6 (V2)

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Quand j’arrive chez moi, je me jette dans les bras de ma mère, j’ai le sentiment d’avoir laissé tomber Ellie. J’ai fui au lieu de la soutenir et je m’en veux de ne pas être restée pour elle. Son père m’a fait peur et je n’ai pas su réagir comme il aurait fallu. Elle me serre fort, passe sa main dans mes cheveux pour me réconforter.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé, ma puce ?

Des larmes de tristesse et de colère roulent sur mes joues.

— Les parents d’Ellie veulent l’empêcher de nous voir, son meilleur ami et moi parce qu’on est pas hétéro, son père m’a virée de chez eux en me traitant de « sale dégénérée ».

Elle recule son visage du mien, essuie mes pleurs.

— Et Ellie ? Elle réagit comment ?

— Mal, elle a passé presque toute l’après-midi à pleurer, elle a perdu son sourire. J’ai peur, maman, peur qu’elle fasse une bêtise, que ses parents la poussent à bout.

Ma maman tente tant bien que mal de garder son sang-froid, mais je vois très bien son stress monter. Elle passe tendrement le dos de sa main sur ma joue, sa voix est douce, presque murmurante.

— Appelle-la, voit si elle souhaite que je parle avec ses parents. Je peux peut-être aider, tenter d’arranger les choses.

Je suis ses conseils, tente de la joindre, pas de réponse, je tombe sur le répondeur. Je lui laisse un message, une heure plus tard, aucune nouvelle, je lui envoie un texto. Le temps défile, Ellie ne me rappelle pas, après plusieurs coups de fil avortés et des dizaines de SMS, je suis morte d’inquiétude.

Il se fait tard, je devrais déjà être couchée, mais impossible, mes parents essayent de me calmer, mais rien n’y fait. Et si elle était passée à l’acte ? J’imagine le pire et mon stress augmente quand mes appels tombent directement sur son répondeur, plus aucune sonnerie. Je ne comprends plus rien, je croise les doigts que son téléphone n’est plus de batterie. Je me décompose chaque minute passée, je n’arrive plus à réfléchir. J’ai peur, vraiment peur qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave.

Malheureusement vu l’heure, j’ai interdiction d’y retourner. Pour mon père, cela peut arriver de ne pas réussir à joindre un interlocuteur. Il me rassure en m’expliquant qu’Ellie a pu s’endormir, pleurer épuise ou alors son portable a très bien pu être sur silencieux. Il fait tout son possible pour me calmer. En vain.

Il m’oblige, alors, à aller me coucher. Je m’exécute même si le sommeil n’est pas au rendez-vous. Le lendemain est difficile, tel un robot, je me prépare sans réfléchir. En entrant dans le bus, je n’ai qu’une hâte, vérifier qu’elle est là. Le trajet est long, il dure une éternité et quand il se gare enfin, j’en sors rapidement, je fais le tour des voitures présentes, je donne de coups d’œil partout, parking, cour, couloir. Je ne la trouve nulle part, je regarde ma montre, il reste encore cinq minutes avant la sonnerie, elle peut encore arriver. Je m’installe au niveau du portail, j’attends. Je retrouve le sourire quand une voiture s’arrête et la dépose enfin. Elle passe à côté de moi, nos regards se croisent, ses yeux sont rouges, gonflés. Elle a triste mine, j’ai envie de la prendre dans mes bras, de lui crier que je suis là, qu’elle n’a plus à s’inquiéter. Je laisse échapper un soupir de soulagement.

Je suis Ellie, accélère, passe juste à côté d’elle et lui lance discrètement « À dix heures, toilettes du premier ». J’ai le temps de voir un léger sourire se dessiner sur son visage. Je suis vraiment soulagée.

Les deux premières heures de cours sont d’un inintérêt, en même temps, je ne fais qu’acte de présence. Je sais que je cours tout droit vers un redoublement, ma seule pensée va vers ma petite amie. Elle a bien plus besoin de moi que moi de ces calculs de probabilité.

