1 (V3)

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La sonnerie retentit, je me réveille encore en nage. Encore et toujours, un rêve à la con avec elle. On pourrait croire qu’elle m’obsède, mais non, ce n’est pas ça. Depuis des semaines, elle me cherche dès qu’elle me croise au lycée, dès qu’elle me voit. Et je ne sais même pas pourquoi. La seule chose sûre, c’est que depuis qu’elle s’en prend à moi, je passe mes nuits à rêver d’elle. Elle a déjà tenté de me tuer à plusieurs reprises, elle me poursuit, elle est le personnage absurde, improbable et j’en passe.

Mais là, je crois que j’ai battu des records, il faut absolument que j’en parle à Ian, mon meilleur ami. J’attrape mon téléphone et je lui envoie un message « Cc, on peut se voir après les cours ? ». Lui et moi, nous nous connaissons depuis la primaire. Les mêmes délires, le même humour, les mêmes goûts. C’est totalement moi en garçon. Sauf que, depuis l’année dernière, on ne se voit quasiment plus, des lycées différents, ça n’aide pas. Alors, dès qu’on le peut, on trouve du temps pour l’autre. Il répond cinq minutes plus tard, il veut savoir pourquoi, je préfèrerais en parler de visu, mais bon, je peux lui dire en gros pourquoi je veux le voir.

« J’ai encore rêvé de Tu-sais-qui »

« Encore ? T’as quand même un problème avec cette meuf ! »

« Je sais, je varie entre flippe et énervement »

« Tu devrais lui faire face, demande-lui pourquoi elle fait ça ! »

« J’ai trop peur de me prendre un coup ! »

« Il faudra bien que tu l’affrontes »

« Je sais… On se voit alors ? »

« Je passe chez toi après les cours, ok ? »

« Merci, j’te kiffe mon pote ! »

« C’est pas tout ça, mais on va être à la bourre »

Je jette un coup d’œil au réveil, il est déjà 7 h 20. Mince ! Je dois me grouiller, j’ai cours à 8 h. Je file à la douche sans demander mon reste, je bats un nouveau record, dix minutes pour me préparer. Je passe à la cuisine, salue mes parents, attrape une tartine que ma mère a préparée et je cours jusqu’à l’arrêt du bus. J’arrive en même temps que le car scolaire. C’était limite, mais je ne l’ai pas raté. J’aurais entendu du pays sinon.

Je ne suis même pas encore assise qu’une voix retentit.

— Ben alors, l’escargot, t’as pas entendu ton réveil ? Ou t’es juste lente ?

Dès le matin, super, ma journée débute bien. Je lui lance mon regard de tueuse, mais ça ne change rien, ça la fait rire et elle continue sur sa lancée.

— Si tu veux, je peux t’apprendre à gérer ton temps. Il y a peut-être un espoir !

Mais qu’est-ce que j’ai fait pour subir ça ? Je tente tant bien que mal de ne pas faire attention à ses remarques blessantes. Tous les regards sont posés sur moi, je suis gênée, ne sais plus comment réagir. Penaude, je baisse la tête en espérant qu’on m’oublie et je pars, en traînant les pieds, m’asseoir à côté de Lydia, une camarade de classe et une amie depuis le collège. Elle compatit et tente de me réconforter, de me rebooster, je ne comprends pas pourquoi je suis devenue le souffre-douleur de cette fille. À part son nom, Solène, je sais juste qu’elle a un an de plus que moi et est en terminale, et c’est largement suffisant. Bien sûr, j’aimerais avoir une explication sur son comportement, mais je n’ose pas lui demander. Sa réputation la précède, c’est une bagarreuse, elle aurait même déjà frappé un mec. Elle me terrifie.

Manque de bol, on prend le même bus. Et la poisse me poursuit : je la croise pratiquement à chaque changement de salle, dans la cour et à la cantine. J’ai même des heures de perm’ identiques aux siennes. Je ne suis presque jamais tranquille, un calvaire. Il n’y a pas d’autres mots, elle me harcèle. J’ai tellement peur de cette meuf, de ce qu’elle pourrait me faire, que même à mes parents, je n’ai jamais parlé d’elle. Si jamais ça lui revient aux oreilles, je ferais quoi ? Je ne sais pas me battre, moi. Finir à l’hosto, non merci ! Je veux juste terminer le lycée, retrouver ma tranquillité.

Ian m’a conseillé de changer d’établissement, mais pour aller où ? Dans un lycée privé ? Impossible, on n’a pas les moyens et puis je ne veux pas abandonner mes amis, mes repères. De toute façon, malgré l’angoisse permanente, j’ai trop de fierté pour la laisser gagner.

