Chapitre 7, Colocation

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Morgane se réveilla tard dans l’après-midi du lundi. Elle se redressa en frottant ses yeux bouffis, un peu hébétée. Un sourire tendre la traversa en posant les yeux sur Sasha roulée en boule contre d’elle. Sa queue blanche ramenée contre son visage enfoui dans les poils. Elle était à croquer. Morgane se pencha et posa une bise sur sa joue avant de se lever. La faim était toujours une motivation efficace pour sortir des couvertures.

Sasha la rejoint peu de temps après vêtue d’un teeshirt bien trop grand pour elle. Elle s’assit sur une chaise haute et regarda Morgane réchauffer la tarte qu’elle avait cuisinée la veille. Ses cheveux retombaient en bataille sur ses épaules. Sasha les revit encore humides et collés au visage de la louve essoufflée. Elle rougit.

— Tu veux faire quoi aujourd’hui ? demanda-t-elle pour se distraire.

Morgane posa la tarte fumante sur le bar et alla chercher quelque chose dans le tiroir du bureau. Elle revint et tendit à Sasha un trousseau de trois clefs.

— Le double de chez toi ?

— Déménageons tes affaires.

Sasha dressa les oreilles. C’était si soudain. Elle avait peine à croire que Morgane propose réellement qu’elle emménage dans son appart.

— Désolée… soupira Morgane en resserrant la main sur les clefs.

La déception dans sa voix. Sasha régit d’instinct et se leva pour l’embrasser. L’odeur de ses phéromones, douce et légère. Elle aima le sentiment de sécurité qui naquit en elle, se pressa contre l’alpha qui l’enlaça. Le loup était un animal fidèle, lui avait dit Rachelle. Elle n’avait pas idée à quel point le renard l’était plus encore. Sasha savait qu’accepter les cléfs c’était aussi accepter Morgane en tant que partenaire. Partenaire peut-être définitive. Elle s’étonna que l’idée ne lui paraisse même pas incongrue. Elle qui avait toujours vécu son célibat comme une liberté essentielle. Sasha commençait à comprendre ce qu’était l’importance de son instinct. Il y avait une synergie avec la louve, elle ne pouvait pas l’imaginer avec quelqu’un d’autre. Elle ne voulait personne d’autre. C’était une certitude qui était en train de s’imposer en elle avec une acuité inébranlable. Pour une fois dans sa vie, elle s’accorda à son instinct.

— Morgane ?

— Mmh ?

Sasha passa la main dans ses mèches grises.

— Je suis à toi.

L’alpha sourit largement, emplie d’orgueil, dégageant sans le vouloir une odeur de plaisir qui contamina l’oméga.


Le déménagement ne leur prit peu de temps. Sasha n’avait pas beaucoup d’affaires et les meubles n’étaient pas à elle. Ce ne fut pas plus long pour s’installer puisqu’il ne s’agissait que d’une valise de vêtements, quelques affaires de toilette et d’un carton de cuisine contenant essentiellement des condiments et des produits secs.

— Allons t’acheter un bureau.

— Ne t’embête pas, je peux rester sur le canapé.

— Non.

Sujet clos. Sasha sourit.

L’alpha les conduisit à bord d’une boite de conserve à quatre roues crachant son désespoir et Sasha fut étonnée d’arriver vivante à bon port.

— Comment tu peux avoir autant d’argent investi dans tes ordis et rouler dans une poubelle pareille !

— J’aime bien ma poubelle.

Sasha lui emboita le pas alors qu’elle entrait dans « Gamin’Co ». Elle avait rangé ses oreilles et sa queue, mais l’émerveillement faillit les faire ressortir. Des écrans partout, du matériel partout, des lumières, des jeux, un paradis sur terre. Elle s’approcha d’un superbe bureau noir rétroéclairé par un tas de petites loupiotes intégrées, s’étrangla du prix. Zieuta quelques autres étiquettes. Inabordable.

— Euh, Mo ?

L’alpha l’avait délaissée pour un moniteur incurvé 6K.

