangeons un regard qui en dit long, comment allons-nous sortir de cette galère ? Arriverons-nous à faire changer d’avis son père ?

— Madame, vous savez tout aussi bien que moi comment se passent les choses à cet âge-là ! On se persuade d’avoir rencontré l’amour de sa vie et puis, au bout de quelques mois, on se réveille, on comprend son erreur et on y met un terme. Ma femme et moi, nous ne voulons que le bien de notre fille et c’est pour cela que nous faisons tout pour qu’elle rentre dans le droit chemin !

— Le droit chemin ? Vous n’êtes pas sérieux, j’espère ? Vous pensez réellement que l’empêcher de vivre son adolescence, que lui interdire d’aimer la personne qui lui est le plus cher aujourd’hui est la meilleure solution ? Voyez-vous, je n’ai rencontré votre fille que trois jours auparavant et, pourtant, je peux vous assurer que son regard, aujourd’hui, a perdu son éclat, sa joie et cette petite malice que j’avais remarqués dès notre premier échange.

— Que savez-vous d’elle ? Vous ne savez rien de notre famille, vous nous jugez sans nous connaître !

— Et bien, dans ce cas, apprenons à nous connaître ! J’avais proposé à votre fille de dîner samedi soir avec nous, que diriez-vous de modifier cette proposition ? Vous et votre famille serez les bienvenus.

Paul soupire.

— Pourquoi ? Pourquoi voulez-vous autant nous faire changer d’avis ? Je ne vous comprends pas.

— C’est très simple, Paul, en agissant comme vous le faites, vous n’obtiendrez pas le résultat voulu avec votre fille. Nous fonçons tout droit vers un drame, Ellie est une personne qui a ses fragilités et votre égoïsme peut la pousser à faire des bêtises, peut-être même des choses irréparables. Que souhaitez-vous, Paul ? Être un soutien ou un bourreau pour votre fille ?

Ellie se met à pleurer, instinctivement, je lui prends la main pour lui apporter mon soutien. Son père est tout retourné en voyant ses larmes, il se rapproche d’elle et pose sa main sur son genou.

— Ma puce…

Il ferme les yeux un court instant, les pleurs de sa fille le troublent énormément. Il prend le temps de réfléchir, ce n’est pas évident, mais il doit comprendre que sa fille ne va pas bien. Je croise les doigts pour qu’il accepte la proposition de ma mère, qu’il fasse un geste pour Ellie. On ne peut pas laisser la situation dégénérer, il faut agir maintenant. Ma mère continue d’argumenter, lui faire comprendre que la balle est dans son camps. Elle arrive à immiscer le doute en lui, je le sens à deux doigts de craquer. Nous ne sommes pas là pour le déranger, bien au contraire, nous sommes là pour le bien d’Ellie. Ses yeux restent perdus dans le vague un bon moment. Puis, soudains, sans lâcher sa fille, il se tourne enfin vers ma mère. Son regard s’est adouci, il semble plus serein.

— Nous ne serons jamais d’accord sur la façon d’éduquer nos enfants, mais je veux bien voir avec ma femme pour votre proposition. N’imaginez pas que je fasse cela suite à notre discussion, si je le fais, ce n’est que pour ma fille, nous sommes d’accord ?

— Si nous sommes là, vous savez, ce n’est que pour le bien de votre fille.

Ma mère sort un bout de papier et un stylo de son sac à main, elle gribouille son numéro de portable et tend la feuille à Paul.

— J’attends votre réponse avec impatience, Paul. Et j’espère de tout cœur que nous trouverons, tous ensemble, une solution pour le bonheur de nos filles.

Elle me fait signe de la suivre, mais, avant, je me relève et prends Ellie dans mes bras. Je lui glisse à l’oreille que tout va s’arranger et dépose un tendre baiser sur sa joue. À cet instant, je me fiche de ce que peut penser son père, la voir ainsi me fait souffrir autant qu’elle, je me dois de lui donner un peu de mon courage et de ma force.

Nous les quittons et retournons chez nous. Sur le chemin, ma mère laisse échapper un soupir de soulagement puis me sourit. La première étape est passée, le plan d’action pour libérer Ellie de la folie de ses parents débute.

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