Le lycée est en vue, on s’arrête et nous attendons que tout le monde descende avant de commencer à nous lever. Je croise les doigts pour qu’elle soit déjà partie. J’ai parfois l’impression qu’elle fait exprès de traîner pour sortir du bus. Mon espoir s’évapore quand je la vois à quelques mètres, pas loin du portail, sur son téléphone. Je suis obligée de passer devant elle. On dirait qu’elle m’attend. Une vraie sangsue. Je soupire, baisse la tête et j’avance d’un pas à moitié décidé. Lydia m’attrape par le bras.

— Ne la laisse pas gagner, avance, la tête haute ! Si tu ne réagis pas, elle arrêtera.

Je la remercie et je me redresse fièrement. J’accélère le pas, je passe à côté de Solène sans la calculer. Je sens son regard perçant, pas un mot de sa part, j’en souris. Une petite victoire dans une journée qui, malheureusement pour moi, débute seulement.

La matinée se déroule sans accroc, en même temps, je n’ai eu que deux cours et je me suis caché toute la pause dans les toilettes du premier étage. Le seul endroit où je peux oser respirer sans la croiser, sans l’entendre se moquer. Le seul coin du lycée où je suis tranquille, où elle me fout la paix. Par contre, ce n’est pas la même à midi. Alors que j’hésite entre deux desserts, mon bourreau m’interpelle à nouveau.

— La vache, même pour la bouffe, t’es pire qu’un escargot ! Tu t’rends compte qu’tu bloques tout le monde, là ?

Je n’avais même pas remarqué qu’elle était à côté de moi. Je la vois prendre un ramequin et le mettre sur mon plateau sans demander mon accord.

— C’est bon, tu libères la place maintenant ?

Je fulmine, bégaie, aucun mot ne sort, seulement des sons inaudibles. Elle se sert et se barre, rien de plus. Je ferme les yeux pour essayer de me calmer. Impossible. Les nerfs craquent. Je la cherche dans la salle et, sans comprendre, sans réfléchir, me voilà à côté de sa table. Je pose violemment mon plateau.

— J’en ai marre de toi. Je peux savoir ce que je t’ai fait ?

Je suis tellement énervée que mon corps agit tout seul, que ma bouche parle sans mon accord. Quand elle lève les yeux pour me fixer, j’ai un frisson. Merde, pourquoi j’ai fait ça ? Je suis surprise quand elle me répond calmement.

— C’est pas le dessert que tu cherchais depuis plus de cinq minutes ?

Je suis interloquée, regarde le ramequin auquel je n’avais prêté aucune attention et là, le choc, mousse au chocolat, mon péché mignon. Je baragouine de nouveau, aucune phrase ne sort, juste des mots, je reprends mon repas et je me barre, honteuse. Elle se moque de moi.

— Pff, t’es quand même un peu débile comme meuf.

Mon agacement remonte, je me retourne comme une furie.

— Je suis peut-être débile, mais toi, t’es cinglée !

Et merde, les mots sont sortis tout seuls, je ne sais plus quoi faire. Je me tais, ouvre grand les yeux et attends que mon bourreau m’achève. Mais rien ne se passe. Elle ne s’énerve pas, au contraire, elle rit. Un rire fort et franc. Mon impulsivité s’est encore mêlée de mes histoires sauf que là, je suis foutue. Je rejoins, toute tremblante, mes amis, je m’installe à côté de Lydia qui s’inquiète.

— Ça va ?

— Je suis morte, je lui ai dit qu’elle était cinglée.

— Mais qu’est-ce qui t’a pris ?

— J’en sais rien, elle m’a gonflée et c’est sorti tout seul, je… Oh putain, elle va me défoncer !

Je passe le reste de la journée soit en groupe, soit bien cachée. Je ne dois absolument pas me retrouver seule face à elle. J’ai un peu de chance aujourd’hui, nous ne prenons pas le même bus, je sors à seize heures, elle dix-sept. Je suis heureuse et soulagée en arrivant à la maison, plus qu’à attendre Ian, il vient directement après les cours et devrait être là vers 17 h 30.

J’en profite pour bosser mes cours. Le français, surtout, en vue des épreuves du bac qui auront lieu dans deux mois et demi. Le temps passe vite, on sonne, je donne un coup d’œil à mon réveil : 17 h 20. Ian est un peu en avance. J’ouvre en grand tout sourire. Je déchante. Mes lèvres s’entrouvrent. Mes yeux s’arrondissent. Mon corps se crispe. Je suis pétrifiée sur place. Fébrile, je murmure :

— Solène…

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