— Mmh ?

— Je n’ai pas vraiment les moyens d’acheter quoi que ce soit ici.

— Prends ce qui te plait, c’est moi qui paie.

— Mais…

Morgane ne l’écoutait déjà plus. Sasha se doutait qu’elle devait être relativement fortunée au vu de son installation informatique et surtout son 50 m2 en ville, mais elle était évidemment gênée qu’elle dépense de l’argent pour elle. Sasha se sentit comme une oméga entretenue et l’idée lui déplut grandement. Elle se promit de mettre de côté et de rembourser la somme qu’elle dépenserait aujourd’hui. Ceci était sans compter sur la réelle identité de Morgane qui s’était bien gardée de parler de sa fortune.

— Tu as trouvé le bureau qui te plaisait ?

— Ça me dérange Morgane que tu paies…

— Moi je préfère celui-là. Le deuxième plateau permet de poser les écrans, et ceux du dessous sont équipés de ventilateurs pour la tour.

— Morgane…

— J’ai d’ailleurs trouvé une config de tour intéressante actuellement en promo. Je pense que ça va te plaire.

— Morgane !

— Sasha… l’argent n’est vraiment pas quelque chose dont je me soucie. Laisse-moi te faire plaisir s’il te plait.

Sasha céda et prit sur elle pour faire abstraction des prix. Elle finit par se prendre au jeu, s’enthousiasmant avec Morgan sur tel ou tel carte graphique ou processeurs, RAM, carte mère, SSD, processeur graphique, sans oublier souris et clavier. De véritables enfants. Puis il fallut recommencer avec les écrans. Ce qui ne leur couta pas beaucoup, disons-le. Ce ne fut qu’en entendant le prix total à la caisse que Sasha faillit s’étouffer comprenant qu’il lui serait impossible de rembourser Morgane en quelques mois. Elle mettrait sa fierté de côté pour cette fois.

De retour à l’appartement, toutes les deux passèrent la fin de journée à jouer avec leurs emplettes. On monta le nouveau bureau, on tourna l’autre pour qu’ils soient face à face, on vissa, brancha, débrancha, rebrancha, ragea, dévissa, revissa, jusqu’à ce que la tour soit opérationnelle. Il était un peu plus de 21 h lorsque Sasha se laissa tomber dans son fauteuil tout neuf et appuya triomphalement sur le bouton d’allumage de son nouvel ordinateur. Les trois moniteurs s’allumèrent simultanément sous ses yeux émerveillés tandis que Morgane l’observait de la cuisine avec un sourire amusé.

— On dirait que tu as vu le Père Noël.

— Ouiiii ! Et il m’a apporté un beau cadeau !

Sasha se leva précipitamment pour aller l’enlacer.

— Merci.

La louve passa ses doigts dans la tignasse blanche hirsute sans se départir de son sourire.

— Va le configurer, je t’appelle quand c’est prêt.

Sasha ne se le fit pas dire deux fois. Il n’y avait rien de plus sacré que la première configuration.

Le mardi matin, il fut temps de retourner travailler. Morgane se traina hors du lit à la troisième sonnerie de son réveil et fut agréablement accueillie par l’odeur de café chaud et le corps ondulant de Sasha en petite tenue. Elle s’approcha et l’enlaça par-derrière, plongeant le nez dans ses cheveux. Ne la lâcha pas tant que ses narines ne furent pas satisfaites de la délicieuse odeur acidulée. Sasha fut d’abord surprise par la spontanéité de sa tendresse puis s’y abandonna. Son corps devenait si familier. Elles avaient à nouveau fait l’amour jusqu’à tomber de sommeil. Sasha sentait encore les morsures lui bruler l’intérieur des cuisses. Elle n’aurait jamais cru aimer ça. Il se passait quelque chose au fond d’elle lorsque Morgane serrait les dents sur sa chair. Peut-être s’agissait-il des phéromones que l’alpha libérait en même temps ?

— Tu prends quoi au petit déjeuner ?

— Du renard.

— Et pour ce midi, tu veux quoi dans ta gamelle ?