Quand la cloche sonne la pause, je me dirige directement au lieu de rendez-vous, Ellie m’y attend déjà, j’ouvre mes bras, elle s’y jette. Je la serre fort contre moi comme si c’était la dernière fois, mes lèvres se posent sur son front avant de l’embrasser.

— J’étais morte d’inquiétude, j’ai essayé de t’appeler hier soir, mais tu ne m’as jamais répondu.

— J’ai plus de téléphone, mon père me l’a confisqué. Je suis désolée de t’avoir fait peur.

Ellie enfouit sa tête dans mon cou, à la recherche de réconfort. Ma main s’installe, instinctivement, à l’arrière de sa tête et lui caresse les cheveux.

— C’est rien, le plus important, c’est toi ! Ma mère aimerait t’aider, elle voudrait rencontrer tes parents.

Elle se redresse, surprise.

— Sérieux ? Elle est gentille. Je sais pas s’ils accepteraient. Et puis, tu crois vraiment qu’ils l’écouteraient ? Ils n’ont que « c’est pour ton bien » à la bouche. Complètement bloqués là-dessus sans chercher à savoir si je suis heureuse. Je tends le dos à chaque fois qu’ils ouvrent la bouche, j’ai peur d’une nouvelle idée de leur part.


On s’embrasse une nouvelle fois.


— Je suis là, si tu as besoin de quoi que ce soit, dis-le-moi !


— J’ai juste besoin de toi, de ta présence. Je n’ai besoin de rien d’autre.


Je repose ma main derrière sa tête, la serre encore plus fort, je ferme les yeux. Je me dois d’être un pilier solide, d’être son repère dans cette histoire. Nous restons l’une contre l’autre sans parler. Hélas, le temps passe trop vite. Il est l’heure, nous devons retourner dans nos classes.

On se retrouve après la cantine. Je continue de la réconforter, de la garder dans mes bras, nos lèvres se trouvent par moment. Je tente de lui redonner le sourire, la force de continuer à être elle, juste elle. On est dans notre bulle de tendresse, on oublie le reste jusqu’au moment où on entend quelqu’un toussoter.


On se retourne, surprises. C’est son amie, Lydia si je me souviens bien. Elle est appuyée contre un des lavabos, bras croisés. Depuis combien de temps est-elle là ? Son regard inquisiteur nous scrute, je me sens mal à l’aise. Elle lève un sourcil et prend enfin la parole.

— Je comprends mieux.

On se détache l’une de l’autre, chacune regarde de l’autre côté, penaudes comme si on était prise en flagrant délit de bêtises. Elle laisse échapper un petit rire.

— Calmez-vous, les filles, c’était pas un reproche.

Ellie est la première à lui parler, elle ne semble pas plus rassurée que moi.

— T’es là depuis quand ?

— Deux-trois minutes, juste avant le dernier échange baveux.

Nous rougissons, nous nous regardons timidement.

— Je me disais aussi que vous aviez des échanges de regards pas clairs ces derniers temps. Et puis, du jour au lendemain, y’avait plus aucune interaction entre vous. Sans compter qu’Ellie, tu disparaissais régulièrement.

Mince, moi qui pensais que nous étions discrètes. Lydia pose ses mains sur ses hanches, prend une expression un brin hautaine.

— Par contre, je suis déçue, ma chère amie. Pourquoi tu m’as rien dit ?

Ma belle donne un coup d’œil vers moi avant de se concentrer sur son amie.

— Parce qu’on voulait que personne ne soit au courant. Ce genre d’histoires a valu des problèmes à Solène dans son ancien lycée, on voulait pas que ça recommence.

— Tu crois vraiment que j’aurai pu te faire des crasses ? On est amie, meuf ! Jamais je pourrais te faire du mal, tu le sais bien ! Bon, vous m’expliquez tout ? Parce qu’Ellie, je vois bien que quelque chose cloche.

Avec Ellie, on lui raconte tout, même les problèmes avec ses parents. On évite bien sûr les détails croustillants, ça ne la regarde pas. On a peut-être trouvé une nouvelle alliée, même si j’ai du mal à la cerner vraiment.

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