— Du renard.

— Je vois… et ce soir ?

— Du renard.

— Si tu me manges matin midi et soir, il n’en restera plus pour les autres jours.

— Mmh.

Sasha rit de son ton faussement contrarié et se libéra de l’étreinte. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour poser une bise sur sa joue et lui tendit son café.


Une fois au bureau, Sasha et Morgane s’installèrent derrière leurs écrans respectifs. Si Morgane fit mine de ne pas remarquer les airs suspicieux d’Emilie et Cléo, Sasha se rendit compte que son assurance dans la compréhension des non-dits de Morgane s’effritait à l’idée d’annoncer qu’elles sortaient ensemble. Ses idées n’eurent pas le temps d’aller plus loin, elle fut convoquée dans le bureau de Nora avec ses trois collègues.

— Nous avons un problème. Si vous croyiez que l’embauche de Sasha était une agréable surprise qui allait soulager notre charge de travail, je viens d’apprendre qu’on s’est fourré le doigt dans l’œil.

— Je ne comprends pas… tu vas me licencier ?

— Diable non ! Non, je sors d’une réunion avec les têtes pensantes d’infocorp. Ils veulent un nouveau jeu.

Nora vit Morgane se renfrogner, tandis qu’Emilie et Cléo soupiraient.

— Qu’est ce qui se passe, je ne comprends pas, demanda Sasha, en jeune recrue qu’elle était.

— Il se passe que nous allons dire adieu à notre vie sociale, petit renard, lui expliqua Emilie. Enfin, surtout Mo.

Et Morgane le savait. Elle était la scénariste de l’équipe. Un nouveau jeu était certes une opportunité incroyable, mais avant tout un projet d’une ampleur titanesque qu’il fallait sans aucun doute mener en parallèle de WOD.

— Les délais ?

— Ça ne va pas vous plaire, répondit Nora. Ils veulent sa sortie dans l’année suivant celle de WOD, max deux ans. Pour faire attendre la DLC de WOD.

Toute l’équipe soupira. War of Dragon était annoncé pour l’année suivante, un délai déjà juste qu’elles n’étaient pas sures de respecter.

— Il va nous falloir d’autres mains.

Nora s’étonna que Morgane lui quémande des stagiaires.

— Les mecs d’en bas peuvent pas le faire ?

— Elle pourra pas les molester s’ils font des erreurs dans les racines, commenta Emilie.

— Exactement.

— Froide et calculatrice. On dirait moi. Ok, je vais parler aux portefeuilles. Rompez soldates !

Les quatre collègues retournèrent à leur bureau, loin d’être assez concentrées pour travailler.

— Sasha, je rentre.

— D’acc ! Je reste un peu avec les filles puis je te rejoins. Je passe acheter à manger truc.

— Mmh.

Sasha la regarda se lever et vit à son visage que ce n’était pas le moment de pester contre ses onomatopées. Revenant à ses moniteurs, elle vit Cléo et Emilie la zieuter très attentivement.

— Accouche petit renard, s’exclama Cléo.

— Toi d’abord.

— Comment ça ?

Maintenant, Sasha en était certaine. Elle avait remarqué que Cléo sentait Emilie et avait émis l’hypothèse intérieure qu’elle était restée dormir chez elle, mais l’odeur de peur qu’elle dégageait à cet instant précis indiquait qu’il se passait autre chose.

— Ma bouille d’amour, tu peux bien lui dire la vérité.

Emilie n’avait pas levé les yeux, toujours occupée par la création d’une des armures d’éléments, ce qui ne l’empêchait pas d’afficher un sourire tout à fait moqueur. Cléo rougit jusqu’aux oreilles quant à l’appellation.

— Et bien… Je sors avec Emilie maintenant ! Et Emilie, fait avec disons.

L’intéressée se contenta de ricaner. Ce n’était pas tout à fait faux, même si en soi cette histoire de sortir avec Cléo lui plaisait assez. Ce qu’elle se garderait bien de lui dire.

— Racontez-moi ça !

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